MÉLANIE YVON

MÉLANIE YVON

ENTRETIEN / Propos de Mélanie Yvon recueillis à l’occasion de l’exposition de sortie de résidence, Désir d’achat, VERSION D’ESSAI 2018, du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU.

Alors étudiante aux Beaux-Arts de Rennes, Mélanie Yvon y a suivi des études en Design Graphique et Édition. Elle travaillait sur les liens entre les dispositifs poétique et graphique, développant une pratique de l’écriture qui, bien qu’encore éloignée des formes narratives, s’approchait de la poésie et des écrits dont le format relevait d’une mise en espace du texte. Un goût du texte et de ses formes qui l’ont amenée à intégrer la première promotion du Master création littéraire à Paris VIII. Un passage des arts visuels aux formes textuelles, qui s’est effectué progressivement, et répondait à une appréhension particulière de l’espace, celle du livre mais s’inscrivait aussi dans un prolongement de ces lieux dont nous ne connaissons souvent l’existence qu’à travers les images ou les narrations d’autres personnes. Entre inventaires, récits, documentations et fictions, Mélanie Yvon nous transmet, dans les formes particulières que sont le livre, la performance ou l’exposition, des expériences qu’elle nous fait partager.

Comment s’est effectué ce passage entre arts visuels et formes littéraires ?

Je suis autant intéressée par le contenu que par la forme d’un livre et par la relation particulière qui les lient. Aux Beaux-Arts de Rennes, je commençais à explorer des formes textuelles plus expérimentales que narratives, et des dispositifs d’écritures plus proches du montage et de l’agencement. J’ai poursuivi ces recherches sur les pratiques graphiques dans les livres de poésie contemporaine, la mise en espace du texte et la manière se s’emparer de la page dans le livre. C’est durant mon cursus au sein du master en création littéraire que j’ai pu explorer les manières de faire récit en en dehors du livre. Depuis, j’opère sous forme d’aller-retour entre les deux autant dans mon travail plastique que littéraire. 

Tu fais aussi partie d’un collectif qui s’intéresse à ces questions.

Je fais partie du collectif ChôSe qui est la contraction de chômage et sexualité. Il rassemble des artistes et auteurs issus pour une partie d’école d’art et de master en création littéraire, et qui ont une relation particulière à l’écriture dans leurs pratiques. Que ce soit sous forme de performance, de vidéo ou d’autres médiums. À la base l’idée était de créer nos propres espaces de publication mais aussi permettre la diffusion d’autres formes auxquelles nous étions sensibles et qui nous semblaient importantes de défendre. Même si la présence de l’écrit dans notre travail est forte, nous avons cette volonté commune de mettre en valeur cette dimension textuelle sans que cela soit forcément par des médias tels que le livre ou la revue. Nous avons commencé par faire des publications suite à des événements que nous organisions, comme autant d’expériences collectives dans une dynamique de workshop. Les publications sont considérées non pas comme un archivage mais comme un prolongement de ces expériences prétexte à de nouvelles formes. 

Quelle est la genèse de ton projet ?

J’ai commencé à m’intéresser à différents lieux dans lesquels je n’étais jamais entrée. Des espaces assez particuliers, très codifiés et que l’on pourrait rapprocher de formes d’hétérotopies. Pendant six mois, j’ai visité un lieu par mois à chaque fois accompagné de quelqu’un chargé de me faire la visite. Le sex-shop faisait partie d’un de ces lieux et j’ai souhaité dans le cadre de ce projet me focaliser sur cet espace. 

As-tu mis en forme des textes à partir de ces visites ?

Cela a donné lieu à une série de publications dans lesquelles je racontais mes visites sans préciser dans  quels endroits je me trouvais, avec un travail important sur le paratexte. Je fournissais des éléments qui bien que présents sur la page, se trouvaient hors du texte. Des informations qui arrivaient successivement et qui donnaient des pistes pouvant guider le lecteur. C’est suite à cette expérience que je me suis axée sur un des espaces qui s’avère être le sex shop et c’est en trouvant un poste de vendeuse que j’ai pu entamer mon enquête. Cela a été le point de départ de l’écriture du récit Entrée libre publié chez Le Nouvel Attila. 

Cet endroit m’a intriguée de prime abord car j’ai été fascinée par toutes ces enseignes, ce qu’elles produisent graphiquement et la question de la frontière qu’elles représentent. À l’instar des vidéoclubs, ce type de commerce s’il n’est pas amené à disparaître est immanquablement voué à mutation. Ce sont par ailleurs les librairies érotiques dans les années 70 qui ont commencé à vendre des films puis des gadgets jusqu’à devenir des sex-shops. Il en va de même pour ces boutiques actuellement, dont les règles changent, qui se voient renommer love shop, ce qui implique en conséquence un public et des usages différents. De par son activité fictive qui est de plus portée par un imaginaire, par ce qu’on y projette sans le connaître, ils sont eux-mêmes fictifs par essence. 

Conçois-tu ce projet comme une forme d’exploration ?

Plus sous forme d’enquête à la base comme d’autres projets sur lesquels je travaille. Cette phase immersive me permet de collecter les matériaux qui vont par la suite m’amener à l’écriture. J’applique des protocoles me permettant d’observer et documenter des événements, des faits, des lieux. C’est en pouvant interagir et en n’étant pas uniquement dans cette position d’observatrice que j’appréhende aussi certains rapports humains différemment. J’use ainsi parfois dans mes recherches de dispositifs issus des sciences sociales que je mets à profit de la fiction ce qui n’implique pas de nécessité de vérité. C’est ce qui me permet de jouer sur cette tension entre document et fiction. 

Ce qui explique une absence d’affects qui fait par moments ressembler le texte à un inventaire ?

Il est vrai qu’une place assez importante est laissée au lecteur de par les choix narratifs que fait dans ce texte. Quant au détachement de la part du personnage de Milena, vendeuse au sein du magasin et sa posture assez passive, elle est aussi proche de celle que j’ai pu adopter lors de ma propre expérience. La volonté de faire exister ce personnage principalement dans des passages qui donnent accès à ce qui pourrait être son inconscient permet aussi de constater à travers ses cauchemars ou dans le télescopage avec des éléments de sa vraie vie qu’elle est contaminée par ce qui peuple son quotidien. Des croisements qui, présents à la fin des chapitres, prennent part à la dramaturgie et donnent des clés au récit.  

Comment as-tu pensé ta résidence Au Lieu et  ta réponse  à l’invitation de Éditions Extensibles ?  

Ce travail en résidence répondait d’une certaine manière aux envies que j’avais en débutant ce projet d’écriture à savoir faire dialoguer la forme du livre si elle voyait le jour avec l’exposition et la performance. J’ai toujours pensé conjointement les deux. Il s’agissait dans un sens de produire des objets en les prélevant du texte comme c’est le cas pour la vidéo Best Friend mais aussi de se pencher sur Milena, afin de trouver des moyens de réactiver ce personnage dans un décor en lien avec celui du texte. Je voulais ainsi questionner ce qu’implique cette profession et plus largement le fait de faire du travail un espace de recherche en tant qu’artiste et autrice. Cette porosité des espaces est d’ailleurs très présente dans le livre avec le personnage de Milena qui change en permanence de lieux de travail et d’activités. 

Un espace qui transforme l’espace d’exposition en lieu de vente ?

L’exposition est très axée sur l’aspect commercial du sex-shop mais aussi de tout autre lieu similaire qui, tout en étant un lieu de vente disposant de tous les codes du magasin, fonctionne sur une économie parallèle. Lumières, fléchages, prix n’empêchent pas que le lieu soit complètement fictif et que l’argent qui rentre dans le magasin ne soit pas lié à la vente des objets. De même, on peut se sentir perdu dans l’exposition en raison de la multiplication de la signalétique car elle n’est pas immédiatement signifiante même si on sent qu’elle tisse tout un réseau de relations qui nous est donné par le paratexte. Lors du vernissage, à l’instar d’une vendeuse, je proposais donc des visites en y injectant des fictions liées aux objets. Les textes présents dans le livret distribué aux visiteurs permettaient d’activer certaines pièces et d’en faire dialoguer d’autres. La performance «   Comment conclure  ?  » que je présentais au finissage de l’exposition, était axée sur le métier de vendeuse et notamment sur la posture à adopter pour être bonne vendeuse. Ce qui implique aussi la question de la reconnaissance par la vente, des problématiques qui s’appliquent aussi bien à la littérature et l’art contemporain.

Un réseau mis en évidence avec les performances…

Je fais en effet exister ce lien entre les pièces avec une performance en déroulant des fictions, jouant dans un entre-deux, en brouillant les pistes sur le réel et le fictif. Une performance qui m’amenait, avec cette même posture et détachement qu’une vendeuse peut avoir, à orienter la circulation du visiteur vers le point de vente. Au finissage, lors de la performance «   Comment conclure  ?  » dans ce rapport d’identification à Milena, j’utilise certains des objets présents dans l’exposition et qui constituent «  la façade  », des objets comme une perruque, un badge lumineux ou un livre de paie qui s’activent à ce moment.  

Peux-tu nous parler des images exposées Au Lieu et de la façon dont tu comptes exploiter ce corpus que tu as glané ?

Pour ces images, j’avais envie de jouer, par le fait de la distance, sur une double lecture. Plus on s’en  approche  et  moins elles sont lisibles.  C’est  en s’éloignant  que  des éléments au fur et à mesure se dessinent. Depuis longtemps je pense à faire une publication car j’ai environ 200 images avec le même traitement, et cette dominante orange des étiquettes qui se place très différemment dans chacune d’elles mais qui les relie. J’envisage les images, mais aussi les objets, comme supports de la fiction, et tous existent parce qu’ils sont reliés dans un environnement. Et cela fonctionne aussi de manière plus globale comme dans un livre et comme dans une circulation, où les éléments se comprennent les uns par rapport aux autres.

Comment le projet va-t-il se poursuivre ?

Plusieurs possibilités permettent de poursuivre le projet qui a préexisté au texte par la réalisation de performances qui peuvent encore dans le futur en réactiver certaines parties. J’aime faire vivre de différentes manières, pas seulement par la performance mais aussi par l’exposition, des discussions avec Milena. Des extensions qui questionnent les professions et les postes que l’on peut avoir et au-delà, d’être interchangeable dans un décor où finalement on joue un rôle. Des décors toujours un peu particuliers dans lesquels je suis projetée et qui continuent pour moi à être des espaces de recherche dans lesquels je n’ai quasi pas de tâche assignée sinon celle d’attendre. Une unique fonction dans ces espaces dont on détourne les usages, qui me permet d’écrire, de lire et de faire des images.

Valérie Toubas & Daniel Guionnet

Vue d'exposition de sortie de résidence, "Désir d'achat", VERSION D'ESSAI 2018, du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d’exposition de sortie de résidence,
« Mélanie Yvon, Désir d’achat » VERSION D’ESSAI 2018,
du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d'exposition de sortie de résidence,  "Mélanie Yvon, Désir d'achat" VERSION D'ESSAI 2018,  du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d’exposition de sortie de résidence,
« Mélanie Yvon, Désir d’achat » VERSION D’ESSAI 2018,
du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d'exposition de sortie de résidence,  "Mélanie Yvon, Désir d'achat" VERSION D'ESSAI 2018,  du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d’exposition de sortie de résidence,
« Mélanie Yvon, Désir d’achat » VERSION D’ESSAI 2018,
du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d'exposition de sortie de résidence,  "Mélanie Yvon, Désir d'achat" VERSION D'ESSAI 2018,  du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d’exposition de sortie de résidence,
« Mélanie Yvon, Désir d’achat » VERSION D’ESSAI 2018,
du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d'exposition de sortie de résidence,  "Mélanie Yvon, Désir d'achat" VERSION D'ESSAI 2018,  du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU
Vue d’exposition de sortie de résidence,
« Mélanie Yvon, Désir d’achat » VERSION D’ESSAI 2018,
du 31 janvier au 16 février 2019 AU LIEU

Mélanie Yvon
Vit et travaille à Paris

www.cargocollective.com/melanieyvon