LUC LAPRAYE

LUC LAPRAYE

PORTRAIT D’ARTISTE / Luc Lapraye : La beauté du pire

par Paul Ardenne

Luc Lapraye appartient au corps précieux des artistes que l’on va dire lucides. En témoignent les œuvres que ce plasticien ennemi de la langue de bois, déjà, a consacrées à ce qui constitue aujourd’hui notre problème majeur, la question écologique.

Revenons sur ces réalisations, homogènes par l’esprit, qu’elles nous soient présentées sous forme de sculptures, d’environnements ou de rendus numériques.

Carbontrap, « Piège à carbone », nous place face à l’irruption insolite d’un Hummer noir mat pris dans le tronc d’un arbre, en pleine forêt. Par le truchement de l’imaginaire, ce gros véhicule glouton réputé pour son bilan carbone désastreux s’est vu converti en piège à dioxyde de carbone – à l’instar, en somme, des arbres que l’on replante aujourd’hui massivement. On peut rêver !

Ouh là là, il va faire vraiment très chaud !, autre réalisation siglée Anthropocène de Luc Lapraye, n’a pas plus l’heur de nous ménager. Devant nous, une tombe. Sur la pierre tombale, cette inscription laconique : « Climat 2050 ». On trouve jouxtant cette tombe, symétrique à celle-ci, un petit espace-piscine de type pédiluve. Attendons-nous à souffrir, le réchauffement climatique a commencé de frapper et pour sûr, le pire est à venir.

Artiste concerned, diraient les Anglo-saxons, « préoccupé », anxieux et aux aguets du réel, Luc Lapraye a depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme : ne comptons pas trop sur un second Noé pour nous sauver du désastre environnemental que nous avons sciemment orchestré. Ainsi de ce diptyque dans l’esprit de l’art conceptuel, intitulé sarcastiquement Bonheur, frappé noir sur blanc de ses deux formules contradictoires qui disent tout de nous, la consumers’ civilization, « Avoir plus », « Vouloir moins ».

Ainsi, encore, de Fossilenergydecay (« Déclin-de-l’énergie-fossile »), une sculpture qui fait imaginer que « demain, ce sera vachement mieux », comme dit la chanson. Des barils de pétrole disposés au sol, leur taille diminuant graduellement selon un ordre volumique que semble rythmer la suite de Fibonacci, nous apparaissent de plus en plus clairs, transparents, limpides, comme si leur contenu polluant était à la fin devenu pur. Ce qui nous a été promis, en quelque sorte, ce grand déclin des énergies fossiles garanti avant longtemps, promis-juré. Aujourd’hui, 80 % de l’énergie utilisée dans le monde, pour autant que l’on sache, est d’origine fossile. Bienvenue dans le cercle des hypocrites.

Ouh là là, il va faire vraiment très chaud !, version 2. Titre de nouveau éloquent pour sûr que celui-ci, venant dénommer cette autre création de Luc Lapraye, d’une parfaite lisibilité. Qu’on en juge. Sur l’espace circulaire d’une bâche bleue comme la mer et comme notre Planète bleue, l’artiste a disposé en cercle des chaises de salon de jardin. À chaque chaise correspond une date du 21e siècle, selon une progression chronologique. Plus l’on avance dans notre futur, plus la chaise correspondant à ce moment à venir s’enfonce dans la matière bleue. Le réchauffement climatique, qui fait fondre les calottes glaciaires polaires, fait aussi se relever le niveau des mers. L’avenir est à l’engloutissement physique, nous nous effaçons dans l’eau comme le Titanic éventré par l’iceberg. Stoïquement ? Comme au spectacle ? Assis à regarder le monde couler en buvant une bière ? Dieu que la fin du monde peut être jolie.

À s’en tenir à son intitulé, Ouh là là, il va faire vraiment très chaud ! n’est pas sans rappeler la fameuse Joconde à moustaches de Marcel Duchamp dont le portrait modifié surmonte la mention L.H.O.O.Q., « Elle a chaud au cul ». Gageons cette fois que ce n’est pas de hausse sexuelle de notre température corporelle qu’il s’agit mais, autrement sinistre, de l’affolement général du thermomètre universel et de ses conséquences catastrophiques en termes de qualité de vie. Un siècle a passé depuis la facétie duchampienne et l’on sent bien que les soucis de l’art ont changé de camp. On ne rigole plus. Le pire est à venir et, en vérité, il est déjà là. Consolation, la catastrophe donne lieu à cette belle sculpture de Luc Lapraye qui nous rendra du moins le désastre plus léger, les pieds dans l’eau et la tête cuite par le rayonnement solaire. Le pire, ici ? Il est beau et Luc Lapraye est son prophète.

Luc Lapraye, ID ‘‘Ouh là là, il va faire vraiment très chaud !’’, version 1
Luc Lapraye, ID ‘‘Ouh là là, il va faire vraiment très chaud !’’, version 1
Luc Lapraye, ID ‘‘Bonheur’’
Luc Lapraye, ID ‘‘Bonheur’’
Luc Lapraye, ID ‘‘Fossilenergydecay’’
Luc Lapraye, ID ‘‘Fossilenergydecay’’
Luc Lapraye, ID ‘‘Ouh là là, il va faire vraiment très chaud !’’, version 2
Luc Lapraye, ID ‘‘Ouh là là, il va faire vraiment très chaud !’’, version 2

LUC LAPRAYE
Site officiel : http://www.luclapraye.com