[EN DIRECT] Sarah Trouche, Faccia a Faccia, venni, vidi, vissi, Galerie Vanessa Quang Paris

[EN DIRECT] Sarah Trouche, Faccia a Faccia, venni, vidi, vissi, Galerie Vanessa Quang Paris

Sarah Trouche refuse de céder sur un thème, quel qu’il soit. Pauvreté, criminalité, prostitution, esclavage, sont des sujets qu’elle traite sans noirceur, et sans désespoir. Une ténacité qui lui a d’ailleurs valu, alors qu’elle travaillait à Miami avec la communauté cubaine, de subir une agression violente où elle a été laissée pour morte. Un fait qui nous rappelle combien il reste dangereux de vouloir aborder, même avec le plus d’intégrité et de sincérité possible, certains sujets. Or, pour cette performeuse qui use de son corps nu comme moyen d’expression, l’artiste est pourtant bien le seul à détenir une parole libérée de toute contrainte, à pouvoir traiter de tous les sujets. Les préoccupations de Sarah Trouche sont politiques et sociétales et elle n’hésite pas à aller à la rencontre des exclus ou des reclus, de ceux qui subissent des violences visibles et invisibles de la part des majorités ou des autorités et qui, malgré tout, tentent de subsister. 

« La plupart des sujets que j’aborde sont douloureux et délicats mais j’essaye de les traiter en accord avec les gens que je rencontre et avec qui je discute longuement, de manière positive, et je pourrais même dire sympathique, même si, à l’inverse, je pourrais avoir une approche extrêmement différente et particulièrement noire de la situation. » Sarah Trouche

Avec Faccia a Faccia, venni, vidi, vissi, Sarah Trouche présente à la Galerie Vanessa Quang, une exposition personnelle qui, plutôt que de donner à voir une restitution photographique de ses performances accomplies aux quatre coins du monde, nous apporte plutôt, par un éclairage transversal, une réflexion approfondie qui s’appuie sur les traumatismes subis et ressentis par son propre corps. Un corps qui, comme à travers la série de sept polaroids faits à la chambre noire, est la métaphore de situations vécues et qu’elle considère « comme un outil de médiation qui révèle des problématiques. »

« Ma position d’artiste me permet d’aborder tous les sujets, sans tabou. Ils dépendent des rencontres que je fais, des invitations à traiter certains sujets. Certains sujets sont difficiles à aborder, mais je le fais à travers mon propre corps. Plutôt que d’imposer aux gens qui se confient et partagent leur mode de vie avec moi, à être filmés, j’évoque leur situation par l’autoportrait. Tous les gestes, tous les actes, tous les détails des performances sont longuement discutés, non à distance, mais sur place, avec eux. » Sarah Trouche

Le premier moment vécu par l’artiste est d’abord le partage d’une existence, d’une intimité avec ces personnes qui l’hébergent dans leur communauté. Elles lui confient leur souffrance mais aussi leur espoir, et participent même parfois aux performances de l’artiste comme celle en lien avec l’association « Syrien ne bouge agissons ». Une rencontre avec ces mères dont les enfants sont partis pour le djihad et dont Sarah Trouche restitue l’émotion avec des sculptures de quartz rose qui mettent véritablement en lumière leur état d’esprit avec le motif de la chaine qui relie mais aussi entrave.

 

Sarah Trouche, Sans titre, Sculpture, sable de quartz rose et cristal, dimensions variables, 2017.
Sans titre, Sculpture, sable de quartz rose et cristal, dimensions variables, 2017. Photo Natacha Sibellas & François Berrué.

 

L’intégration dans une culture est essentielle pour ne pas avoir une vision documentaire ou journalistique, car l’artiste se charge alors tout autant des souffrances subies que de cette force inhérente à la vie à résister, à se relever et à vivre. L’artiste restitue au plus près pendant ses performances cette force qui est celle d’une résistance au quotidien face à une tension et une menace permanente que ces populations connaissent. En hérissant de piques des sculptures des morceaux de son corps, Sarah Trouche matérialise le ressenti d’une douleur, mais rend aussi compte de cette résistance que peuvent développer les personnes face à un traumatisme. Une force que l’on retrouve dans l’autoportrait en bronze qui témoigne du solide aplomb et de l’intégrité de l’artiste et de ces femmes qui lui font partager leur souffrance.

 

Sarah Trouche, Sans titre, Sculpture, céramique biscuit et silicone, dimensions variables, 2017.
Sans titre, Sculpture, céramique biscuit et silicone, dimensions variables, 2017. Photo Natacha Sibellas & François Berrué.

 

Le geste performatif de Sarah Trouche ne relève pourtant pas d’un acte militant d’opposition ou de contestation. Son engagement, même s’il parle de politique, n’est pas politique. Son art est engagé dans le sens où, en se faisant témoin par immersion dans la vie des populations, il dénonce une situation et une liste de non-dits. Et s’il y a dans le travail de l’artiste une restitution, c’est bien celle de la capacité à endurer le pire, une force qui se retrouve dans l’acte performé à accomplir. Celui-ci se fait toujours dans une économie de moyens, un dépouillement nécessaire à l’expression de l’effort de résister. Une faculté de résister aux chocs qui, en psychologie, est analysée au travers du phénomène de résilience. Au travers ce phénomène qui décrit la faculté d’un matériau à reprendre après un choc sa forme initiale et que Boris Cyrulnic a introduit dans l’analyse psychologique contemporaine, Sarah Trouche met en dialogue la violence des chocs subis. Celle des balles qui percutent, déforment et même perforent de part en part des autoportraits moulés en savon. 

 

Sarah Trouche, Sans titre, Soap and gun shot. Photo Natacha Sibellas & François Berrué.
Sans titre, Soap and gun shot. Photo Natacha Sibellas & François Berrué.

 

« Quand je réalise une performance, j’ai toujours la peur de décevoir. Il faut que je me lance, que mes gestes soient sûrs. On me reproche parfois de peu bouger, mais en réalité tout doit répondre à un protocole très précis afin que tout ait du sens. Il est important surtout de ne pas arriver dans un pays avec sa propre culture et faire alors un non-sens ou un contresens. » Sarah Trouche

Les travaux plastiques présentés à la galerie racontent ce moment où l’artiste, vivant avec les populations, devient elle-même vulnérable et se charge progressivement de leur trauma mais aussi de cette capacité à s’extirper de ces conditions et de cet enfermement. Un enfermement que l’on retrouve dans de grands fusains sur papier de soie mais aussi dans des dessins au sang qui témoignent de la condition même de femme.

Texte Point contemporain © 2017

Sarah Drawing, Blood Drawing.
Blood Drawing

 

 

Infos pratiques
Faccia a Faccia, venni, vidi, vissi
Exposition personnelle du 18 mars au 18 avril 2017
Galerie Vanessa Quang
7 rue des filles du calvaire 75003 Paris

 

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