Michele Spanghero, Ad libitum

Michele Spanghero, Ad libitum

EN DIRECT / Exposition Ad libitum de Michele Spanghero
jusqu’au 06 juin 2021, Galerie Alberta Pane Paris

La Galerie Alberta Pane présente Ad libitum la deuxième exposition personnelle de l’artiste italien Michele Spanghero dans son espace parisien. Le titre de l’exposition fait référence au nom de la sculpture sonore Ad lib. abréviation de l’expression latine Ad libitum qui est généralement utilisée pour exprimer la liberté d’une personne d’agir selon son propre jugement dans un contexte donné. L’exposition présente une sculpture sonore composée d’un respirateur artificiel et de quelques tuyaux d’orgue qui jouent un accord musical créant ainsi un organe qui est métaphoriquement un requiem mécanique qui joue sans cesse. La sculpture vise à faire référence à la situation des personnes qui souffrent de graves problèmes de santé et qui voient leur survie liée à un appareil respiratoire questionnant ainsi les limites que les hommes délèguent à la technologie.

La sculpture est entourée d’un ensemble de dessins préparatoires et l’exposition est accompagnée d’un texte critique de Dominique Moulon.

UN SOUFFLE D’ÉTERNITÉ

La durée de vie moyenne s’allongeant, c’est plus que jamais la fin qui nous préoccupe. Avec, d’une part les Etats qui légifèrent sur la fin de vie, et d’autre part les porte-paroles de la pensée transhumaniste nous promettant l’éternité. Il est bien ici question du plus grand des tabous de l’humanité : la mort. Ou comment l’offrir à celles et ceux qui l’attendent ardemment quand on conçoit, enfin, la possibilité de l’éradiquer. Mais à quel prix ? Les scientifiques ayant pour habitude d’agiter le monde des idées, à l’instar de Michele Spanghero, il revient aux artistes de donner forme à cette problématique sociétale. En 2010, c’est dans un tel contexte que ce dernier a eu l’intuition d’une œuvre qu’il s’est empressé de documenter dans son carnet de croquis, comme pour ne pas la perdre. Son idée, pour le moins inattendue, est d’alimenter un assemblage de tuyaux d’orgue avec un respirateur artificiel. L’orgue étant aussi essentiel à la musique sacrée que le respirateur l’est en milieu hospitalier, ce sont bien deux points de vue sur l’éternité qui coexistent dans la création de la première installation sonore Ad lib. de 2013. Depuis, l’artiste italien a créé d’autres versions comme le font les ingénieurs entre autres luthiers.

Ad lib. renvoie à l’expression latine Ad libitum qui signifie littéralement « à satiété ». Une annotation que les compositrices et compositeurs ajoutent à leurs partitions pour donner aux interprètes la possibilité de répéter des phrases musicales autant que bon leur semble. Ici, ce qui est en jeu, c’est la décision de poursuivre ou d’interrompre comme dans les débats d’éthique considérant ce que l’on nomme « obstination déraisonnable ». Les formes des sculptures sonores de Michele Spanghero sont tout aussi harmonieuses que les notes qu’elles répètent simultanément jusqu’à pleine satisfaction du public. Les différentes versions d’Ad lib. ont également en commun d’être rythmées sur la respiration humaine. Inexorablement, elles finissent par nous entraîner dans un souffle commun. Spectatrices et spectateurs d’une telle sculpture à vent accordent leur respiration dans l’expérience inconsciente qu’ils font collectivement de ce qui est aussi un instrument. En ralentissant quelque peu nos rythmes biologiques, cette sculpture-instrument à la croisée des arts visuels et de ceux du spectacle, littéralement, nous apaise au point même de nous rassurer.

S’il est une période où nous avons collectivement besoin d’être apaisés, rassurés, c’est bien celle de cette pandémie qui, toutes et tous, nous affecte diversement. Et l’on se souvient qu’au printemps 2020, bon nombre d’entreprises ont interrompu temporairement leurs productions habituelles pour concevoir les respirateurs artificiels qui manquaient alors cruellement dans les services de réanimation de nos hôpitaux. L’appareil d’assistance respiratoire, subitement, cristallisa l’attachement viscéral que nous portons à la vie. Notre expérience individuelle ou collective d’Ad lib., en ce monde d’après qui se profile, en est renforcée. La sculpture-instrument à l’unique partition qui se révéla à l’artiste italien bien avant cette pandémie est aujourd’hui plus contemporaine encore. Hier on observait d’abord des tuyaux d’orgues dont les sons convoquent le sacré, aujourd’hui on se focalise sur les respirateurs artificiels qui ont préservé tant de vies. Quand, d’un tel assemblage dans la sphère de l’art – dont on sait plus que jamais à quel point il nous est essentiel – émerge un souffle d’éternité qui nous projette bien au-delà des débats politiques et crises sanitaires agitant notre société.

Dominique Moulon 26 décembre 2020.

Michele Spanghero, Ad libitum _ Galerie Alberta Pane Paris
Michele Spanghero, Ad libitum _ Galerie Alberta Pane Paris

Michele Spanghero, artiste pluridisciplinaire, est diplômé en lettres modernes avec une spécialisation en dramaturgie. Musicien, il pratique la musique électronique et expérimentale. Dans sa démarche artistique, ses médiums de prédilection sont l’installation sonore liée à des principes d’acoustique, la sculpture et la photographie. Connu pour ses sculptures émettant du son, fruit des enregistrements sonores d’espaces vides, l’artiste est souvent associé à la discipline du Sound Art. On retrouve dans sa pratique un fort lien conceptuel et sémantique entre le son, l’espace et le vide, se concrétisant dans ses sculptures sonores, et celui de l’espace/blanc/architectural d’où il extrapole des formes minimalistes presque idéales lui permettant de créer des images qui évoquent le dessin et la peinture abstraite.

Son travail a été présenté dans nombreux musées, institutions, galeries, festivals et foires. Parmi ses projets plus récents on compte sa participation à la Biennale des arts numériques Némo à Paris et au Festival Eufónic au château d’Ulldecona en Espagne en 2019 ; la présentation de Dià, une sculpture sonore réalisée pour la première fois en 2016 lors du Walking Art project et montrée aux Jardin des Tuileries dans le cadre de la FIAC Hors les murs en 2018 ; sa participation dans la section Artissima son à et l’exposition Future Humanity à Beijin en 2018. Il a reçu la mention “Meilleur jeune artiste italien 2016” selon Artribune magazine et il a été finaliste en 2020 pour le prix PowSOLO Awards, avec sa sculpture Ad lib. dans la catégorie “Best Soundart”.