Prométhée : le premier des sculpteurs

Prométhée : le premier des sculpteurs

FOCUS / Regard sur l’œuvre de Paula Gellis
par Romain Arazm

Désigné par les bras tendus de Prométhée, le Ciel est l’intarissable source des souffrances de celui qui fit son entrée dans l’Histoire en dérobant le feu olympien.  

Avant d’être métamorphosé par le regard de la sculptrice Paula Gellis, ce titan banni des dieux était une traversée de chemin de fer abandonnée. « J’y ai vu des trous, cela m’a fait penser au foie de Prométhée quotidiennement grignoté par le bec acéré de l’aigle » raconte l’artiste dans un entretien réalisé dans le cadre de l’exposition Matières à penser1. Cette fascination devant l’étrangeté sartrienne de la matière que le hasard dispose sur son chemin, Paula Gellis l’a progressivement élevée au rang de processus créatif. 

En effet, la paréidolie constitue le point de départ d’un grand nombre des sculptures de Paula Gellis qu’elles soient en marbre, en granit ou comme ici, en bois. Du grec para (à côté de) et d’eidos (apparence, forme), il s’agit d’un phénomène psychologique au cours duquel l’on distingue des formes reconnaissables dans ce qui ne sont que des effets – nécessairement involontaire – de la matière. 

Entre les tâches sur le mur décrites dans les Carnets de Léonard de Vinci (1452-1519) et les nuages peuplant les cieux peints par Andrea Mantegna (1421-1506), l’histoire de l’art n’est pas avare en exemples. 

Jusqu’à la version qu’en propose Paula Gellis, le mythe de Prométhée n’a cessé de fournir aux arts visuels, à la littérature et au théâtre, un immense répertoire d’images. Cette fortune considérable est l’objet d’étude du philologue Raymond Trousson. Figuré enchainé à son rocher sur les cimes déchiquetées du Mont Caucase ou, plus tôt dans la chronologie mythique, brandissant le flambeau comme sur le frontispice de la première édition du Discours sur l’Origine et les Fondements de l’inégalité parmi les Hommes, rédigé en 1755 par Jean Jacques Rousseau (1712-1778), ce héros provient de la Théogonie du poète grec Hésiode.  

Dans une perspective allégorique, ce vol est synonyme de point de départ du processus civilisationnel. Octroyé aux hommes, le feu dérobé servira au développement de la métallurgie. 

D’autres traditions, comme celle véhiculée par Apollodore le Mythographe, racontent que le titan, à l’image d’un sculpteur, aurait créé les hommes à partir d’eau et de terre. Ce mythe fait écho aux innombrables légendes qui, de l’Égypte à Sumer en passant par la Genèse, font état de la création de la race humaine. 

Lucien de Samosate précise que si Prométhée sculpte les hommes, c’est Athéna qui introduit le souffle de la vie dans ces corps d’argile2

La boucle semble en train de se boucler. Le Prométhée enchainé de Paula Gellis est un hommage vibrant au premier des sculpteurs, un hommage vibrant à celui qui a su mettre en forme l’informe de la matière, un hommage vibrant à l’étincelle flamboyante qui anime l’esprit de celui qui, désormais, peut orienter ses pas dans le territoire merveilleux de la connaissance. 

1  Retrouvez l’entretien filmé sur mazartproduction.com  
2 Lucien de Samosate, Œuvres complètes, édition « Bouquins », Robert Laffont, Paris, 2015, p. 1023.

Romain Arazm

Paula Gellis, Paula Gellis  Prométhée enchainé  Bois et acier  2001 . Photo Fernanda Tafner
Paula Gellis, Prométhée enchainé Bois et acier 2001
Photo Fernanda Tafner