LUKE JAMES, HUGO PERNET, MAXIME TESTU – LES DOIGTS LUTINS
EN DIRECT / Exposition Luke James, Hugo Pernet, Maxime Testu, Les Doigts Lutins, visible les 16,17 et 18 février 2024 à Aubervilliers
Texte de Clare Mary Puyfoulhoux
Avec un oiseau en prime.
Luke James, James. Luke. Ouvre régulièrement son atelier à des amis qu’il y invite pour exposer. L’exposition est alors hébergée et curatée par l’artiste qui vit et travaille l’espace. L’exposition est alors un don, une invitation, un jeu. L’exposition est une mise en regard, une chambre d’écho. L’exposition rassemble les amis qui échangent et boivent des bières, viennent à Aubervilliers depuis chez eux, depuis Paris, ou depuis Poush à côté. L’exposition est alors gratuite et on y vient les mains vides, on se regarde, on se photographie, on s’identifie, on se parle. On regarde, on va se coucher très tard. On ne fait que passer, il suffisait de sonner.
Les doigts lutins a duré trois jours, d’un vendredi à un dimanche. L’atelier a pour l’occasion été vidé (de tout travail, puisque les objets de valeur en avaient récemment été pris par un.e cambrioleur.euse). Les œuvres exposées jusque dans la cuisine. Luke James, Hugo Pernet, Maxime Testu. Un peintre et demi, un sculpteur et demi, un poète et demi, trois mecs environ, des installations et des croquis. Au sol, des pièces de centimes. Une forme qui revient et qui rappelle la superstition qui rappelle le panier percé qui signale l’incongruité de ces montants dérisoires qui ponctuent nos prix, font comme si la valeur était rationnelle. Au sol aussi les mangeoires, perchoirs, logis d’oiseaux dont on ne sait que le bec de métal, qui fait d’ailleurs corps avec le bois de chêne en forme de maison, et qui n’est jamais tout à fait même. Deux tâches en forme de cercle, vernies, noires. Deux orifices, entrée ou sortie, comme les fesses du chien dont la queue s’agite dans un croquis d’Hugo Pernet (bien connu pour avoir illustré certains de ses poèmes pour la Fondation Ricard), comme le regard sans fond du chien de Maxime Testu. Maxime a parfois peint au doigt. Luke a coulé de la cire sur du papier préalablement marqué au graphite. La cire et les pin’s, comme les pièces, sont aussi les rouages du dispositif qui accueille le spectateur. L’exposition est là, à l’image de ses auteurs, disponible. Et les arbres, et les bananes, et l’étrange machine que convoque Maxime dans un tableau d’une facture nouvelle, verte, dans laquelle se rouler comme un gazon. Et les oiseaux, et les miroirs, les structures seulement suggérées, les mouvements que saisissent les gestes. Reflet, écran, profondeur un peu vaine parfois du milieu, un peu grave de la pratique, réalité tout à fait tangible du matériel : tout s’équilibre.
Les trois pratiques ont en commun l’humour, la délicatesse, prennent ce qui est, jouent. Alors ce sera un arbre. Les trois pratiques savent l’air et le temps. Les trois pratiques assument. Comment s’expriment les choses dans les plis du réel. Ce qui est déjà là, n’attendait qu’un regard, un geste, un cadre, un écran. L’oiseau se pose sur le mur, sur la brique, sur le plomb. Il indique. On le croirait vivant. Il a été conçu pour décorer un vêtement. L’oiseau est aussi ce qui palpite dans ma main, que j’ai tenu, serré, aimé, qui s’est raidi, a pris la forme que je lui ai donnée, est une vue de l’esprit. L’exposition se joue de l’aberration de ce qui illustre, prend position pour : la simplicité des formes. Il y a toujours un revers. L’orientation est relative ; le message, comme codé, et le signifiant : possiblement violent. Maxime l’extrait de la rencontre du noir et du blanc, de la distance qui sépare les deux teintes. Luke le cherche dans la matière, toxique, rugueuse, collante, lisse. Hugo saisit le bord de l’histoire, de la situation, le contour du moment. C’est un leurre évidemment que se raconte le.a critique pour dérouler le chemin qui l’a mené.e du point A de son regard à celui de sa mémoire des œuvres parmi lesquelles iel a circulé. C’est un leurre orienté, ce qui reste de l’exposition, de son rapport à Aubervilliers partout dans les baies vitrées de l’atelier-logement, en immeubles et en bus, en circulation. C’est une situation avec des rails en métal pour poser des croquis, des murs pour accrocher des toiles et des cadres, un sol à ponctuer, des espaces tangents où tendre le regard, un jeu de tension entre les niches, les couloirs et les surfaces exhibées. C’est le souvenir de ce qu’est l’exposition : partage de travaux, ouverture, proposition, geste ouvert, générosité, appel. Espace d’altérité.s à venir. Chance.
Clare Mary Puyfoulhoux