[FOCUS] Ludovic Sauvage – Le Jardin des Pieuvres

[FOCUS] Ludovic Sauvage – Le Jardin des Pieuvres

Focus sur l’oeuvre Le Jardin des Pieuvres présentée du 15 au 18 juin 2016 dans la Project Room de la Galerie Escougnou-Cetraro.

Artiste : Ludovic Sauvage. Né en 1985 à Aix en Provence. Il vit et travaille à Paris.
Diplômé de la villa Arson (Nice) et des Beaux-Arts de Valence.
Est représenté par la galerie Escougnou-Cetraro.

 

Au rythme et au son du déclencheur du diapo-projecteur, Ludovic Sauvage fait entrer le spectateur dans une boucle de trente-trois pastilles dans lesquelles se reconnaissent des vues d’architectures et de paysages. Des images universelles, rappelant même parfois celles que l’on peut trouver dans les boutiques de souvenirs sur les lieux touristiques, que l’artiste transforme par ce qu’il définit comme « un geste simple ». Un geste qui donne une autre réalité à l’image, une nouvelle version, parallèle, de celle-ci. A la croisée des techniques, Ludovic Sauvage nous parle de l’image et de sa portée, de sa force d’évocation.

Peux-tu nous présenter cette nouvelle pièce ?

Le Jardin des Pieuvres est complémentaire d’un travail intitulé Plein Soleil (2015) qui comptait une série de 81 photographies, soit l’équivalent d’un carrousel complet de diapositives, poinçonnées en leur centre dont j’ai conservé toutes les pastilles prélevées sur les images. J’ai travaillé à partir de cette collection d’opercules en les trempant dans des encres colorées que j’ai réenchassé dans les supports de diapositives. Trente-trois d’entre elles composent Le Jardin des Pieuvres.

Ludovic Sauvage - Plein Soleil, 2015
Ludovic Sauvage – Plein Soleil, 2015

 

Dans les deux séries, on retrouve l’idée de travailler sur un élément central et circulaire…

Cette nouvelle pièce donne un côté un peu lunaire à la collection de paysages utilisés, en contraste avec les images de Plein soleil. Dans cette dernière, par la suppression de l’élément central, la lumière provenait directement du système de projection sans aucun filtre. Elle devenait dès lors visible, se superposant à l’image. Plus qu’un effet de profondeur, elle restait en avant. Un phénomène que l’on retrouve dans Le Jardin des Pieuvres : selon le degré de luminosité des images, les paysages se surimpriment au mur.

Que peux-tu nous dire sur le diamètre de projection qui est assez réduit ?

Cette série tout comme Plein Soleil est une réflexion sur le hors champ. Paradoxalement, le manque au centre de l’image n’est pas gênant, il propose au contraire une autre approche du paysage que l’on a sous les yeux. Pour cette pièce-ci, la question du hors champ est toujours présente mais de manière inversée. J’ai choisi de projeter une image d’une taille assez réduite sur un espace ample.

Ludovic Sauvage - Le Jardin des Pieuvres - 2016 - Courtesy Galerie EScougnou-Cetraro
Ludovic Sauvage – Le Jardin des Pieuvres – 2016 – Courtesy Galerie EScougnou-Cetraro

 

Tu travailles toujours sur des images mobiles, vidéos ou diaporama ?

Même si cette pièce est composée d’images fixes, le carrousel est quasiment la métaphore physique de la boucle vidéo que j’utilise par ailleurs. Pour l’exposition Oscura Primavera, je présentais aussi un travail sur l’image fixe, sur un tissu imprimé mais en cherchant à donner un « mouvement gelé « , encore une fois un travail proche du découpage. Le « montage » propre aux images mouvantes se déplaçant sur des images fixes. Le tout étant de garder de multiples couches de perception possible de l’image, tout en étant plus éloigné de l’effet « d’apparition » de la projection lumineuse.

Il y a aussi une sorte d’effet satiné, très tactile, dans ces projections…

L’ambivalence est soulignée par un procédé assez discret, en effet, j’ai appliqué de la poudre de mica sur le mur accueillant la projection. Une poudre minérale qui produit un effet un peu givré, pailleté. Elle favorise une sorte d’interpénétration entre le support et la projection.

L’encre introduit un discours sur la peinture, sur l’abstraction, sur la limite de la perception d’un espace et sa surface. En séchant, les encres donnent aux pastilles une luminosité d’une grande intensité, avec des effets de matière, dessinant des motifs par endroits. Les prises de vues sont sublimées par des colorations, leur apportent une richesse suffisante pour se dire que ce que l’on a sous les yeux sont des images finies de monde à part entière.

Dédoublement de l’image, croisement des médiums, l’image produite est-elle toujours le résultat d’une manipulation ?

J’essaie de mettre les images sur un point de pivot entre le moment où on peut les percevoir et celui où elles nous échappent complètement. C’est là que l’on parle le mieux de la perception. Rendre compte de manière objective de la réalité, à travers la photographie ou le documentaire, est une tâche impossible. En manipulant les images pour les amener sur un moment de bascule, en les travaillant de manière un peu outrancière ou en enlevant la moitié, elles nous racontent bien plus que ce à quoi elles étaient destinées initialement.
Quand l’encre, en chauffant, prend le dessus sur l’image, on bascule même dans l’abstraction. La projection rappelle également le procédé de recolorisation d’anciennes photographies. Une esthétique qui renvoie, par cette idée de sublimation du réel, à une certaine idée de la mémoire repésentée.

Même si j’ai choisi les fragments de manière aléatoire, leurs formes rondes et finies leur donne une dimension iconique. Ainsi découpés, chacun d’eux crée son petit monde, est complètement autonome et peut donc s’extraire de la série.

Un travail de l’image qui part du lisse jusqu’à devenir incarné…

Le terme incarné est assez juste. Ce n’est pas quelque chose que je maîtrise tout le temps. Dans le sens ou parfois le matériau est lui-même porteur d’aspects qui se révèleront par l’action d’un tiers. L’image s’incarne d’elle-même. Elle déborde de son propre cadre et raconte quelque chose de peut-être un peu plus vaste et plus mystérieux sur le monde.

Je travaille quasiment exclusivement sur la notion d’environnement, de temps et d’espace dans l’image. Un champ finalement assez commun qui est utilisé parfois pour que l’on puisse s’y projeter, ou juste se demander si l’espace possède une profondeur ou pas, ou encore si l’image qui nous est donnée à voir représente un espace ou n’est qu’un enchevêtrement de motifs et de textures.

Pour en savoir plus :
escougnou-cetraro.fr

ludovicsauvage.fr