Black Dolls – Qui a peur des poupées noires ?

La Maison Rouge expose jusqu’au 20 mai la collection de poupées noires de l’Américaine Deborah Neff. Ce thème vous semble plus étroit que le tour de taille (blanche) de Barbie ? Et pourtant, à partir de cet ensemble unique, la commissaire Nora Philippe développe un écheveau de questionnements qui vont bien au delà du jeu d’enfants.
Visages secrets, mains cachées
La problématique de la représentativité ne date pas d’hier. Dès la fin du XIXe siècle, des éditorialistes noirs exhortent les parents à offrir des poupées noires à leurs enfants, pour qu’ils puissent s’y reconnaître. Mais les enfants préfèreraient les poupées blanches – et c’est encore le cas en 1939, lorsqu’une étude1 présente à de tout jeunes afro-américains une poupée blanche, systématiquement associée aux caractéristiques « belle, gentille », et une noire « laide, méchante ». Ses résultats, dont des images poignantes (datant d’une version de 2008) sont projetées dans le film qui clôt l’exposition, seront utilisées pour démontrer les effets persistants de la ségrégation sur l’image et l’estime de soi.
Puisqu’il n’existe pas, avant la toute fin du XIXe siècle, de poupées noires ne présentant pas des traits clairement racistes, une hypothèse est que les nounous noires vont les coudre elles-mêmes, à partir de chutes de tissus ou de poupées blanches. Mais est-ce bien elles ? On ne sait en réalité pas qui a produit ces poupées, où elles sont apparues, comment elles circulaient. L’exposition livre une belle réflexion sur l’histoire de l’absence et la force des archives. Comment se construire une histoire quand les sources primaires, déconsidérées pendant si longtemps, ont largement disparu ? Comment représenter au centre ce qui était à la marge ?

Mignonne comme une poupée aveugle
Disséminées dans l’espace, deux cent poupées aux styles variés : on retrouve de simples bouts de tissus qui évoquent les idoles cycladiques, mais aussi des mini-personnages qui portent des costumes très travaillés. Il y en a des molles et des dures, des petites et des grandes, des simples et des doubles. On ne boude pas son plaisir à les examiner, choisir ses préférées, s’imaginer les manipuler…
Certaines poupées ont une charge conceptuelle évidente, telle cette intrigante poupée blanche qui porte un masque noir amovible soigneusement brodé, ou les poupées « topsy-turvy » qui ont deux têtes noires et blanches opposées. D’autres sont plus grimaçantes, comme les poupons noirs pleurant, un peu inquiétants.
C’est qu’une poupée est à la frontière entre l’humain et l’objet, l’inanimé et l’imaginaire. Elle est sensée nous représenter, mais elle est toujours un peu décalée. Rassurante quand on la serre dans nos bras, ses yeux fixes provoquent le trouble.

En plus des poupées elles-mêmes, la collection comporte un fonds d’étranges photographies présentant des enfants blancs avec une poupée noire. Une compagne, un objet représentant la domination symbolique sur le noir, un membre de la famille ? Qu’est ce qu’elle faisait à l’enfant dans le jeu ? Qu’est ce qu’elles nous disent à nous, public parisien du XXIe siècle ?
La poésie de Nicole Sealey nous répond – mais je vous laisse la découvrir, au milieu de poupées pas si muettes que ça…
(1) http://www.naacpldf.org/brown-at-60-the-doll-test
Texte Renée Zachariou © 2018
Exposition BLACK DOLLS LA COLLECTION DEBORAH NEFF Commissaires : La maison rouge http://lamaisonrouge.org/fr/la-maison-rouge/
Nora Philippe
Deborah Willis (Conseillère scientifique)
10 boulevard de la bastille
75012 Paris
Visuel de présentation : Black Doll, Poupée noire. Auteure inconnue, Poupée portant une robe tunique à motifs, États-Unis, circa 1er quart du XXe siècle. Coton. Photo : Ellen McDermott, New York City