MICHAEL RITTSTEIN, FEET ON THE TABLE
Vue de l’exposition Feet on the Table, Michael Rittstein, Musée Kampa (Museum Kampa)
EN DIRECT / Exposition personnelle Feet on the Table, Michael Rittstein, jusqu’au 10 mars 2024, Musée Kampa (Museum Kampa), U Sovových mlýnů 2, Praha 1 – Malá Strana
Michael Rittstein met les pieds sur la table !
Par Anna Remuzon
Michael Rittstein compte parmi les “maîtres” de la génération d’après-guerre qui ont transformé le paysage artistique tchèque. Au travers de son œuvre personnelle, Michael Rittstein a insufflé de nouvelles formes narratives et expressives marquées par un dialogue extrême entre la couleur et le mouvement. Au sein de son atelier de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Prague, il a également contribué à la formation, pendant dix-sept ans, de bon nombre d’artistes de la “nouvelle” génération et participé à une affirmation durable de l’expressionnisme figuratif tchèque… entre tradition et révolution. Il y a quelque chose de très “tchèque” et pourtant de très universel dans l’oeuvre de Michael Rittstein… ce qui explique que ses toiles fassent aujourd’hui partie de prestigieuses collections tchèques et étrangères ; dont le Centre Pompidou.
En guise de troisième volet d’expositions rétrospectives sur son œuvre prolifique, le musée Kampa de Prague présente actuellement et jusqu’au 10 mars prochain, un ensemble d’œuvres réalisées pour la plupart au cours des trois dernières années et provenant de collections privées. L’exposition “Feet on the Table” (Les pieds sur la Table) est l’occasion unique et éphémère de pouvoir admirer des œuvres monumentales dans le cadre privilégié d’une institution historique et incontournable de Prague… le long de la Vltava… à quelques encablures du pont Charles.
Fable, rituel, hallucination… l’humanité et l’animalité se rencontrent et se confondent régulièrement dans l’œuvre de Michael Rittstein. Ce qui frappe le spectateur au premier regard, c’est l’effervescence des compositions… une dimension vivante et énergique. L’exposition devient une expérience charnelle puisque le spectateur se retrouve face à une des toiles souvent monumentales et qui s’expriment à la fois en surface et en épaisseur. La touche est à la fois minutieuse et ample avec un débordement de matière et de corps vers l’extérieur. La composition semble projetée en avant… prenant le spectateur à partie. Il n’y a pas de posture passive possible face à ses œuvres explosives. Le spectateur fait partie d’un organisme vivant mais aussi souvent d’une mécanique implacable… Il y a une certaine violence et contrainte puisque la vitesse s’impose et le spectateur n’a pas le choix… happé par le mouvement… digéré comme un aliment à travers le circuit de l’exposition… progrès et évolution. C’est une course effrénée entre l’homme et la nature… un état quasi-primitif et animal qui fait tourner le monde comme les rouages d’un seul et même corps… la société pour machine.. rurale et urbaine… humainement inhumaine… paradoxale.
Tout comme face à un paysage, il y a deux façons d’aborder l’œuvre de Michael Rittstein… deux formats narratifs… tout d’abord une vision d’ensemble, saisissante et presque écrasante par rapport à la posture du spectateur qui se retrouve miniaturisé et absorbé… une sensation abstraite. Ensuite, on pénètre dans l’œuvre et ses détails. Les figures apparaissent, suivant des proportions fluctuantes et évasives… des positions allant de la dynamique à l’érotique. Le corps se forme, se déforme, en souplesse comme des poupées articulées, toutes en rondeurs, et devient une danse automatique et sensuelle… un fluide… qui se déplace parfois d’une toile à l’autre comme une onde ou une résonance… Car les œuvres de Rittstein ont une vibration lumineuse mais aussi sonore. Cela contribue à une expérience intense et intérieure de cet expressionnisme figuratif et ondulatoire. Il n’y a aucun silence et aucune absence. C’est une musique et parfois même un vacarme qui ressort de cet ordre mécanique et mouvementé. Piano, guitare… se mêlent à des éclats de voix ou des cris d’animaux, de sexe, des vrombissements de moteur de moto, de tracteur, de fusée… c’est l’excitation du monde. Au-delà du son, les œuvres ont même un goût… puisque les couleurs et la touche épaisse attisent une forme d’appétit… sucré, salé, acidulé… Le spectateur met les pieds sur la table comme une nature morte… les vestiges d’un repas pris jusqu’à l’excès de gourmandise voire à l’écoeurement. C’est aussi une odeur… pas seulement celle de la peinture mais celle de la poudre, de l’essence, des bêtes et des corps… saturant l’espace. L’expérience du spectateur devient alors multisensorielle… complète et étourdissante.
Finalement, c’est un portrait de l’homme comme animal social… plongé dans un quotidien métamorphique où tout est réel et irréel… tout est personnel et impersonnel… tout devient plausible…tout cohabite et tout collisionne… tout se superpose comme un orchestre… pour supporter le poids de la vie et de la société… d’une cruelle beauté… d’une bruyante harmonie.
Plus d’infos :
https://www.instagram.com/rittstein/