AMÉLIE SCOTTA [PORTRAIT]
![AMÉLIE SCOTTA [PORTRAIT]](https://pointcontemporain.com/wp-content/uploads/2017/12/amelie-scotta-tour-szeged.jpg)
« J’aime le dessin pour son caractère « pauvre ». Il nécessite peu de moyens et n’a aucune limite, si ce n’est celle du temps. » Amélie Scotta
Quelle place le gigantisme, le grandiose, le pharaonique laissent-ils à l’humain, à sa biologie ou son intimité, lui qui est fait de chair et de sang, à cette routine dans laquelle il aime confortablement s’installer ? Et la folle entreprise de nos sociétés à bâtir le ciel, à édifier des architectures qui les dépassent, lui donne-t-elle plus d’espace, crée-t-elle au moins un monde à sa mesure ?
Deux forces contraires animent les travaux d’Amélie Scotta. Si la première est portée par un regard sur l’intime féminin comme dans les sérigraphies Morceaux de Choix (2012), ou la série de photographies et textes pieux Mont de Vénus (2008), où les mots portant sur l’impureté de la femme se transforment au fil des pages en triangle noir signe de féminité, la deuxième est plutôt régie par un principe masculin et érectile qui naît de dessins au graphite de bâtiments dont elle multiplie à l’infini l’architecture. Amélie Scotta aime se moquer de ce délire ascensionnel qui caractérise nos sociétés ne cessant de bâtir des édifices toujours plus hauts.
« Mes dernières séries parlent d’architecture et de folie. De la démesure des tours et des stades à l’incontrôlable prolifération des immeubles d’habitation, l’homme semble dépassé et soumis à cette machine énergivore qu’il a lui-même édifiée. » Amélie Scotta
Un dialogue entre la nature de l’homme et sa démesure, ayant comme point de départ une question d’échelle, que l’artiste ne cesse d’interroger tant dans sa dimension historique que scientifique. Amélie Scotta n’hésite pas, pour répondre à cette folie, à s’en référer à Robert Filliou comme dans la vidéo Une Image de plus (2007) où elle prend comme point de départ la particule à l’origine de toute chose. Cette cellule, issue de la biologie moléculaire, qui transfuge dans le camp des architectes et des cabinets d’ingénierie, définit un espace modulaire, reproductible, empilable, et rend finalement possible, grâce à l’évolution des propriétés des matériaux, la construction d’espaces infinis. Elle peut aussi devenir, par un jeu de langage, univers carcéral, signe d’une accumulation, d’un entassement. Elle est inversement proportionnelle à la démesure des bâtiments, l’étendue des espaces de vie. Les dessins d’Amélie Scotta stigmatisent cette équation architecturale. Chaque fenêtre qui, par l’échelle des dessins, devient une sommaire lucarne, évoque l’espace minimal dévolu à tout individu. La cellule est aussi ce réduit à peine viable, cette surface égale qui définit a minima toute surface de vie.
« J’ai grandi dans ce qu’on appelle une ville-dortoir, puis vécu d’appartements en appartements dans les quartiers populaires de Strasbourg, Paris et Bruxelles. Pour le meilleur et pour le pire, mon regard a été nourri par l’urbain : le gris des trottoirs, l’exiguïté des espaces, la lumière du métro, mais aussi l’architecture et ses habitants dans toute leur diversité. » Amélie Scotta
La question déterminante de la vie et des flux qui l’alimentent, notamment le flux sanguin, prédomine dans l’œuvre d’Amélie Scotta. Visibles par l’homme seulement à travers la lunette d’un microscope ou d’un télescope, ils nous relient au monde, nous y font participer. Dans la série Château rouge (2015), ou Le Sang de l’œil (2015), la vue se fait toujours à travers une focale. Un champ de vision circulaire qui est celui de l’analyste, du scientifique. L’œil du dessinateur est pour Amélie Scotta celui du naturaliste, du laborantin, de l’astronome et même du statisticien avec La Routine (2012), des graphiques réalisés à partir de relevés de gestes quotidiens de deux individus pendant une période donnée. Il « ouvre vers la compréhension de l’univers » nous dit-elle.
Dans sa pratique, Amélie Scotta réinterprète les gestes du quotidien et réhumanise les principes mécaniques qui nous régissent et qui ont acquis une forme d’autorégulation. Ainsi, dans Éléphants blancs, des dessins qui s’élèvent à la verticale sur des rouleaux de papier de plusieurs mètres de longueur, elle s’applique à traduire les ombres portées qui viennent rompre la monotonie de la répétition et réinsèrent les bâtiments dans un paysage. Dans le même ordre d’idées, elle réinvestit les lois qui sous-tendent la finance en les transformant en Haïkus boursiers (2013), une série de 4000 cartes postales sur lesquelles sont inscrits des titres de journaux d’économie aussi drôles que poétiques.
Des gestes simples comme celui de tourner une page, de se laisser surprendre par ce qu’il s’y cache derrière, se retrouvent dans Towers (2017), un livre broché constitué à partir d’une centaine de photomontages numériques imprimés. Un acte de la main essentiel pour l’artiste qui prédomine dans les dessins sur rouleaux de papier. La main est l’outil par lequel viendra l’émotion, qui fera que la répétitivité s’épuisera et que de sa fatigue, de son impatience parfois, surgira une liberté. La main vient contredire l’engin de chantier, la grue. La main sait s’amuser, activer et donner vie.
« Je dessine de manière lente et répétitive, confrontant l’aléatoire de la main à la perfection de la machine. » Amélie Scotta
Le besoin de constituer un monde à l’échelle de la main, comme l’ouvrier ou le bâtisseur, se retrouve dans Alcazar (2015), une animation vidéo dans laquelle le dessin à main levé d’un trait et d’une forme se répète à l’infini. Un geste qui lui permet, par sa simplicité, de réaliser un dessin dont le naturel de la forme et sa mesure, le relient à l’enfance. Une « ode animée », une célébration spirituelle de l’architecture.
Un geste qui est aussi celui du jeu comme dans Les monades et Mini monades (2015), des dessins réalisés à partir du principe du grattage et que l’artiste nomme « cartes à gratter », un nom qui, par sa résonance avec les jeux de hasard à gratter, prédestine à s’extraire d’une vie morne. Une révélation du motif par le geste, faisant apparaître sous l’action du scalpel, le blanc du papier.
Les citations d’Amélie Scotta sont extraites du texte rédigé par l’artiste pour l’exposition Éléphants blancs, Under construction Gallery, Paris, 2017.
Texte initialement paru dans la revue Point contemporain #6 © Point contemporain 2017
POUR EN SAVOIR PLUS SUR L’ARTISTE

En 1970, Robert Silverberg écrivait un roman de SF, où une société surpeuplée vit dans de grandes conurbations appelées «monades». Quand on regarde les immeubles en Chine, on se dit que la réalité a dépassé la fiction. Ce dessin est un assemblage d’échantillons d’immeubles. Le tout gratté au scalpel.
• dessin en carte à gratter, 182 x 50 cm, 2015
Vue de Slick Art Fair, Paris, 2015 Photos ©Amélie Scotta / ©Isabelle Scotta

Courtesy Under construction Gallery. Photo Amélie Scotta.

Photos : ©Omar Chabiky photography / ©Amélie Scotta

Œuvres réalisées avec le soutien de la fondation Moonens.
• série de dessins au graphite sur papier Arches et rouleaux de papier Bolloré, dim. variables.
Vue de l’exposition personnelle « Eléphants blancs », Under Construction Gallery, Paris, mars-avril 2017
Photos ©Rebecca Fanuele / ©Isabelle Scotta

Tout commence par un jeu, tournant à l’obsession, de transformer chaque architecture existante en gratte-ciel. Pures constructions numériques, ces tours se jouent de la folie des grandeurs de l’homme via son architecture. En Arabie Saoudite, la Jeddah Tower dépassera bientôt le kilomètre.
• livre d’artiste, série de cent photomontages, dim. 21 x 30 cm, 2016 ©Amélie Scotta
Visuel de présentation : Tour Széged, 2017. Dessin au graphite sur rouleau de papier Bolloré, 350 x 154 cm. Courtesy Under Construction Gallery. Photo Isabelle Scotta.