FLEUR HELLUIN

FLEUR HELLUIN

Fleur Helluin, Herakles In The Grass, 2019
tempera et huile sur toile, 43 x 52 cm

PORTRAIT D’ARTISTE / Fleur Helluin
Par Sophie Bernal

Hercule, l’expression des passions sous le scalpel de Fleur Helluin

S’il n’y avait qu’un pas entre Hercule et RuPaul – célèbre drag queen américaine – il serait assurément franchi par Fleur Helluin. Formée aux Beaux-Arts de Caen et diplômée du programme Art et Technologie de l’Image de l’Université Paris 8, l’artiste oscille entre Berlin et la Normandie, entre la culture pop et les légendes mythologiques, entre les filtres instagram et le Quattrocento. Par exemple, c’est devant une reproduction d’un tableau de Giovanni Bellini qui trône fièrement dans son atelier qu’elle travaille ses peintures à la tempera. Autant d’antagonismes qui forgent l’expression pittoresque de son coup de pinceau. 

Depuis sa sortie d’études en 2006, l’artiste explore le thème de la performativité de genre. Pourtant, celui-ci trouve son point culminant dans la série Herakles achevée en 2019, composée d’une dizaine de peintures à la veine très expressionniste. C’est bien connu, les légendes n’ont pas d’histoire fixe, elles évoluent avec le temps. L’artiste part de ce constat pour proposer une lecture alternative des douze travaux d’Hercule. Elle dissèque plus particulièrement l’épisode d’Hercule vendu comme esclave à Omphale, alors reine de Lydie. Afin d’expier le meurtre d’Iphitos dont il fut rendu responsable, Hercule se soumet durant trois ans aux fantasmes érotiques de sa maîtresse. Elle le contraint à se travestir en femme et à effectuer toutes sortes de travaux alors réservés au sexe féminin. 

Dans l’histoire de l’art, les peintres sont peu nombreux à avoir exploité cet épisode de la sorte. Parmi les plus aventureux, on compte Rubens, Boucher, Cranach L’Ancien ou Perrier. S’ils restent fidèles à l’histoire originelle – Cranach dépeint Hercule en train de filer la laine, Perrier l’accoutre d’une étoffe féminine – ils montrent rarement le héros seul, mais toujours asservi aux désirs de sa maîtresse. On devine aisément les raisons de ce choix : il s’agit avant tout d’interroger l’inversion des rôles sexuels dans le couple, de peindre les passions des relations humaines. Pas tant d’érotiser un héros « trans » avant l’heure. 

À l’inverse, Fleur Helluin décentre le regard qu’on peut porter sur le couple vers la seule figure du héros viril déchu de sa masculinité. Par exemple, dans Herakles In the Grass (2019), elle le représente les traits distordus, affublé d’une perruque violette et allongé dans l’herbe comme sous l’emprise de psychotropes. S’il s’agit là d’une stratégie pour dissoudre les frontières entre l’humain et le divin, l’œuvre est surtout l’occasion d’introduire une dimension satyrique aux questions très contemporaines du genre. C’est ainsi qu’elle résume cette idée lors de notre entretien : « L’humour révèle quelque chose de profond qu’on n’a pas forcément envie d’évoquer de façon frontale. » Cette dualité entre légèreté du trait et questions sociétales assure à son travail une portée immédiate dans le regard de celui qu’il croise. 

De la même manière, le mariage entre plusieurs temporalités – l’histoire mythifiée et notre époque contemporaine – constitue un levier pour fantasmer les corps de l’être humain du monde de demain. Quand la médecine nous permettra de transformer nos corps à notre guise, quel rapport allons-nous entretenir avec ceux-ci ? Construit autour de cette réflexion, le travail de l’artiste sonde le corps en mutation.  On le voit à travers le traitement stylistique de l’anatomie d’Hercule, souvent mise à mal. On le voit aussi à travers les couleurs qu’arbore sa chair : grise, violette ou rose. Mais on le voit surtout à travers la transposition du mythe, qu’elle situe dans un espace mental, à sa propre condition de femme. Ainsi elle me confie, au sujet de l’œuvre Herakles giving birth (2019) : « Aujourd’hui, on a des corps civilisés, qu’on a domptés. Et d’un coup pendant l’accouchement on est rappelées à notre condition de femme. Ça m’a fait du bien de prendre mon héros et de lui faire porter ce fardeau-là. » Dès lors, son travail croise aussi bien une réflexion autour de la bioéthique qu’une volonté d’esthétiser les corps de la douleur.

Portraitiste 2.0, Fleur Helluin construit un monde fantastique composé de visages difformes et de paysages imaginaires. Elle recourt à la distorsion pour traduire l’expression des passions, des souffrances et des jouissances du corps humain. Pourtant, l’humour noir de son trait anéantit la menace qui pourrait planer sur nos épaules à l’heure de la manipulation des gènes humains. La série offre à voir une distorsion plus envoûtante qu’effrayante, en somme. 

Sophie Bernal 

Fleur Helluin, Herakles Giving Birth, 2019, tempera et huile sur toile de lin, 34x43cm
Fleur Helluin, Herakles Giving Birth, 2019
tempera et huile sur toile de lin, 34 x 43 cm
Fleur Helluin, Herakles Eating the Apples, 2019. gouache, 52 x 61 cm
Fleur Helluin, Herakles Eating the Apples, 2019. gouache, 52 x 61 cm
Fleur Helluin, Herakles In The Labirynth, 2019, tempera et huile sur toile de lin, 43x52cm
Fleur Helluin, Herakles In The Labirynth, 2019, tempera et huile sur toile de lin, 43x52cm
Fleur Helluin, The Lion Of Nemea, 2019, tempera et huile sur toile de lin, 61x52cm
Fleur Helluin, The Lion Of Nemea, 2019, tempera et huile sur toile de lin, 61x52cm
Fleur Helluin, Herakles and the Cake, 2018. Gouache et huile sur toile, 43 x 52 cm
Fleur Helluin, Herakles and the Cake, 2018. Gouache et huile sur toile, 43 x 52 cm

FLEUR HELLUIN – BIOGRAPHIE

Fleur Helluin a étudié sous la direction de Gilian Gelzer et Joel Hubaut à Caen (France), et de Norbert Bisky à Salzburg (Autriche). Après un DNSEP en 2005, elle participe au programme Art et Technologie de l’Image à l’université Paris 8 en 2006.Depuis 2004, son travail explore l’impact de la culture de l’écran sur la figure contemporaine. Ses oeuvres représentatives incorporent le riche vocabulaire visuel associé aux nouvelles technologies (lumière, posture, références internet) à des peintures à l’huile classique. En représentant la figure contemporaine, elle met en lumière les mécanismes paradoxaux de la perception de soi et du monde, dans un engagement critique avec le présent.
Les méthodes et les sites archéologiques sont un autre moteur de cette recherche. Sa pratique est centrée sur la peinture, et explore également les champs de la performance, installation ou expérimentations sonores. Ses travaux ont été exposés avec entre autres Bill Viola, Norbert Bisky, Damien Cadio, ou Cécile Wesolowski.Depuis 2006, elle vit entre Berlin et la Normandie. Fleur Helluin a fondé le groupe de dance-punk Plateau Repas en 2005 avec Marianne Jacquet et Valentin Plessy. Toujours actif en 2017, Plateau Repas est régulièement programmé dans les clubs alternatifs européens.

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