LOUIS GRANET, MERVEILLES ZONE
Louis Granet, Nuages Park (le pas des grillons), 2023 Oil on canvas, 70 x 100 cm – Vue exposition Merveilles zone – Artothèque de Pessac – Aide à la création DRAC Nouvelle-Aquitaine 2023 – Courtesy artiste – Crédit photos > Gaëlle Deleflie
EN DIRECT / Exposition personnelle Merveilles ZONES de Louis Granet, jusqu’au 17 mars 2024, artothèque de Pessac
Merveilles zone
par Joan Ayrton
S’il fallait retranscrire au plus juste le concentré de nos conversations, échanges de textos, de « vocaux », nos moments dans l’atelier, nos pensées croisées, ce texte devrait être lu à voix haute, en marchant, peut-être, dans l’espace d’exposition le soir de ton vernissage. Merci Louis d’avoir fait de moi, depuis quelques semaines, le témoin d’une mue – tu m’as dit ce mot tout à l’heure lorsque je suis revenue dans l’atelier voir l’avancée du travail, les grandes peintures terminées. Une mue donc, un virage, une transformation après ce qui semble avoir été une décennie de peinture à 100 à l’heure* : vive, nerveuse, ultra colorée, très pop, très dense, très stimulante. D’impressionnantes compositions faites de mille détails capturés en photo ici et là, partout, autour de toi, puis traduits en dessin – médium premier, essentiel, et toujours fiable. Dix années donc, d’une peinture d’urbanité, de consumérismes, de vitesse, d’ivresse, nourrie d’un océan d’explorations et de références picturales. Puis, soudain (sans doute pas si soudainement d’ailleurs, mais c’est ainsi que l’histoire me parvient), tu décélères, tu t’interroges, tu décides de prendre du temps, de faire autrement. Tu veux peindre.
Mais, Louis, tu peins depuis 10 ans non-stop !
Oui mais là je veux peindre. Je veux dire, regarde, là, par exemple, je n’ai jamais peint une fumée de cigarette, je me dis : comment je fais ?? Je peins !
Ah. Je vois. Ce qui change donc radicalement : tu as fait tomber l’échafaudage. Tu lâches ce qui persiste des premières années, celles de la bande dessinée – la ligne claire, le trait noir, le détour. La peinture n’est plus un acte de remplissage, elle prend désormais tout en charge, le dessin, la composition, le volume, la perspective, la matière … et,
eh bien, c’est vertigineux.
Merveilles zone est un jardin, une pinède, un bord de mer, dans une région jamais visitée auparavant – le Sud Est – et adorée. C’est surtout une pause estivale, un temps de détente où tout s’étire dans la douceur de journées longues et chaudes, enveloppées des chants des grillons. Les arbres, les plantes, le ciel, les objets en bord de piscine, les musées visités, ce temps suspendu – tout ça est le théâtre intime et sensible dont sortiront des visions hallucinées aux couleurs flamboyantes, paysages luxuriants aux lignes folles, végétations vrillées, nouées, ultra organiques et sculpturales. Les troncs sont des corps, des coudes, des hanches, des os, des visages. Les nuages sont des pins, les pins sont des mains … Merveilles zone est un rêve, comme celui d’Alice, un rêve doux, étrange, anxieux, monstrueux. Devant ces formes et ces couleurs, on parle, toi et moi, de gestes, de matière, d’une peinture sans entrave, libre de chercher ses mouvements, ses résolutions. Tu joues, tu inventes (un Vasarely, une fresque de Léger), tu cherches, tu avances. Et comme toujours, tu penses à tes peintres – pas Dali que certaines formes m’évoquent (chairs plissées et coulantes sur des rochers en bord de mer) – mais celles et ceux, notamment, de ta génération, Karel Dicker, Issy Wood, Marcus Jahmal, Louise Bonnet, Omari Douglan, et pas seulement : tu me montres les arbres de Marsden Hartley, tu adores Georgia O’Keeffe, et Matisse – son orange, son vert, son bleu – et Van Vogh, m’écris-tu, te rend dingue, tu le regardes tous les jours depuis 10 ans.
Incroyable, ce désir aujourd’hui chez toi et tes pairs d’en découdre avec la peinture figurative, ce qui frappe est la joie – c’est ton mot – qui accompagne le travail. Et aussi l’obsession – mon mot, cette fois. Toute personne connaissant le milieu des écoles d’art reconnaîtra le regard courroucé d’un directeur technique face à une palette saturée de peinture et ce qu’il qualifie de gaspillage … « coupez lui la tête ! » dit la Reine de cœur … je me faisais un plaisir déjà à l’époque (et encore aujourd’hui) de dire qu’il faut laisser tranquille ces jeunes esprits aussi intensément au travail, ne pas les freiner, les limiter, juste laisser faire – et tant pis pour la matière séchée, perdue. Tu étais le premier arrivé et le dernier parti, debout devant ta toile, casque sur les oreilles, plongé dans ton monde, dans les lignes et les couleurs, nonstop. Comme durant ces dix dernières années.
Ça me touche beaucoup, cette façon de tout retourner, de tout repenser. De ralentir, de réfléchir, au moment où le grand tout global accélère comme une flèche (vers plus de chaleur, plus de dérèglements, plus de conflits). Faire d’un coin de campagne près de la mer un paradis absolu (peut-être perdu) – ne pas aller le chercher à l’autre bout du monde – cette absence de spectacle, de grandiloquence, et une impressionnante lucidité sur les enjeux de société, sur ta propre psyché, ton parcours, tes liens d’amitié, de travail, ton besoin d’apprendre, de comprendre, de réparer aussi peut-être – tout ça est réjouissant. Merveilles zone naît de ces questionnements, et ce sera un paysage. Un beau grand paysage hyper coloré. Beaucoup de bleu, une cascade de vert (Léger, encore lui !), le son des grillons, et douze peintures. Sept sur toiles, cinq sur papier. Les premières d’une décennie nouvelle, éveillée au cœur de l’été dans les parfums de thym et d’aloé véra.
• En référence au titre de l’article de Véronique Bouruet-Aubertot paru dans Connaissances des arts en 2019