VICTOR’S TRACES
EN DIRECT / VICTOR’S TRACES, une œuvre dans l’espace public et une exposition du collectif K-Dix80 du 24 au 28 avril 2024 dans le cadre du programme OFF d’ArtBrussels
par John Lippens
Un double défi attendait le néo-collectif molenbeekois K-Dix80 : se confronter dans l’espace public à un édifice funéraire de Victor Horta (Inauguration de l’installation au cimetière de Molenbeek, en présence des responsables institutionnels et politiques le 24 avril 2024 à 15h) et le laisser inséminer toute une série d’œuvres exposées à l’occasion du programme OFF d’ArtBrussels, Rue Vanderstichelen 44, 1080 Bruxelles (près de Tour & Taxis)
Commençons par le vaste cimetière du Molenbeek St Jean, où, dès l’entrée, vous accueille une haute stèle, composée de trois plaques en acier corten, dans lesquelles sont ajourées des découpes typiques de la gestuelle “art nouveau“, toute faite d’élans gracieux mi-végétaux, mi-abstraits. Une façon de prévenir le visiteur : ici, il y a de l’art. Il faut savoir qu’avant l’intervention de K-Dix80, la rencontre avec la tombe érigée en 1896 par Horta pour une famille de notables bruxellois tenait plus du hasard que de la nécessité.
C’est pourquoi K-Dix80 décida de mettre en place une signalétique qu’il nomma déconstructive, en référence aux motifs décoratifs de la tombe que le collectif scanna pour les intégrer dans ses différentes interventions. Sur des pavés bleus, qu’il coula numériquement, comme découpes dans des plaques d’acier corten, ou dans les nombreuses images présentées à l’exposition.
Les pavés, justement, tels les cailloux d’un petit Poucet altruiste, mènent le public désorienté vers cette tombe magistrale, qui s’élance vers le ciel, tout en gardant une connexion forte avec la terre, grâce au soin apporté par Horta à la liaison entre horizontales et verticales.
A côté de la tombe, une plaque calligraphiée en arabe (n’oublions pas la multiculturalité de Molenbeek) reprend cette fameuse citation de Horta : « Ce n’est pas la fleur que j’aime à prendre, moi, comme élément de décor, mais la tige. ». La correspondance formelle est frappante entre la tombe et cette écriture élégante, et un dialogue musical s’installe entre les deux, donnant du crédit aux recherches actuelles portant sur la possible influence de l’art islamique sur l’art nouveau.
L’observateur attentif remarque autour de la tombe les nombreux points d’ancrage d’une barrière aujourd’hui disparue, mais protagoniste majeure dans l’exposition de K-Dix80, proposée dans le programme OFF d’ArtBrussels. Aucune représentation connue de cette barrière manquante n’est à disposition, aussi le remuant collectif molenbeekois a fait appel à l’intelligence artificielle pour combler cette lacune. En quelques clics, celle-ci nous propose toute une série de barrières sorties d’un imaginaire collectif ayant consommé trop de substances illicites : exubérantes, erratiques, illogiques, cette parade tératogène nous confronte de façon salutaire aux dérapages possibles de notre prothèse cérébrale en vogue.
De grandes images étranges poursuivent cette collaboration entre mediums classiques comme la peinture ou la photographie et l’IA, alors que des éléments de découpe des plaques précitées approfondissent la facette d’une exposition que l’on pourrait considérer comme le négatif, au sens photographique, de l’intervention réalisée au cimetière. Des photos de médaillons funèbres semblent d’ailleurs s’envoler par la grâce d’une installation textile dynamique et de délicates photographies, imprimées sur papier de soie, parachèvent cet hommage aux disparus, qu’ils soient de pierre ou de chair.
Sans que jamais la mélancolie, qui aurait pu être le risque majeur de ce projet, n’occupe le devant la scène. Grâce notamment à une scénographie aérée, cette exposition parle avec intelligence de la mort et de la disparition, avec sobriété, calme et beauté.