THOMAS DEMAND, LYNNE COHEN : LABORATORIES

THOMAS DEMAND, LYNNE COHEN : LABORATORIES

Thomas Demand, Labor/Laboratory, 2000, C-Print/Diasec, 180 x 268 cm © Thomas Demand, VG Bild-Kunst, Bonn.

EN DIRECT / Réflexion croisée sur les expositions de Thomas Demand jusqu’au 28 mai 2023 au Jeu de Paume et de Lynne Cohen jusqu’au 28 août 2023 au Centre Pompidou, Paris.

Thomas Demand, Lynne Cohen : Laboratories

par Pauline Thoër

L’exposition « Le bégaiement de l’histoire », présentée au Jeu de Paume entre le 28 février et le 28 mai 2023, met à l’honneur les photographies de Thomas Demand (1964, Allemagne). L’artiste construit avec précision des environnements de papier en s’inspirant de lieux existants. Les maquettes qu’il photographie, dénuées de toute présence humaine ou indice d’échelle, se font passer pour habitées jusqu’à ce qu’elles soient trahies par de futiles détails, tels que le manque de bornes électriques dans une prise murale (Refuge V). Les intérieurs clos de Demand, qu’ils soient quotidiens (Pacific Sun) ou moins familiers (Control Room) ne sont pas sans rappeler ceux de Lynne Cohen (1944, USA – 2014, Canada), dont le travail est exposé depuis le 12 avril et jusqu’au 28 août 2023 au Centre Pompidou Paris. La photographe saisit des espaces non mis en scène, d’abord domestiques puis institutionnels, dont l’ambiance latente et le mobilier semblent être les sujets principaux.

Dépourvus de tout contexte, certains espaces fonctionnels comme la chambre sourde se croisent dans les obsessions des deux artistes. Au sein de l’œuvre Labor/Laboratory (Thomas Demand, 2000), Thomas Demand cadre l’angle haut d’une pièce aveugle étrange, nous donnant peu d’informations sur le lieu et son échelle. Il prend soin de créer des modules pyramidales de papier qui, installés de manière régulière sur les murs et le plafond, créent un motif all over, presque hypnotique. Les nuances d’ombres et de lumière apportent une forte dimension sculpturale. Quatre micros suspendus au plafond impliquent une présence sonore, sans doute étouffée dans une matière qui semble feutrée. Pourtant, celle-ci parait lisse, presque creuse. Dans Laboratory (Lynne Cohen, fin 90/2000), Lynne Cohen prend du recul sur ce même espace qu’elle nous montre peut-être dans son entièreté. Il est petit, confiné. Une issue se laisse apercevoir au fond par la signalétique de la sortie de secours, la porte est elle-même recouverte de modules absorbants. Dans le travail de la canadienne, les volumes paraissent sculptés par un outil qui laisse des stries verticales. On image une matière qui se taille facilement et aspire le bruit, du polystyrène par exemple. Les angles usés qui s’effritent le confirment. Si Thomas Demand nous montre le dispositif d’absorption et de captation du son, la source sonore n’est pas visible dans le cadre qu’il choisit. On ne peut qu’imaginer le type de sonorités qui viendrait briser le silence de l’image. Lynne Cohen, quant à elle, ne cache pas les enceintes massives et imposantes qui vibrent entre les murs. La position des micros est bien moins importante que dans la photographie de Demand ou encore dans Laboratory(Lynne Cohen, 1999). Dans cette nouvelle image, Cohen renouvelle son intérêt pour ce type d’espace, capturant cette fois un lieu à l’acoustique opposée : les sons et leurs échos réverbèrent entre les parois carrelées et les voiles tendues. Seule la première image de Cohen présente un corps, celui d’un mannequin ; sa présence reste énigmatique, il est à la croisée des ondes qu’il subit certainement.

Les deux artistes définissent finalement ces œuvres par le terme Laboratory, retenant le caractère expérimental de la chambre sourde. Les tirages en grand format invitent le spectateur à s’immerger dans cet espace atypique qu’il n’a pas l’habitude de côtoyer. Des qualités esthétiques sont tirées de ce lieu curieux et fonctionnel qui a retenu l’attention des photographes. Demand tente de reconstituer chaque détail pour paraître le plus proche de la réalité tandis que Cohen cherche à montrer son absurdité, à en extraire la faille qui semble réfuter le réel.

Pauline Thoër

Lynne Cohen, Laboratory, 114 x 145 cm, fin 90/2000. Courtesy Andrew Lugg.
Lynne Cohen, Laboratory, 114 x 145 cm, fin 90/2000. Courtesy Andrew Lugg.
Lynne Cohen, Laboratory, 111 x 136 cm, 1999. Courtesy Andrew Lugg.
Lynne Cohen, Laboratory, 111 x 136 cm, 1999. Courtesy Andrew Lugg.