EXONEMO [ENTRETIEN]

EXONEMO [ENTRETIEN]

Certes internet ne connaît plus vraiment de limite spatio-temporelle, en matière de catalyseur social il est de plus en plus facile de pointer du doigt ses lacunes et ses déficiences. Depuis 1996, c’est-à-dire depuis l’aube de l’internet mainstream, le duo d’artistes japonais Exonemo, pionnier du mouvement net-art, examine les carences sociales et bouleversements comportementaux dues à utilisation abusive des nouvelles technologies et d’internet.

Présentées en ligne, mais aussi entre les murs de nombreuses prestigieuses galeries et musées internationaux, leurs expérimentations, performances ou installations sont une critique de la société pro-techno et pro-internet. À la fois humoristiques et cyniques, leurs oeuvres abordent les paradoxes créés lorsque les environnements numériques et analogiques, les réseaux et internet interfèrent avec notre quotidien ainsi qu’avec le monde réel.  

SEMBO Kensuke et AKAIWA Yae vivent et travaillent sur internet et à New York. Ils sont membres actifs de NEW INC, un incubateur de projet art/design/tech, chapeauté par le New Museum. Enfin, il sont actuellement les net-artistes commissionnés par le Whitney Museum pour alimenter le projet en ligne Sunrise/Sunset.

Benoit Palop : Exonemo… je me suis toujours demandé si cela voulez dire quelque chose.

Exonemo : Au tout début du projet, c’est-à-dire lorsque nous étions à la recherche d’un nom pour signer notre travail, nous avons tenté de combiner des mots ayant une vraie signification mais c’était très compliqué. Nous ne sommes pas arrivé à grand-chose de très concluant mais en se creusant la tête Yae a trouvée : Exonemo.

Donc pour répondre à ta question, il n’y a pas vraiment de signification mais ça sonne plutôt  ‘cool’ donc ça fait notre affaire.

Pouvez-vous justement me parler de la genèse de cette collaboration. Comment avez-vous commencé à travailler ensemble?

Dans le milieu des années 90s, après avoir obtenu nos diplômes à l’Université d’art de Tokyo, internet a commencé à devenir assez populaire. Comme nous nous ennuyons un peu dans la vie IRL (In Real Life) et nous étions à la recherche de nouveauté, il n’y avait aucune raison de ne pas profiter de cette occasion pour se faire plaisir. Nous avons donc commencé à expérimenter et à créer de nouvelles choses à base de code et autres gracieusetés en provenance du web. C’était tout simplement excitant et peu habituel pour nous de travailler de cette manière et avec cet outil -tout en communiquant et interagissant avec des gens anonymes venant des quatre coins du globe.

Mais si tu veux savoir pourquoi et comment nous avons commencé à travailler ensemble ? Je pense que c’est surtout parce que nous partagions le même ordinateur étant donné que c’était encore un peu cher à l’époque ! D’ailleurs, si tu regardes bien, beaucoup de net-artistes / artistes nouveaux médias de la première génération sont des couples. Eva et Franco Mattes par exemple.

Internet a un rôle-clé dans votre pratique, voire il est l’élément central. Pouvez-vous m’en dire un peu plus à ce sujet ? Quelle est votre relation avec le Web ?

Depuis le départ, nous sommes très attiré par sa vélocité. Si nous présentons une œuvre dans une galerie ou dans n’importe quel espace réel et physique, nous devons passer par beaucoup d’étapes logistiques et cela peut prendre un temps fou. Mais si nous présentons quelque chose via internet et les réseaux, l’oeuvre peut alors se propager à travers l’univers en l’espace de deux clics.

Nous étions très optimistes au début vis-à-vis des possibilités communicationnelles et créatives offertes par le web, mais maintenant les choses ne sont plus si simples malheureusement.

Plus si simples ? Dans quel sens ?

Plus si simples dans le sens où durant les premières heures du web, nous rêvions tous d’un internet bienfaisant et généreux. Chose qui n’est jamais arrivé bien évidemment. Nous attendons toujours cet internet qui était censé amener un vent de changement en matière d’égalité et par conséquent, nous apporter de nouvelles libertés pour appréhender l’espace qui nous entoure.

D’ailleurs, c’est probablement une des raisons pour laquelle il y avait autant de GIF animé de la terre tournant sur elle-même sur les pages d’accueil du web 1.0. Une chose est certaine, après plusieurs décennies on remarque que les choses ne se sont pas tout à fait passé comme nous le pensions.

L’internet est imprévisible. Tout comme l’est la vraie vie finalement.

Les gens les plus forts y deviennent encore plus forts, les plus faibles y restent les plus faibles. Je pense que les lois, les rapports de force et les rapports sociaux qui s’appliquent dans le monde réel le sont également à travers les mondes virtuels et la toile.

Beaucoup de vos travaux ont une matérialité très présente malgré leurs origines et références profondéments ancrées dans la culture web. Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet ? Pourquoi s’amuser à décontextualiser le Web?

Internet est un médium que nous ‘utilisons’ couramment dans notre travail. Mais le mot ‘utilisé’ est probablement peu approprié dans ce contexte. Il me semble que nous sommes maintenant tous connecté 24/7 et partout, internet est donc indissociable de notre vie physique. Si nous faisons quelque chose dans l’espace réel, nous ne pouvons pas ignorer le web, même dans le milieu de l’art. Et c’est ce que nous faisons en intégrant à notre travail ces allers-retours constants entre la vie URL, c’est-à-dire en ligne, et celle AFK (away from keyboard).

Jongler d’un côté à un autre nous a permis de développer un regard assez critique et sceptique sur les médias numériques, mais aussi analogiques, car ils sont tous deux imparfaits mais de différentes manières. Ces imperfections sont le moteur de notre démarche artistique.

Quel est le plus gros point faible de l’internet selon vous ?

Ce qui affaiblit le plus internet selon moi, c’est de croire qu’il est une entité à part entière et qu’il est séparé de notre monde réel. C’est totalement absurde de penser ça en 2019. C’est cette faille que nous apprécions révéler et explorer dans notre travail.

Finalement, malgré le fait d’être issu de la première génération d’humains (et d’artistes) à avoir pleinement pu vivre la démocratisation de l’internet, vous entretenez une relation ambivalente amour/haine avec lui.

Plutôt croyance et agnosticisme je dirais.

Un dernier mot à ajouter avant que je me déconnecte ?

Nous avons internet et nous avons l’intelligence artificielle. Ces systèmes nous donnent un point de vue objectif sur une société qui pense évoluer dans un système parfait. Pour nous, cette erreur de jugement est une bonne raison de continuer à les pirater…

Entretien d’Exonemo réalisé par Benoit Palop © 2019 Point contemporain

Exonemo, Kiss, or Dual Monitors, 2017, technique mixte (moniteur, media player)
Exonemo, Kiss, or Dual Monitors, 2017, technique mixte (moniteur, media player)
Courtesy Exonemo
Exonemo, I randomly love you / hate you, 2018, technique mixte ( moniteurs LCD, ordinateur monocarte)
Exonemo, I randomly love you / hate you, 2018, technique mixte ( moniteurs LCD, ordinateur monocarte). Courtesy Exonemo
Exonemo, Natural Process, 2004, technique mixte (peinture acrylique sur toile, ordinateur, webcam, site web)
Exonemo, Natural Process, 2004, technique mixte (peinture acrylique sur toile, ordinateur, webcam, site web). Courtesy Exonemo
Exonemo, DanmatsuMouse, 2007, technique mixte (souris, logiciel original)
Exonemo, DanmatsuMouse, 2007, technique mixte (souris, logiciel original)
Courtesy Exonemo
Exonemo, Spiritual Computing (series), 2009, technique mixte (ordinateurs, souris, moniteurs…)
Exonemo, Spiritual Computing (series), 2009, technique mixte (ordinateurs, souris, moniteurs…). Courtesy Exonemo

Exonemo (composé de SEMBO Kensuke et AKAIWA Yae)
Duo japonais qui a vu le jour en 1996 sur Internet
Vivent et travaillent à New York
http://www.exonemo.com/