VICTOR CORD’HOMME
Victor Cord’homme, Le panier de basket compteur, 2023. Encres acryliques sur toile, 150 x 100 cm. Courtesy artiste
PORTRAIT D’ARTISTE / Victor Cord’homme à l’occasion de son exposition personnelle N.O.É., Nacelle Observant les Étoiles, du 24 juin au 24 septembre 2023, Les Tanneries – Centre d’art contemporain, Amilly
par Valerie Toubas et Daniel Guionnet, fondateurs et rédacteurs en chef de la revue Point contemporain
Commissariat de l’exposition : Éric Degoutte
Le travail de Victor Cord’homme nous inscrit de plain-pied dans un monde formaté au mapping des idées nouvelles, à la technologie embarquée et connectée, où la conscience écologique, le renouveau énergétique et la réinterprétation des définitions de l’humain se vivent en actes. Au centre d’art Les Tanneries d’Amilly, il invite les visiteurs à embarquer dans ce qu’il définit comme « une arche » autonome et autosuffisante qui s’apparente, dans une forme d’anticipation poétique, à une ville flottante prête à lever l’ancre pour nous donner à explorer ces changements de paradigmes. À la manière de ces artistes, de Brunelleschi à Léonard de Vinci, mais aussi d’Albert Robida à Marcel Duchamp, qui ont vécu des mouvements de renouveaux culturels et technologiques, il prend lui-même une part active aux changements que connaît la société actuelle, se nourrissant des nouveaux systèmes de pensée et se montrant curieux des découvertes scientifiques, technologiques ou environnementales. Il aborde dans ses œuvres les nombreux changements qui modifient notre perception de l’environnement, de la ville et des nouvelles mobilités de manière scientifique, notant dans des carnets ses réflexions qu’il illustre par des croquis. Artiste-inventeur, il donne à son atelier le nom de Cord’hommerie, le transformant en une fabrique totale où se modélisent les espaces de vie qui seront bientôt les nôtres.
Victor Cord’homme envisage ses nouvelles peintures comme une cartographie de l’exposition N.O.É. (Nacelle Observant les Étoiles). Introduisant les sculptures et installations qui prennent place dans l’espace de la Verrière, elles se caractérisent par une vue isométrique 2D, à la manière des jeux vidéos, dévoilant ainsi aux visiteurs le parcours dans lequel ils s’apprêtent à entrer. Inspiré nous dit-il par la disposition de l’espace, « situé à l’étage, suspendu entre terre et ciel », il entend donner au visiteur le sentiment de prendre place à bord d’un de ces mobiles aériens qui parsèment l’exposition. Les peintures peuvent ainsi être abordées comme un plan de vol. Elles illustrent également le protocole d’alimentation électrique de l’exposition entièrement régie par l’énergie solaire, par la représentation d’un réseau câblé qui passe de toile en toile jusqu’à une centrale électrique alimentée par un dispositif de panneaux solaires. Cette vue omnisciente qu’offrent les peintures, engage les visiteurs à réfléchir sur l’impact énergétique et au-delà, écologique, de leur présence. Tenant compte de la quantité que peut développer un être humain en joules, elle-même quantifiable en électricité, l’exposition est amenée à évoluer tout au long de la journée selon le nombre de visiteurs présents. Des capteurs comptant le nombre de personnes activent plus ou moins de sculptures. L’exposition peut même, nous dit Victor Cord’homme, « être épuisée à la fin de la journée donnant ainsi conscience à chacun de l’énergie qu’il utilise ».
Des préoccupations écologiques qui sont abordées par l’artiste sous des formes poétiques, à la fois par les titres des œuvres (Goldylateur) et l’origine des matériaux employés. Il s’interroge sur le respect et la place du vivant dans la redéfinition de nos environnements transformant les engins de chantier et outils mécaniques de destruction, en générateurs d’espaces safe, dépourvus des modes d’agression qui ont, il y a encore peu, défini les rapports entre humain et nature, entre ville et territoire. Les mondes construits par Victor Cord’homme ne sont jamais cloisonnés mais sont au contraire expansifs, pouvant s’étendre dans un infini que le visiteur peut parcourir en suivant des allées de pots de fleurs ou des outils de signalisation réinventés en céramique et par association de matériaux de récupération. Ces objets de l’espace urbain auxquels se rajoutent le mobilier comme les chaises ou les lampadaires, sont pour l’artiste des « sculptures figuratives » car elles existent matériellement avant de trouver leur place sur la toile. Elles donnent des informations aux visiteurs, créent des chemins de déambulation, jusqu’à acquérir le statut de « symboles ».
Victor Cord’homme porte une attention « individualisée » à ces éléments de notre environnement, faisant confiance en chacun de nous pour en enrichir la lecture, donnant lui-même littéralement vie au métal, à la porcelaine par la fabrication de modules alimentés par des moteurs à énergie solaire. Les œuvres vivent, bourdonnent, s’agitent et sous l’influence des courants d’air qu’elles génèrent, s’animent ensemble. Le mouvement n’est pas qu’unitaire, car comme le suggèrent ses peintures, il naît d’un lien, d’une communauté, d’une attitude participative. Si ses toiles sont dépourvues de personnages humains, ce sont la représentation de chaises avec leurs attitudes anthropomorphiques qui viennent le représenter. Ce qui unit est autant action que sensoriel. Ses œuvrent mettent en évidence une mécanique universelle issue des éléments comme le soleil et le vent, mais aussi de la force conjuguée des visiteurs soulignant le caractère vital du rapport interactif des uns aux autres.
Avec N.O.É. Victor Cord’homme installe une nouvelle forme de circulation dans l’espace d’exposition, à la fois responsable et ludique. Une manière de réinvestir poétiquement ces espaces où la nature est artificielle et où tout est maîtrisé comme pour la performance Le Bulldozer et la Marguerite (2021) dans laquelle il conduit un bulldozer à pédales aux couleurs vives jusqu’à son ancien atelier des Grandes Serres à Pantin pour y récupérer une marguerite géante (Marguerite domestique) qu’il va pousser à travers la Capitale. Le bulldozer, machine sensible, a cette capacité à réinterpréter le décor urbain et les machines de chantier par un effet de contamination poétique. Le film de la performance1 se construit en séquences qui opèrent des contrastes avec l’environnement de la ville, des engins de nettoyage qui participent à un ballet, au TGV cette « bête humaine » des temps modernes tendant à devenir un jouet électrique grandeur nature. À la fois solaire et fantaisiste, l’action est une ode à la beauté d’une ville qui se trouve réenchantée. Le bulldozer atteint une sorte de toute-puissance métamorphique apte avec sa lame à retourner sur son passage une réalité déceptive pour en faire un champ fertile à l’imaginaire. Un projet qui résonne aujourd’hui aux Tanneries par la création d’une déambulation poétique dans l’espace de la Verrière.
Cette mise en mouvement du corps et de la pensée, cette action de déplacer et non d’écraser qu’opère le bulldozer, se retrouve dans le projet N.O.É., exposition dans laquelle les visiteurs, à la manière d’un équipage, s’apprêtent à effectuer la traversée d’un monde qui doit se reconstruire tout en préservant le vivant et en se propulsant grâce à ses propres potentialités énergétiques, vers un territoire pacifié. Victor Cord’homme réussit à dépasser, par une vision cohérente du monde et de ses transformations à venir, cette difficulté des arts à s’inscrire dans le monde moderne où domine l’industrie toute puissante et le règne absolu de la productivité qu’anticipait déjà Jules Verne dans Paris au XXe siècle (1863). Il nous dit être sensible aux propositions du solar punk qui envisagent le futur de manière optimiste, celles du steam-punk qui défendent une ingéniosité dans la construction, ou encore à celles de la low culture qui s’ancrent dans les modes de vie éco-responsables, qui ont toujours favorisé le recyclage et l’emploi d’énergies propres. Des modes alternatifs, complètement détachés de toutes les « machines à gouverner » (Hobbes) qui dominent nos environnements, que l’artiste expérimente en utilisant par exemple des panneaux solaires provenant du recyclage des horodateurs de la ville de Pantin pour produire l’énergie nécessaire à l’animation de ses modules. Il avoue préférer « se débrouiller et réinventer plutôt que d’utiliser des matières ou substances polluantes » afin de créer un écosystème viable. Les travaux de Victor Cord’homme placent l’humain dans une énergie positive et nous rappellent en cela les mots d’Antonin Artaud sur le fait qu’il n’y a pas la vie d’un côté et de l’autre la culture, mais que celle-ci est « un moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie2 ».
Valérie Toubas et Daniel Guionnet
Portrait d’artiste de Victor Cord’homme
initialement paru dans la revue Point contemporain #29 – juin-juillet-août 2023