Thibaut Thorez-Debrucq, Les peintures de la ville

EN DIRECT / Exposition Les peintures de la ville de Thibaut Thorez-Debrucq , du 12 décembre au 11 janvier 2020, Urban Gallery Marseille

Pour sa deuxième exposition personnelle à l’Urban Gallery, Thibaut Thorez-Debrucq reprend le concept de corps de peinture mis en espace lors de sa première présentation.

Plus qu’un concept, le corps de peinture est issu d’une procédure à la fois concrète et métaphorique : c’est une sorte de peau façonnée à partir d’une peinture industrielle passée en nombreuses couches et qui se tient tendue ou mi-souple comme une dépouille. Elle est ici support de chaque oeuvre excepté les photographies où l’on en soupçonne la trace. Ainsi au centre de la galerie trône l’étrange « Corps-de peinture poil », dressé sur une structure.

Il se saisit de loin comme une mue de serpent, une mosaïque de bruns sanieux, un Vasarely tombé dans le ruisseau. De près le spectateur comprend l’obsession qui a conduit l’artiste à photographier des peaux d’animaux comestibles (des vaches), à les faire imprimer sur la peinture industrielle, à parcelliser celle-ci pour la faire recoudre en centaines de petites formes géométriques qui jouent d’effets de volume. Ainsi se métaphorise la mise en pièces du vivant à l’aune industrielle. Au vernissage cette sculpture/vêture était destinée à être performée par un acteur devant une imposante structure minimaliste. Celle-ci convoque le décor de théâtre ou la rue, car sa face est un corpsimprimé d’un monochrome agressivement neutre -photographie d’un de ces murs repeints sur les tags de la ville.

A l’opposé un autrecorps fait contraste de son grand losange constitué d’une parcellisation minutieuse de couleurs en spirale chatoyante, tel un pan de marqueterie baroque. Le losange surplombe une ligne jaune de laque industrielle brillante, et leur juxtaposition révèle la dichotomie entre les savoir-faire manuels patients et l’uniformisation séduisante des techniques modernes. Cette diffraction entre deux modes en appelle une autre, entre la vue de près et la vue de loin, qui caractérise particulièrement la spirale, si matérielle à l’approche. Elle domine dans les photographies très troublantes, très efficaces, qui flirtent avec le monochrome, attachant le spectateur à saisir d’infimes détails, des illusions optiques qui sollicitent le toucher, mais aussi son interdit.

Sylvie Coellier
Professeure émérite en histoire de l’art contemporain de l’Université d’Aix-Marseille. Membre du Laboratoire d’Etudes en Sciences des Arts, elle dirige la collection ARTS aux Presses Universitaires de Provence. Elle est auteure et co-directrice de plusieurs ouvrages, d’articles et de textes de catalogues concernant les croisements entre les pratiques artistiques, les thématiques engageant la sculpture, le corps, la performance, et les aspects théoriques qui les accompagnent. Elle a publié Lygia Clark (L’enveloppe). La fin de la modernité et le désir du contact, collection « Histoire et idées des arts », Paris, l’Harmattan, 2003, et dirigé notamment Des émotions dans les arts aujourd’hui (PUP, collection 1, 2015), et La performance, encore (PUP, coll. ARTS, 2016).