JULIEN-ARNAUD CORONGIU
Julien-Arnaud Corongiu
Vue exposition personnelle « Comme tout le monde, j’ai voulu vivre » présentée à la Galerie Olivier Waltman (74, rue Mazarine, Paris) jusqu’au 30 mars 2024.
ENTRETIEN / Julien-Arnaud Corongiu
Entretien réalisé par Maria Xypolopoulou à l’occasion de l’exposition personnelle « Comme tout le monde, j’ai voulu vivre » présentée à la Galerie Olivier Waltman (74, rue Mazarine, Paris) jusqu’au 30 mars 2024.
Né à Forbach, Julien-Arnaud Corongiu vit et travaille à Paris. Admis en 2016 aux Beaux-Arts de Liège où il obtient un Master Arts plastiques, visuels et de l’espace option peinture en 2018, il intègre par la suite l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges. En 2022, il est lauréat du Prix de Dessin Pierre David-Weill de l’Académie des Beaux-Arts de Paris. Le travail de Julien-Arnaud Corongiu est profondément introspectif et personnel. À travers la peinture et le dessin, il met en lumière la fragilité et l’humilité de la condition humaine. La pratique artistique de Julien-Arnaud Corongiu est un processus d’exploration de soi, d’expression de sensibilités plus profondes et de tentative de découverte des mécanismes internes qui déterminent le subconscient. Son regard est pénétrant, comme s’il cherchait à découvrir les secrets de sa propre identité à travers un miroir. Sans vouloir s’identifier par des autoportraits aux personnages qu’il représente, Julien-Arnaud Corongiu les utilise comme moyen de communiquer ses pensées au spectateur et l’invite à rechercher la rédemption et la purification des angoisses existentielles universelles.
Vos études sont dédiées au dessin et à la peinture. Quel est ton rapport à la peinture, quand et comment avez-vous aperçu que vous vouliez suivre ce chemin professionnellement ?
J’ai toujours dessiné étant enfant. J’ai toujours eu cette envie de créer. Je pense que j’avais ce besoin d’extériorisation très tôt. Lorsque j’étais petit, à la maison, ma mère avait des livres avec les grands maîtres de la peinture, mais j’ai réellement eu cet attrait, cette passion pour l’art, bien plus tard. À l’école, j’ai toujours eu des facilités en arts plastiques et j’adorais cette matière. Vers l’adolescence, j’ai mis un peu de côté la pratique du dessin et je me suis tourné vers la composition musicale. À la fac, j’avais choisi des cours optionnels en histoire de l’art, preuve que cet intérêt était déjà présent. Plus tard, j’ai suivi des études de design graphique, peut-être pour avoir une certaine stabilité ou sécurité. Cela reste dans le domaine de la créativité, mais cela ne me convenait pas, ce n’était pas moi. J’avais du mal avec les règles imposées et le fait de répondre à une demande. J’ai eu un professeur en licence de graphisme, qui a ravivé mon intérêt pour l’art et le dessin, il avait également une pratique artistique. J’ai commencé à beaucoup m’intéresser à la peinture et j’ai réellement débuté une pratique artistique plus sérieuse vers mes 27 ans, avec l’idée d’intégrer les Beaux-Arts afin de m’y consacrer pleinement. C’était un vrai choix, peut-être pour me sentir plus légitime. Ce qui aujourd’hui, avec du recul, ne fait plus partie des questionnements que je peux avoir. Ce n’est pas un passage obligatoire, même si j’y ai beaucoup appris, surtout avec les autres étudiant.es et les échanges que l’on pouvait avoir.
Vos études se sont achevées en 2021. Un an plus tard, vous réalisez votre première exposition personnelle à la galerie Olivier Waltman. Comment et à quelle occasion avez-vous décidé de vous installer à Paris et comment cela a-t-il impacté votre travail artistique ?
Je venais de terminer mes études aux Beaux-Arts de Liège en 2018. J’avais réussi à être accepté directement en Master, n’ayant pas fait de DNA ou de prépa en art juste avant. Je sentais que je n’avais pas achevé mon apprentissage et qu’il me manquait, peut-être, quelques années dans une école d’art. Sûrement encore une fois cette question de légitimité. Pendant la crise liée au covid, j’ai voulu tenter à nouveau les Beaux-Arts, mais cette fois, dans une école française. J’ai intégré les Beaux-Arts de Bourges, mais je n’avais pas trouvé ce que je pensais y chercher. Les conditions liées au covid n’ont sûrement pas aidé. J’ai pu néanmoins y rencontrer des professeur.es intéressant.es et avec qui je suis resté en contact. C’était tout de même un passage enrichissant. Concernant mon arrivé à Paris, cela est dû en grande partie au prix de dessin que j’ai remporté en 2022. Tout est très centralisé en France et lorsque l’on est un artiste émergent, l’idée d’être présent à Paris est comme une nécessité. Grâce à ce prix, j’ai pu être mis en avant ce qui m’a permis de rencontrer Olivier Waltman, qui est mon galeriste aujourd’hui. L’idée de m’installer près de la capitale était plus évidente, également pour profiter de l’offre culturelle de la ville. D’où je viens, l’accès à l’art est très compliqué et lorsque j’étais enfant, quasiment inexistant. Heureusement, ma mère lisait beaucoup et s’intéressait à plein de choses. Cela a été une vraie chance d’avoir eu une exposition personnelle si tôt, même si j’ai mis six ans de mon entrée aux Beaux-Arts à réellement exposer mon travail et qu’il se passe quelque chose. Avec du recul, c’était salutaire d’avoir ce temps d’expérimentation et de réflexion sur mon travail. C’est même primordial, voire nécessaire. Lorsque l’on est aux Beaux-Arts, en tout cas, de mon expérience, nous ne sommes pas préparés à l’après études et cela peut parfois être très violent, raison garder. Je ne pense pas qu’être à Paris ait tant impacté mon travail, peut-être inconsciemment, bien sûr, car j’ai pu voir beaucoup d’expositions et rencontrer des artistes afin d’échanger sur nos pratiques respectives, on se sent moins seul. Être présent à la capitale m’a surtout nourri.
Vous avez été nominé et même finaliste aux prix d’art (Lauréat du Prix de Dessin Pierre David-Weil de l’Académie des Beaux-Arts de Paris en 2022, DDESSIN 2023). Dans quelle mesure pensez-vous que les récompenses influencent l’évolution de la carrière d’un jeune artiste ?
Ici, je vais parler de ma propre expérience. Avant d’avoir remporté le Prix David-Weill, il ne se passait rien pour moi dans le milieu de l’art. Certes, j’avais une pratique artistique régulière, qui selon moi est le plus important pour un artiste, mais je n’exposais pas et je pense qu’un artiste a besoin de montrer son travail, de sentir de l’intérêt pour sa pratique, afin de continuer sur le long terme. Grâce à ce prix, j’ai pu également rencontrer mon galeriste actuel, Olivier Waltman. Cela a été un véritable tremplin dans mon envie de carrière artistique. Cela m’a donné une visibilité, que je n’avais pas et cela s’est réellement concrétisé par une représentation en galerie. Je ne remercierai jamais assez le jury d’avoir cru en mon travail, ainsi qu’Olivier, de me faire confiance aujourd’hui.
Dans les deux cas votre participation a concerné vos œuvres de dessin. Comment expliquez-vous l’intérêt accru pour le dessin dans l’art contemporain aujourd’hui ?
J’aime beaucoup le fait que le dessin vive indépendamment d’une pratique de la peinture, par exemple. Souvent, le dessin était considéré comme un faire-valoir, comme une étude à un travail futur de peinture. C’est comme si un dessin ne pouvait exister sans un ajout supplémentaire. On a tendance à sacraliser la peinture, de par son histoire, mais selon moi, le dessin est une vraie pratique, un médium à part entière, au même titre que la peinture et ne doit pas être sous-évalué. Le dessin, c’est simple, mais pas simpliste, instantané. Cela demande moins de matériel que d’autres pratiques, telle que la peinture, pour ne citer qu’elle. J’aime et j’ai besoin, dans mon travail, de passer d’un médium à l’autre, sinon, je m’ennuie vite. Le dessin peut incarner une belle pause dans un travail plus rigoureux, qui nécessite plus de temps, comme la peinture à l’huile ou autre.
Je ne pourrai pas définir pourquoi il y a un regain d’intérêt pour le dessin aujourd’hui. Lorsque j’étais aux Beaux-Arts, nous étions peu à utiliser le fusain et encore moins à utiliser l’encre ou l’aquarelle, mais ce côté spontané et le fait de jouer avec les accidents que peuvent créer ces médiums m’ont toujours attiré. Peut-être que les différentes foires de dessin, tel que Drawing Now, Ddessin ou Art on Paper, pour ne citer qu’elles, contribuent à cet élan et cette vitalité pour la pratique du dessin. Également, certains prix importants exclusivement réservés à cette pratique, comme le Prix David-Weill, en toute objectivité !
Vous utilisez différentes techniques : l’encre ou le fusain sur papier et l’aquarelle. Comment fonctionne chacune de celles-ci pour vous ? En quoi, par exemple, la pratique de l’aquarelle influe-t-elle vos dessins d’encre et fusain sur papier et inversement ?
Comme j’ai pu l’évoquer précédemment, j’ai besoin d’utiliser différents médiums. Je ne peux pas passer trop de temps sur une œuvre ou avec un seul médium, question de tempérament. L’utilisation de l’aquarelle a été très importante dans ma pratique. Il y a réellement eu un avant et un après dans mon travail lorsque j’ai utilisé ce médium. J’ai pu trouver des choses que je n’avais pas lorsque je peignais à l’huile. Il y avait une plus forte cohérence entre ce que je voulais exprimer, mon sujet et le médium. Les questions de recouvrements et celles des accidents pouvaient être présentes lors de mon travail précèdent, mais avec l’aquarelle, c’était plus juste, plus convaincant. J’ai pu faire un vrai travail de recherche sur la couleur, car le repentir n’est pas permis, il faut tout de suite choisir la bonne couleur et cette donnée est prépondérante dans mon travail, et ce, depuis le début. J’ai beaucoup regardé le fauvisme lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la peinture, beaucoup moins aujourd’hui, mais il est possible que la place de la couleur dans ma pratique vienne de là. J’ai également pu expérimenter plusieurs types de papiers, car cela reste fondamental. Les rendus peuvent être très différents d’un papier à l’autre, il ne faut pas négliger cet aspect.
En tant que créateur, comment définissez-vous la frontière entre la pratique de la peinture et celle du dessin ? Au final, pensez-vous qu’il y a aujourd’hui des limites à ce que l’on définit le dessin ou sa pratique commence-t-elle à devenir de plus en plus ouverte ?
Le dessin et la peinture peuvent être étroitement liés. Mais comme évoqué précédemment, il ne faut pas voir le dessin comme un faire-valoir à d’autres pratiques artistiques. Bien entendu, cela peut servir à débuter une peinture, comme beaucoup d’artistes le font, mais un dessin peut exister de lui-même et être tout aussi fort. Par exemple, je ne dessine jamais au crayon avant de commencer une peinture, j’attaque directement avec la couleur et les pinceaux. Je ne dis pas que c’est mieux ou moins bien, c’est juste ma façon de faire. La peinture peut avoir un sentiment plus prestigieux, de par sa place dans l’histoire de l’art, mais je pense que cela n’est plus une question aujourd’hui. Je ne veux pas créer de hiérarchie entre les différentes pratiques et médiums, cela n’est pas très intéressant.
Vos œuvres passent d’une période plus sombre à une période très colorée. Du noir et blanc aux couleurs vives. Plus précisément, le violet domine la palette de votre récente exposition personnelle et semble exprimer d’états de sensibilité très différents : à la fois le deuil, la lassitude et l’empathie. La couleur parait également détacher les figures humaines du monde réel. Comment la couleur participe-t-elle des effets que vous souhaitez imprimer sur la toile ?
La couleur est pour moi la chose la plus difficile et la plus stimulante dans un travail plastique. Une couleur proche d’une autre peut tout changer. J’ai tendance à la privilégier à un travail plus réaliste, qui m’intéresse beaucoup moins, même chez d’autres artistes que je peux regarder. Dans ma pratique, je joue avec la dualité que peut exprimer l’utilisation de couleurs vives, que l’on peut considérer comme joyeuses, confrontées à des sujets plus graves, lourds ou tristes. Cette ambivalence m’intéresse et constitue une part importante de mes réflexions liées à mon travail actuel. Cela peut adoucir ces sujets profonds, mettre de la distance. Cela s’est un peu imposé à moi. Je ne me suis pas dit que je devrai employer ce procédé. C’est après coup, à force d’expérimentations, que j’ai remarqué que j’avais tendance à utiliser une palette très vive et colorée. Je ne prépare pas une palette de couleur en amont, tout vient assez spontanément et cela part souvent d’une couleur. Je pense à une couleur, que j’aimerais utiliser pour un fond ou pour un vêtement par exemple et cela amène les suivantes. J’aime que les choses soient faites sur l’instant.
Le titre de la récente exposition « Comme tout le monde, j’ai voulu vivre » fonctionne comme s’il annonçait la suite de la précédente intitulée « c’est comme si je n’existais plus ». « Je » reste fermement dans la phrase, rappelant au spectateur le caractère introspectif des œuvres présentées dans la galerie. De plus, observant les titres des œuvres, nous constatons que vous y déposez un morceau de votre expérience personnelle, un morceau de votre âme. Les deux titres ici évoquent le passage de l’obscurité à la lumière qu’exprime votre palette, le passage du besoin d’une présence invisible sur terre à l’extraversion, du déni de la vie à l’acceptation des défis et des difficultés qu’elle nous réserve. En même temps, il y a un passage du « je » au « nous » par l’ajout du « comme tout le monde », comme si vous vous identifiez désormais davantage aux spectateurs. Quelle est l’origine du titre qu’est-ce qu’avez-vous voulu exprimer ?
C’est très intéressant le rapport des deux titres évoqués ici, cela n’était pas conscientisé, mais effectivement, cela prend tout son sens aujourd’hui, avec la nouvelle exposition. Les titres sont très importants dans mon travail, j’y accorde beaucoup d’intérêt. Je prends plein de notes pour trouver des titres. Cela vient souvent comme une évidence. J’aime la poésie que peut amener un titre, également, les différentes pistes de lecture que cela peut donner sur une œuvre. Cela peut constituer un ailleurs, des champs de réflexion nouveaux. Je suis très sensible aux mots, à l’écrit. J’aime beaucoup la littérature pour cela, le pouvoir d’impacter et de faire voyager seulement par une phrase. Quelques mots peuvent nous frapper littéralement, comme un coup-de-poing, c’est très fort. Concernant le titre de l’exposition, je vois deux lectures possibles. Un côté plus tragique, qui peut évoquer et questionner la mort, le néant, ou une façon d’exprimer que j’ai voulu vivre comme tout le monde, que j’ai essayé, mais que je n’ai pas réussi. J’envisage cela plutôt comme la seconde proposition. Il y a également un rappel à la thématique de l’exposition, qui parle essentiellement de l’expérience du deuil, de la mélancolie, de l’absence, du manque, de difficultés et de questionnements existentiels. En somme, quelque chose de très joyeux !
Malgré le caractère autobiographique de votre travail, vous vous inspirez principalement d’images d’archives trouvées sur internet pour dresser le portrait d’inconnus. Qu’est-ce qui vous intéresse dans les individus que vous choisissez ?
J’utilisais des images d’archives, essentiellement dans mon travail précédent, car je travaillais beaucoup sur la figure du soldat. Une image peut me toucher, de par la posture d’une figure humaine, ce qu’elle peut me faire ressentir ou m’inspirer. L’humain est au centre de mon travail. Pour cette nouvelle exposition, il s’agit d’un travail très personnel, autobiographique et je ne me voyais pas utiliser de modèles. Je ne veux pas non plus que l’on prenne mes récentes œuvres uniquement comme des autoportraits. Cela ne m’intéresse pas vraiment de me représenter, mais cela était nécessaire pour cette exposition, cela s’est imposé. C’est pourquoi j’aime que les visages puissent être effacés ou recouverts. J’aime cet aspect universel. J’ai toujours utilisé ce procédé dans mon travail. J’aime que l’on ne me reconnaisse pas toujours, même si je sais qu’il s’agit toujours de moi. Et plus globalement, cela était également le cas dans mes précédents travaux, car même s’il ne s’agissait pas d’une image source me représentant, cela était toujours lié à mon histoire, même si je passais peut-être par d’autres moyens pour l’exprimer. J’avais peut-être peur. Peur d’être trop direct. Aujourd’hui, j’ai décidé d’assumer ce que j’ai pu vivre et être finalement juste moi, le plus sincère possible.
Je me rends compte que les postures sont très importantes dans mon travail et elles veulent dire quelque chose de la personne représentée. C’est comme si elle portait le poids de son existence sur elle, le dos courbé, la tête baissée, comme pour mieux traduire un état. La condition humaine, la difficulté de l’existence, de se détacher de son environnement, de son histoire, voilà ce que je veux transmettre par le biais de ces corps.
L’absence des figures féminines est-elle un choix conscient ?
On m’a souvent posé cette question, sur la représentation des figures féminines dans mon travail et j’avoue ne pas y prêter attention. Cela n’est pas un questionnement que je peux avoir, même si ça m’est déjà arrivé de représenter une femme et je vais sûrement le faire plus tard, j’ai déjà certaines pistes de réflexion à ce sujet. Les questions de représentation et d’inclusivité sont plus importantes, voire nécessaires, essentielles même, dans notre société. J’y attache beaucoup plus d’intérêt que dans mon propre travail, peut-être à tort, mais dans ma pratique, j’aime que les choses s’imposent à moi. Un jour et je l’ai déjà fait, je vais représenter des femmes, car il y aura un intérêt à le faire. Ce n’est jamais calculé. J’accorde beaucoup d’importance à la sincérité dans mon travail. Représenter une personne seulement pour ce qu’elle est, par exemple pour sa couleur de peau, son genre, etc, ne m’intéresse pas tellement. C’est plutôt son histoire qui pourrait m’intéresser. Plus généralement, je n’aime pas trop le fait de forcément se définir. Femme ou homme, cela ne fait pas partie de mes problématiques. C’est l’humain qui m’intéresse. Cela fait très bateau, mais je n’ai pas trouvé mieux.
Le deuil, la solitude et la souffrance existentielle de la condition humaine constituent des réflexions permanentes dans votre travail. Qu’est-ce qui vous a amené à ce sujet ? Pensez-vous que le choix d’un thème moins agréable et insouciant affecte le caractère commercial d’une œuvre ;
Cela s’est imposé à moi. Je ne pense pas que l’on choisisse réellement un sujet. Même lorsque l’on commence un travail artistique, j’ai l’impression que tout est déjà très vite en place, puis l’on s’en détache, on explore et l’on y revient. Mon travail part toujours de moi et de mon histoire. Je peux difficilement peindre ce que je n’ai pas vécu ou vu. J’ai besoin d’expérimenter, avant de le traduire plastiquement. C’est souvent cathartique. J’ai besoin que mon travail soit le plus sincère possible. Même si je passe par des chemins détournés, par exemple, lorsque je représentais des soldats, il s’agit toujours de moi. Au début de ma pratique, je ne voulais pas être trop frontal. J’avais sûrement peur d’assumer les choses, de livrer une partie de mon histoire à celles et ceux qui pourraient voir mes œuvres. Puis, avec le temps, j’ai décidé d’affronter la réalité, la mienne et de me livrer à travers mon travail. Finalement, d’être simplement moi-même, de manière sincère. D’accepter mon vécu, sans se cacher derrière des artifices. J’ai toujours eu du mal avec le premier degré, le fait de se prendre trop au sérieux dans la vie de manière générale. J’essaie de le faire dans mon travail. J’avais sûrement besoin de régler un problème de légitimité, de part l’endroit d’où je viens, mon environnement, ma classe sociale. Aujourd’hui, ce n’est plus des questionnements que je peux avoir. Ce n’est pas quelque chose d’important. Seul le fait de continuer à créer l’est. Le reste n’est que fioritures.
Je ne pense pas que le fait de représenter un thème plus léger affecte l’œuvre ou son attrait commercial. Le pouvoir commercial d’une œuvre ne m’intéresse pas et ne fait pas partie de mes questionnements lorsque je travaille. Bien évidemment, il est bon de vendre son travail, pour chaque artiste, mais cela ne doit pas entrer en considération lorsque l’on est dans l’étape de création. Le travail plastique prime sur le sujet en tant que tel et surtout, sur le blabla explicatif ! Après, libre à chacun d’être plus sensible à un sujet ou à un autre.
Vous faites le choix de représentations humaines où la personne est seule, unique sur la toile, et empreinte de mélancolie et de solitude. Les personnages rappellent à la fois des marionnettes attendant l’intervention d’un Deus ex machina pour les aider et parfois avec des mouvements tendres ils s’embrassent eux-mêmes. Finalement c’est une solitude triste ou délibérée ?
Je différencie, effectivement, la solitude choisie ou subie. L’une peut être belle, surtout nécessaire dans mon cas et l’autre, moins agréable et difficile. Au risque de soutirer quelques larmichettes, à tort, j’ai beaucoup été seul, parfois par choix, parfois non et je peux apprécier cela. J’ai besoin de moments de solitude. Forcément, cela se retranscrit dans mon travail. Encore une fois et j’ai l’impression que ce mot revient souvent, mais cela s’est imposé. Ce n’est pas quelque chose que j’ai délibérément choisi, en me disant que j’allais représenter des figures seules. Rien n’est réellement figé dans une démarche artistique. J’aime beaucoup cette idée d’attendre l’intervention d’une tierce personne, d’un Deus ex machina. Cela reprend une précédente série sur laquelle j’ai travaillé, le fait d’attendre quelque chose.
Dans plusieurs œuvres, on retrouve la répétition du même motif, comme par exemple le bouquet de fleurs. Comment fonctionne cette option et à quoi sert-elle ?
Je travaille toujours en série. J’ai besoin d’épuiser un sujet. Je peux être assez obsessionnel dans mon travail, avec des récurrences. Sur la question du bouquet, ce sont des fleurs que l’on offre pour un deuil, des fleurs blanches. Elles ne sont pas traitées, elles restent inachevées, avec la réserve du papier blanc pour que l’on se focalise dessus, qu’elles attirent notre attention. Cela peut permettre d’oublier la figure humaine et de se concentrer sur le bouquet, qui est souvent central au niveau de la composition ou à contrario, révéler la figure, avec l’aspect non traité du bouquet. Il s’agissait également de mieux souligner son aspect éphémère. Le bouquet de fleurs est quelque chose de très intéressant en termes de symbolique. Tu offres un bouquet pour un moment joyeux, par exemple, une naissance ou pour un malheur, comme un décès. Il y a une forme de dualité, de contradiction entre le bien et le mal, le positif et le négatif, la vie et la mort. Ici, ce sont plutôt des fleurs de deuil. Cela peut également être pour exprimer son amour. Le bouquet, c’est une déclaration. Tu te mets à nu. Tu oses assumer ce que tu ressens pour une personne. Tu lui révèles tes sentiments, tes émotions. C’est une sorte de révélation.
Le personnage du soldat dans votre ancien travail, constituait aussi une métaphore importante. D’où est-il provenu cet intérêt ?
Concernant la représentation du soldat et toute sa symbolique, c’était, encore une fois, une question très personnelle, mais cette fois de manière plus détournée. Il s’agissait là de parler d’abandon et d’identité, plus précisément, de sa quête. La métaphore de l’uniforme, interchangeable, m’offrait une manière d’exprimer cette question de l’identité et de son annulation. Je ne traitais pas délibérément le vêtement, toujours en jouant avec la réserve du papier pour illustrer cela. On oubliait l’individu, recouvert par cette masse noire du fusain que j’appliquais. Là, en l’occurrence, j’utilisais des images d’archives, mais je pouvais voir cela comme un autoportrait. C’est de moi dont je parlais, à travers ces soldats. Il n’était pas question d’évoquer la guerre, même si, bien évidemment, cela est directement parlant, tellement ancré dans notre inconscient collectif lorsque l’on voyait cette série. C’est ce que peut représenter la figure du soldat et non sa fonction qui m’intéresse. L’abandon, l’abandon de soi, de tout. De partir, sans savoir si l’on va revenir.