ROMAIN VICARI, ROSE BUTTON

ROMAIN VICARI, ROSE BUTTON

Vue d’exposition Rose Button, de Romain Vicari
Placement Produit, Aubervilliers. Photo Adrien Thibault

ENTRETIEN / Romain Vicari par Timothée Chaillou
à l’occasion de l’exposition Rose Button à Placement Produit, Aubervilliers

Timothée Chaillou : Romain, Placement Produit est un artist-run space composé d’un appartement, d’un atelier d’artiste et d’un espace d’exposition. Ce lieu souhaite « questionner l’espace domestique dans l’espace urbain. » Qu’en est il de ce questionnement par rapport aux oeuvres que tu présentes ?

Romain Vicari : Situé à Aubervilliers, Placement Produit est à mon avis l’un des exemples développés par des jeunes artistes dans ce contexte de run-space. Les œuvres produites sont en relation avec “l’intimité territoriale” du lieu, elles entrelacent le “tiers urbain” aux formes domestiques.

TC : Tes « œuvres créent une friction avec le lieu », et tu aimes « l’idée qu’elles puissent déranger et perturber les fonctions de l’espace. » Quel dialogue ont tes oeuvres avec le « génie du lieu » ?

RV: Mes œuvres introduisent une présence inhabituelle dans l’espace, hors du regard du spectateur, opérant entre construction et dé-construction. Elles peuvent osciller dans une accroche présente ou camouflée dans l’espace architecturé. Leur placement varie entre ces deux états.

TC : Ton « inspiration pour les formes végétales et floral que l’on retrouve dans l’art nouveau, invitant au songe » a rendu, pour le lieu, évidente ton invitation.

RV : Je vois Placement Produit comme un espace d’exposition déstructuré. Bien qu’étant un white cube, le lieu possède pourtant plusieurs péripéties. Mon inspiration à l’architecture rend cette invitation évidente. Pour cette exposition, je tente de m’inspirer de l’oeuvre du paysagiste et urbaniste Roberto Burle Marx; en opposant création “matérielle” et “naturelle”. Le jardinier paysagiste contrairement à l’artiste, maître de sa matière, n’ajoute pas d’objet mais une œuvre à part entière aux données de l’univers. Il transforme en œuvre une parcelle de la nature. Pour Roberto Burle Marx, l’art des jardins appelle à lui tous les autres arts. Tous les médias y sont mélangés ainsi qu’une réflexion éco-responsable avant-gardiste.

TC : Tu dis : « Je ne recherche pas la forme produite, je suis dans une approche plus « pauvre », qui repose avant tout sur l’expérimentation. »

RV : Mon atelier est un garage, la production des pièces se fait dans un contexte de “garage band”. Je vois la réalisation des pièces comme un reflet contemporain de notre société, je pense que nous sommes sous une forme d’Arte Povera 2.0 Le croquis et la forme finale sont très éloignés, l’idée initiale est en mutation constante pendant la production, les matériaux sont trouvés dans la rue, et le geste est plus radical. Les oeuvres s’éloignent d’une production industrielle, type design. Les objets sont uniques et imparfaits.

TC : Pour toi « la couleur participe d’un parasitage de l’espace en même temps qu’elle vient entrelacer les différents éléments d’une installation, construire un ensemble. » Dans ton exposition les teintes pâles et le blanc dominent. Quel « parasitage » est ici opéré ?

RV : La couleur encore présente, sous un violet foncé, opère dans l’entourage des matières telles les céramiques ou le riz. La matière prend le rôle d’un parasite contrôlé, ou presque. Le riz, renvoie aux œufs de mouches, aux épidémies ; à une présence hybride, immobile qui questionne le vivant et vient le contaminer.

TC : Dans ton exposition nous rencontrons : Crislen pièce murale constituée de tige de métal noir et de céramiques blanches en forme de fleurs et coquillages ; Les Mouses combinaison d’un bas relief et d’une structure au sol faite d’acier, de riz et de plâtre ; Cyclope suspension d’entrelacs d’acier et de céramique ; ainsi qu’un ensemble de céramiques murales comme des amoncèlements de griffes et de bouts de chairs. Peux-tu nous parler de la « restriction » des matériaux utilisés (metal, céramique, riz…) qui se répondent de pièces en pièces ?

RV : Pour cette exposition, j’ai voulu présenter un ensemble de pièces sobres, contrairement à mes dernières expositions. Elles communiquent entre elles par la couleurs et les matières qui sont limitées, et par leur placement dans l’espace. J’ai procédé à une réduction de matériaux que je trouvais polluants dans ma pratique.

TC : Tu dis : « J’ai compris que cet intérêt pour les lignes en métal avec lesquelles je recomposais des motifs, trouvait sa source dans des lettrages recouvrant les façades d’immeubles de São Paulo, les pixadores. » Quelle dynamique est en action dans cette pièce murale, Crislen ?

RV : Elle se présente avec des griffes, agressive, mais au cœur arrondi, frontal comme un “ blase ”. Une dynamique plus animalière, aux formes inspirées des portes d’ascenseurs de l’art nouveau. Librement inspirée par la nature, elle touche principalement l’architecture et les objets de décoration d’intérieur. Cette pièce et les éléments végétaux semblent ne faire qu’un, traduisant la devise de Guimard : l’unité du décor.

Il y a quelque chose de l’ordre de la dévoration, de l’engloutissement, d’une sidération des chairs dans ces bouts de membres. Pourrais-tu revenir sur le lien souvent, donné comme exemple, qu’il y a entre ton travail et une pensée anthropophage ?

RV : Les pièces présentées sont d’un caractère anthropophage, mais aussi entomophage. Les Grecs et les Romains mangeaient des insectes, tels que les abeilles et les cigales. Face aux crises écologiques et à la crise alimentaire sur Terre aujourd’hui, nous voyons de plus en plus d’initiatives visant à reintroduire ces pratiques dans les composants industriels alimentaires occidentaux, comme la fabrication de biscuits aux fibres d’insectes.

TC : Penses-tu, comme Simon Hantaï, que l’ « on peint à l’aveugle, à tout hasard, jetant le dé » ?

RV : Comme Simon Hantai ou Helio Oiticica également, le hasard prend une part dans la réalisation des œuvres. Expérimenter l’expérimental me permet d’avancer dans mes recherches plastiques.

Masking - 20/20/10 cm - Ceramic - 2020 Vue d'exposition Rose Button, de Romain Vicari Placement Produit, Aubervilliers. Photo Adrien Thibault
Masking – 20/20/10 cm – Ceramic – 2020
Vue d’exposition Rose Button, de Romain Vicari Placement Produit, Aubervilliers. Photo Adrien Thibault
Vue d'exposition Rose Button, de Romain Vicari Placement Produit, Aubervilliers. Photo Adrien Thibault
Vue d’exposition Rose Button, de Romain Vicari
Placement Produit, Aubervilliers. Photo Adrien Thibault
Mosca - 50/30/18 cm - Resin, rice - 2020
Mosca – 50/30/18 cm – Resin, rice – 2020
Vue d’exposition Rose Button, de Romain Vicari
Placement Produit, Aubervilliers. Photo Adrien Thibault