Stefano Serretta, La première exposition : l’artiste et l’atelier [PORTRAIT – VISITE ATELIER]

Stefano Serretta, La première exposition : l’artiste et l’atelier [PORTRAIT – VISITE ATELIER]

La première exposition d’un nouveau travail artistique est dans l’atelier. Ce premier public des amis de l’artiste voit l’art dans le lieu de travail où il a été crée, en présence de l’artiste et associé au reste de sa vie. La satisfaction de ce contact est évidente, soit pour le groupe privilégié soit pour l’artiste en contact avec ses pairs.

Laurence Alloway

 

Il arrive que se retrouver dans un lieu autre que celui dont nous sommes habitués puisse éveiller des sensations qui, assoupies dans l’inconscient, nous rappellent le « d’où l’on vient » en faisant ressurgir des histoires et des images du passé. Elles le rendent à nouveau présent dans notre esprit. C’est ce que Stefano Serretta (Gênes, 1987) a vécu quand il est arrivé de Milan à la résidence du centre d’art contemporain de Port Tonic, située dans la commune des Issambres.

Ce qui nous intéresse n’est pas la partie conclusive de la résidence, c’est-à-dire la mise en scène des œuvres, l’exposition, mais plutôt le temps qui l’a précédée et qui coïncide, au contraire, avec le temps de création, là où l’idée prend forme. Un temps qui s’est construit sur le déplacement, l’arrivée, l’adaptation, l’imprégnation d’un espace historique et géographique, puis sur l’observation, la recherche, l’intuition, l’expérimentation et j’ajouterai l’expérience du vide aussi. 

De la résidence en effet, notre champ de vision perçoit les tonalités bleues changeantes de la mer et du ciel, alors que derrière elle, la terre ferme semble se soustraire à la vue, perd de sa réalité comme si nous nous trouvions sur une une embarcation. Alors, le bagage d’idées que l’on avait avant de partir, n’a plus à l’arrivée son poids initial. Il ne s’agit pas d’un changement de route, mais plutôt d’un lâcher-prise, l’abandon de tout conditionnement pour respirer un autre rythme, un air différent.

Ainsi tout se découvre et se redécouvre.

L’ARRIVÉE : L’EXPÉRIENCE DES LIEUX

D’Est en Ouest, en partant de l’Italie, cette bande de terre, entrée dans l’histoire avec le nom de Côte d’Azur, n’a jamais cessé d’inspirer, pendant le XIXe et XXe siècle, avec sa lumière et ses couleurs, artistes locaux et d’ailleurs – qui se sont installés pour des raisons différentes – et dont nous connaissons les noms (pour en citer quelques-uns Pablo Picasso, Henri Matisse, Yves Klein, Ben, Armand, Le Corbusier). Une région dont l’aura s’est construite sur les vies passées dont les musées et l’industrie culturelle nous ravivent la mémoire. Un Mare Nostrum qui a été à travers le temps, un carrefour de civilisations, un lieu de rencontre et d’échanges mais aussi de nombreux conflits.

ON SE DEMANDE, DONC, PAR OÙ COMMENCE LA RECHERCHE DE STEFANO SERRETTA ?

Son arrivée s’est accompagnée de l’acte de mesurer, mais pas seulement dans une acception quantitative, par des déambulations le long du littoral la dimension culturelle de la région. Il procède tout d’abord à l’inventaire des sites, des plus historiques aux plus contemporains : la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, pas loin de Saint-Paul-de-Vence, inaugurée par André Malraux en 1964 et qui aujourd’hui conserve une de plus importante collection à l’échelle européenne d’art du XXe siècle et de l’époque actuelle ; le Musée de Picasso à Antibes, là où le premier conservateur du Musée Grimaldi, Romuald Dor de la Souchère, avait offert un atelier au peintre en exil et qui aujourd’hui réserve une partie de son œuvre ; le Musée d’art contemporain de Nice, la Chapelle du Rosaire à Vence, dont la décoration a été entièrement réalisée par Matisse, Le Cabanon de Le Corbusier à Roquebrune-Cap-Martin, sa dernière demeure. Une autre destination importante et nécessaire a été la Ville Nellcote à Villefranche-sur-Mer, légendaire éden artificiel des Rolling Stones à partir du 1971. Lieu où les membres du groupe se sont refugiés pour se soustraire au fisc anglais et où ils donnent le jour à l’album Exile on Main street, un classique qui est un hymne à la musique populaire américaine. Enfin, un saut dans le passé au Musée Archéologique de Fréjus, un site où l’attention de l’artiste a été attirée par la sculpture en marbre blanc de Carrare qui représente le buste de l’hermès double, une oeuvre de l’époque romaine les plus importantes de la Côte d’Azur, pour sa qualité d’exécution et l’état de conservation dans lequel elle a été retrouvée en 1970 ; aujourd’hui emblème de l’ancienne colonie romaine Forum Julii.

Tout cela rend compte de la façon dont rien n’échappe à la frénésie curieuse de Stefano Serretta. Activer une mimesis afin de rester connecté au substrat historique et culturel de ce territoire qui, couvrant d’un passé assez lointain jusqu’à la contemporanéité la plus récente, a donné naissance à un travail qui d’après l’artiste « parle de ma poétique ». Ainsi c’est elle qui anime toute la production de l’artiste qui a fait le choix non de s’engager sur une thématique, mais préféré tenter d’attraper les intentions les plus intimes qui sont à la naissance même de ses oeuvres. 

Une poétique qui rejoint aussi celle du lieu qui l’a abrité pendant deux mois (mai – juillet 2017). La résidence est en effet sur le site d’un ancien chantier naval, dont elle reprend le nom Port Tonic et auquel a été ajoutée l’extension Art Center pour en souligner la fonction actuelle. Vivre ici lui a permis de découvrir que cette histoire passée n’a jamais été complètement submergée par les nouvelles activités. Tout est là, intact, et dans ce qui aujourd’hui l’atelier des artistes se trouvent l’outillage qui nécessaire à la réparation des bateaux : chaînes, bouées, un zodiac… des éléments qui perpétuent la mémoire. Des éléments toujours là, en alerte, auxquels comme lui nous ne pouvons pas échapper. À la manière d’un démiurge, Stefano Serretta a redonné forme à quelque chose de préexistant. Il a prélevé cette mémoire, commençant par les bouées, pour les plonger dans le futurs de l’histoire.

Les bouées, de dimensions variables, éléments nécessaires à l’amarrage des bateaux, sont transfigurées et désormais habité un hermès bicéphale. Jour après jour sous l’effet de la chaleur, les expressions modelées avec de la pâte à sel, se parent de fissures et acquièrent une saveur primitive, s’éloignant ainsi des canons classiques d’où elles sont issues. De plus, le motif grec de l’hermès bicéphale évoque la divinité du Janus, dont dérive le nom de la ville natale de notre artiste, Gênes. Une ville qui s’ouvre sur deux paysages, celui de la mer et celui des montagnes dont elle est entourée. Le Janus, une des divinités romaines les plus anciennes, est gardien de tous les passages (ianua en latin signifie « porte »), donc de chaque début et de chaque fin, avec deux visages dirigés vers l’entrée et vers la sortie, vers le passé et vers le futur. Comme dans un crew, compactes, les bouées restent suspendues entre un avant et un après, en observant les passants et en leur souhaitant bon augure. Elles savent déjà ce qui adviendra, sans connaître la destination ultime du voyage entrepris.

En arrière-plan, se distingue un autre élément du paysage sur lequel l’artiste a décidé d’intervenir : le mur le long de l’ancien môle. Un prolongement de l’esplanade sur laquelle reposent les deux bâtiments (la résidence et la salle d’exposition) de Port Tonic et qui est une autre ligne de démarcation entre la mer, le ciel et la terre. Suivant la position du soleil, est plus ou moins visible l’écriture argentée Closer than it appears (« Plus proche qu’il n’y paraît »). Comme un éloge à la lenteur et à l’attente, tout en rappelant l’immédiateté de l’exécution typique du graffiti, Stefano Serretta veut nous faire visualiser progressivement que, au-delà de la réalité devant nous, le futur, encore imperceptible, s’est déjà élancé vers notre direction. La subtile ligne apparente de l’horizon est toujours là. Même en naviguant, nous ne pouvons pas la rejoindre.

« La plupart des jeunes à la fin du siècle ont grandi dans un présent permanent », affirme Eric J. Hobsbwam, avec pour argument que notre mémoire historique a été perdue par la génération née à la fin du court vingtième siècle (1914-1991). À des degrés divers, cette expression nous concerne tous. Le monde à la fin de ce siècle a subi des transformations irréversibles et notre génération en ressent, souvent sans le savoir, les répercussions. Avec Friends (2017), série commencée en 2013, nous sommes devant une allégorie du « village global », rappelant l’idée de Marc Augé autour du rétrécissement du monde. Stefano Serretta, s’approprie, sans aucune orthodoxie, un symbole spirituel propre à la tradition hindouiste et bouddhiste, le mandala qui correspond à la représentation de l’univers. Dans un monde de flux économiques, financiers, culturels, et humains, les vieilles cartes qui depuis toujours orientent le chemin des hommes dans le monde de la vie, sont aujourd’hui obsolètes. Ces eaux et ces terres ne sont plus les mêmes. Stefano Serretta, avec un subtil rappel aux cartes d’Alighiero Boetti, veut redonner forme à notre monde. Mais ici, au lieu des broderies des femmes, l’argent devient le code derrière lequel se cache le système invisible qui gère nos vies et nos comportements privés et collectifs.

Il nous reste la possibilité de regarder en arrière et comprendre ce qui nous a ramené jusqu’ici afin d’aller vers l’avenir et l’empoigner avec une conscience majeure. Et c’est un message positif. « Le siècle dernier ne s’est pas bien terminé ».

Texte Roberta Garieri © 2017 Point contemporain

 

Stefano Serretta
Né en 1987 à Gênes (Italie).

Représenté par la Galerie Placentia Arte Piacenza.

www.stefanoserretta.com

 

Stefano Serretta, vue d'atelier. Photo : Julien Tiverné, 2017
Stefano Serretta, vue d’atelier. Photo : Julien Tiverné, 2017

 

Stefano Serretta, vue d'atelier. Photo : Julien Tiverné, 2017
Stefano Serretta, vue d’atelier. Photo : Julien Tiverné, 2017

 

Stefano Serretta, vue d'atelier. Photo : Julien Tiverné, 2017
Stefano Serretta. Photo : Julien Tiverné, 2017

 

Stefano Serretta, Hobouée, 2017, Technique mixte, dimensions variables. Photo : Julien Tiverné, 2017
Stefano Serretta, Hobouée, 2017, Technique mixte, dimensions variables. Photo : Julien Tiverné, 2017

 

Stefano Serretta, Friends (détails), 2017, différents types de billets. Photo: Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Stefano Serretta, Friends (détails), 2017, différents types de billets. Photo: Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

 

Stefano Serretta, Closer than it appears, 2017, peinture spray teinte argent sur mur, 38 x 160 cm. Photo : Julien Tiverné, 2017
Stefano Serretta, Closer than it appears, 2017, peinture spray teinte argent sur mur, 38 x 160 cm. Photo : Julien Tiverné, 2017

 

Stefano Serretta, Closer than it appears, 2017, peinture spray teinte argent sur mur, 38 x 160 cm. Photo : Julien Tiverné, 2017
Stefano Serretta, Closer than it appears, 2017, peinture spray teinte argent sur mur, 38 x 160 cm. Photo : Julien Tiverné, 2017