JIRI NACERASKY, VILLA PELLE, PRAGUE

Vue de l’exposition Jiří Načeradský à la Villa Pellé, Prague
EN DIRECT / Review de l’exposition Jiří Načeradský à la Villa Pellé : La beauté sans voile
Texte Anna Rémuzon
Une exposition événement vient de s’achever à la Villa Pellé à Prague ; l’occasion d’une déambulation chronologique et mémorielle au travers de l’œuvre dynamique et presque symphonique de l’artiste Jiří Načeradský. Figure emblématique et avant-gardiste de l’après-guerre, il a laissé son empreinte dans le paysage de l’art tchèque contemporain… que ce soit dans la représentation des corps, du mouvement ou dans l’audace des couleurs. Né en 1939 à Sedlec-Prcice et décédé en 2014 à Prague, il a passé plusieurs années en France où il a rencontré sa femme. Son travail y est aujourd’hui représenté dans les collections permanentes du Centre Pompidou.
Entrer dans l’exposition c’est entendre une voix… celle de l’artiste et des œuvres ; toutes issues de collections privées. C’est un hommage intime et inédit qui résonne comme des retrouvailles à travers les pièces, les couloirs et les escaliers d’une villa… joyeusement hantée pendant plusieurs semaines.

Au rez-de-chaussez, les œuvres plus anciennes (fin des années 60 - début des années 70) et plus figuratives ont un véritable élan. Il peut être sportif, musical ou cinématographique, le spectateur se sent comme devant un petit ou un grand écran… devant une scène iconique… celle dont on se souvient pour toujours. C’est le moment où l’on retient son souffle… un instant suspendu où tout peut arriver… avant le saut, avant le but, avant le refrain, avant l’amour, avant l’arrivée, avant la fin. Alors l’artiste réalise la prouesse de figer le mouvement et le son qui l’accompagne. L’image se brouille, s’étire, grésille… comme un retour sur image. La vie devient un film, un programme, que l’on pourrait se passer à l’infini… une pellicule qui se déroule, image après image, et que l’on rembobine. En même temps, ces épisodes visuels ont un impact sonore. Tantôt présentateur, chanteur ou acteur… la toile parle au spectateur et les fréquences s’entrecroisent.

Au premier étage, on retrouve des œuvres plus tardives (du milieu des années 70 aux années 80) marquées par une abstraction des corps et des métamorphoses. Des géométries anthropomorphiques aux allures tantôt animales tantôt instrumentales rythment des compositions aux couleurs audacieusement acidulées (jaunes, oranges, bleus, roses…). La femme fatale se présente sous des traits et des attributs d’un érotisme pop et de l’ordre de la science-fiction. Elles pourraient être des mantes religieuses dévoreuses venues d’un espace lointain… une autre planète. Elles sont des fictions d’une époque où l’homme conquiert l’espace et le cinéma de Kubrick ou de Tarkovski rend cet avenir plausible. Mutation ou évolution, les corps ont quelque chose de cosmique et presque de comique avec une prévalence des seins et des bouches dans des contextes et positions inattendus. Il s’agit d’une nouvelle biologie et d’une nouvelle anatomie crédible et paraît tout à fait naturelle. Les hommes-créatures pourraient sortir tout droit d’un cartoon ou d’un film d’animation et forment une nouvelle société futuriste et technologique. Les œuvres de cette époque sont une projection de l’humanité, d’un avenir commun dans une Europe bipolaire divisée par des frontières infranchissables. En soi, imaginer demain est un affranchissement du présent et du lieu pour un artiste qui ne pouvait quitter son pays pour des raisons politiques. L’ailleurs s’exprime sur la toile comme un rêve éveillé.
FIG 4 : Ovni blanc, Huile sur toile, 1980, Collection privée
A travers ces toiles, le mouvement s’exprime encore, mais différemment, de la période antérieure. Ici, on se rapproche de la décomposition du mouvement, des formes et de la lumière initiée par Kupka. Il s’inscrit dans la lignée musicale et sonore de l’abstraction lyrique. Circulaires, tubulaires, instrumentales… les compositions s’écoutent comme un morceau de jazz… la vibration colorée d’une clarinette ou d’un saxophone… à travers un transistor des années 80… et le spectateur peut ressentir la danse des corps à travers la toile. Les figures deviennent attachantes et familières… un morceau de vie quotidienne sublimé par la joie du divertissement.

Enfin, au dernier étage, sous les combles, ce sont les œuvres plus tardives, des années 90 et 2000 qui dévoilent tout et donnent son sens au titre de l’exposition. Ces toiles ont une charge érotique sans détours comme une survivance à tous les tourments de l’histoire… une forme d’éternité. A ce titre, ces toiles constituent un point d’orgue sur la partition de l’artiste qui culmine ici à la fois dans l’amour comme dans le désespoir… à l’instar de l’alcool. C’est une conclusion profondément existentielle et brutale… l’unisson d’un cri de joie et de douleur… la beauté sans voile de l’humanité.
Plus d’infos : https://www.instagram.com/jiri_naceradsky