ABEL TECHER, I CALL YOU FROM THE CROSSROADS

ABEL TECHER, I CALL YOU FROM THE CROSSROADS

EN DIRECT / Exposition I call you from the crossroads d’Abel Techer
du 06 février au 04 avril 2020 Maëlle Galerie Paris

Commissariat Julie Crenn

I call you from the crossroads 
Come and be good to me 
And treat me right 
Who knows the direction the winds will blow? 
Come and kiss me softly in this hard life 
Whisper sweet things and just let go

Anohni – KARMA (2017)

J’ai rencontré Abel Techer en 2015 dans une salle du musée Léon Dierx à Saint-Denis (La Réunion). Jeune artiste tout juste diplômé de l’ESA, il présentait à l’occasion d’une exposition collective un triptyque monumental : trois peintures, trois autoportraits non finito où l’artiste se représentait nu, dans trois positions différentes, légèrement maquillé. Si le traitement de la peinture est académique, les sujets abordés le sont beaucoup moins. Par la peinture, le dessin, la photographie et la sculpture, Abel Techer incarne la performativité des genres telle que Judith Butler l’a théorisé dans son ouvrage Trouble dans le Genre (1990). Toujours en 2015, il réalise un nouvel autoportrait. Une oeuvre sans titre où l’artiste se représente le torse nu, légèrement de trois quarts. Tandis qu’il nous regarde fixement, il pince et rehausse sa poitrine. Au mur, au-dessus de lui, sont accrochés deux pompons en laine, signes d’une masculinité vulnérable. En bas de la composition à gauche est déposée une paire de ciseaux évoquant la coupure, la castration, la transition. Plusieurs récits nous sont proposés, à nous de nous projeter. Cette oeuvre, présente à la Maëlle Galerie, témoigne d’une rencontre plastique et politique avec Abel Techer. Il m’était difficile de penser sans elle la première exposition monographique de l’artiste à Paris. Elle est un point de départ, une introduction à son travail actuel.

À partir de la peinture de 2015, se déploie dans l’espace de la galerie une sélection de ses dernières oeuvres. Cinq années ont passé. Si Abel Techer mène une recherche déterminée par les problématiques de l’autoreprésentation, de l’autofiction et de la performativité des genres, les oeuvres récentes attestent d’une radicalisation de son positionnement vis-à-vis d’un refus d’une binarité étouffante. Aux normes déterminantes et rassurantes, Abel Techer préfère le trouble et une pluralité d’alternatives. Cheveux rasés, l’artiste fait de son corps un objet, un mannequin en plastique qu’il habille, déshabille, asccessorise et maquille sans relâche. Un corps imberbe, sans âge et sans contexte. Un corps libéré d’une identité toxique à laquelle chacun.e devrait se conformer : être assigné homme ou femme de la naissance jusqu’à la mort. Un corps mis en scène au creux de fantasmes ou de fantasmagories dont le lieu serait l’enfance. Les peluches, les bibelots, les motifs et les couleurs pastel nous renvoient vers ce territoire où le mouvement est permanent. Un moment de transition, de transformation où les corps ne sont pas encore tout à fait normés. Un moment de jeu, de peurs, de rêves, de devenirs. 

Abel Techer explore les possibles en renversant la traditionnelle représentation d’une masculinité souveraine (Paul B. Preciado) : « un homme, un vrai, est évidemment [blanc, ndla] hétérosexuel, autonome, actif, agressif, compétitif et possiblement violent. » De nombreux.ses artistes s’emploient à déconstruire cette masculinité hégémonique, pour inventer et mettre en oeuvre des masculinités plurielles. Comme Claude Cahun, Michel Journiac, Cindy Sherman, Samuel Fosso ou Luciano Castelli, il préfère représenter la fluidité et une confusion revendiquée. Il parle de corps incomplets : « Le corps comme la représentation sont en train de se construire ou se défaire, c’est un état transitoire, une plateforme en mouvement. » Le choix d’un traitement académique participe d’une volonté de s’inscrire dans une histoire de l’art jusqu’ici écrite et fabriquée par les tenant.e.s du patriarcat. Le classicisme des peintures et des dessins est un statement plastique et politique. Par lui et par une douceur hautement subversive, Abel Techer introduit l’insolence, la joie, la vulnérabilité, l’ironie et l’inconvenance. Car il s’agit en creux de signifier l’exclusion de corps soigneusement mis à l’écart d’une histoire de l’art trop autoritaire et trop malveillante. Dans la lignée de ses ainé.e.s, l’artiste s’engage pour un art pensé par-delà les normes et les traditions, un art absolument queer.

Julie Crenn
docteure en histoire de l’art, critique d’art (AICA)
et commissaire d’exposition indépendante. 

Abel Techer est né en 1992 à La Réunion. Vit et travaille à La Réunion.
Il a suivi une formation à l’Ecole Supérieure d’Art de la Réunion où il obtient son DNSEP en 2015 avec les félicitations du jury. Il a également étudié à la Escuela Superior de Arte y Diseño de Alicante (EASDA) en Espagne.

Vue exposition I call you from the crossroads d'Abel Techer du 06 février au 20 mars 2020 Maëlle Galerie Paris Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Vue exposition I call you from the crossroads d’Abel Techer du 06 février au 20 mars 2020 Maëlle Galerie Paris Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Vue exposition I call you from the crossroads d'Abel Techer du 06 février au 20 mars 2020 Maëlle Galerie Paris Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
AVue exposition I call you from the crossroads d’Abel Techer du 06 février au 20 mars 2020 Maëlle Galerie Paris Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Abel Techer Sans titre huile sur toile 170 x 230 cm 2020 Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Abel Techer Sans titre huile sur toile 170 x 230 cm 2020
Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Vue exposition I call you from the crossroads d'Abel Techer du 06 février au 20 mars 2020 Maëlle Galerie Paris Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Vue exposition I call you from the crossroads d’Abel Techer du 06 février au 20 mars 2020 Maëlle Galerie Paris Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Abel Techer Rite pour d’autres corps huile sur toile 120 x 140 cm 2020 Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel
Abel Techer Rite pour d’autres corps huile sur toile 120 x 140 cm 2020
Courtesy Maëlle Galerie Copyright Jérome Michel