Rémi Uchéda [ENTRETIEN]

Rémi Uchéda [ENTRETIEN]

« J’aime bien dire que je vois les choses d’une façon abstraite. En les décontextualisant, j’oublie leur fonction, leur utilité et je les regarde vraiment dans leur dessin, dans leur structure, dans leur constitution. » Rémi Uchéda

Les œuvres de Rémi Uchéda nous parlent des cadres dans lesquels nous évoluons, de notre manière de nous adapter à notre environnement, de la façon dont nous le structurons tout autant qu’il nous structure.

La question de la posture traverse sa pratique, interrogeant aussi bien la place de l’individu dans le corps social que dans sa manière de défendre une idée ou un point de vue. La posture nécessite d’avoir un ancrage dans le réel, « les pieds sur terre », d’être capable de donner corps à ses pensées, de créer en les exprimant une friction avec d’autres points de vue afin de générer une dynamique dans l’échange ou le débat. Rémi Uchéda compose des pièces qui trouvent toute leur expressivité dans leur forme par les mécaniques du langage. S’appuyer sur une pensée, sauter d’une idée à l’autre, faire résonner, saillir, mettre à vif, filer, déployer un argument… 

Quelles sont les caractéristiques communes des objets, ou éléments sur lesquels tu interviens ?

Je suis curieux de tous les objets dotés d’un cadre qui nous permettent d’adopter telle ou telle position, de tout ce qui est pied, empiètement, que cela soit celui d’une chaise, d’un échafaudage ou encore un cadre de vélo… Je m’intéresse aussi à ce qui relie des éléments ensemble. 

J’appréhende les objets hors de tout usage, je leur donne une nouvelle intention. Ainsi, dans les parkings en forme de trombone où sont attachés les vélos, je coince des piles de courriers, des enveloppes que je fais tremper dans de l’encre bleue. Ce qui m’intéresse dans le trombone, c’est l’idée qu’il pince. Sa forme dessine une ligne qui tourne sur elle-même, deux cercles qui maintiennent des feuilles entre elles. Sa structure parle d’histoire, de correspondance et d’accumulation, des problématiques qui m’inspirent des glissements de sens : à qui tient-on ? Comment tenons-nous ? Qu’est-ce qui nous fait lever le matin ? À quoi cela tient d’être artiste ? Toute une série de questions qui renvoient à la structuration même de l’individu, à ses sentiments, son psychisme, sa capacité à composer un corps social et à y appartenir. Des réflexions qui dans ma pratique se manifestent par la sculpture, l’installation, le dessin mais aussi la performance. 

Tes pièces sont-elles praticables par le public ?

Ce n’est pas leur vocation car les pièces sont déjà soumises à de fortes contraintes qui pour moi expriment le caractère malléable de l’idée et pour lesquelles je suis déjà allé à la limite de la rupture. 

« Si je ne cherche pas à ce qu’il y ait une interaction avec le public qui pourrait lui aussi s’essayer à éprouver l’installation, je fais tout de même en sorte d’articuler le physique et l’esprit, afin de mettre ce dernier en situation d’exercice intellectuel. »  

Mes pièces sont porteuses d’hypothèses. Je donne aux gens qui les découvrent la possibilité d’imaginer le processus qui les a conduit à devenir ainsi, j’induis à travers elles le fil d’une réflexion. C’est le cas de la chaise aplatie (Plier, 2011) qui pour moi exprime une idée sur le fil, sur la tranche. Il est évident qu’elle ne peut plus supporter le poids d’un individu, mais qu’elle a donné le plus qu’elle pouvait, comme cette gourde qui, vidée de son contenu puis écrasée, est devenue plane et n’est plus capable d’étancher notre soif. Elle a perdu sa fonction et est devenue vide de sens. Je suis dans un principe constant de reformulation, de manipulation par l’esprit. 

N’est-ce pas dire aussi que nous devons poser un regard « éclairé » sur les choses qui nous environnent ?

Là-aussi, il est question de posture. Quand je positionne un cadre de vélo droit sur un mur (Cadre, 2008), 

je mets en évidence sa structure, lui donne la forme d’un corps dressé. Pour moi ce retournement est éclairant tout comme peut l’être un silencieux de moto qui, pris isolément, devient quand on frappe dessus, une caisse de résonance. Je le mets à mal, l’empêche de garder le silence. Il ne s’agit plus de contenir le son mais justement de savoir s’il a gardé le silence, s’il n’a pas parlé malgré les coups. 

La performance te permet cette mise en mouvement des idées ?

La performance a pris de l’amplitude avec la danse Contact Improvisation, activité durant laquelle j’expérimente la tenue et le maintien des pièces que j’ai mises en forme.

« Mes performances questionnent l’idée politique de cohésion. Qu’est-ce qui nous tient ? Comment nous maintenons-nous tous ensemble ?  Qu’est-ce qui fait que nous avançons de manière coordonnée sans déraper ? »

Des interrogations qui m’ont mené à créer un Bureau d’adhérence (2002) que j’ai matérialisé en couvrant un bureau de scotch double face qu’un circassien porteur trapéziste et moi-même avons performé en venant nous frotter à lui. Le bureau arrachant la matière de nos vêtements s’est progressivement couvert de fibres textiles. J’ai multiplié pendant dix ans ce type d’actions en couvrant d’adhésif  tout type de formes. 

Dont un camion citroën Type hy !

J’ai présenté cette performance (Camion d’adhérence, 2010) au Crac de Montbéliard avec l’idée de mettre une sculpture ou une forme à vif. Tandis que les frottements arrachaient les pulls et pelaient les performeurs, ils coloraient le camion. La combinaison que nous portions rétrécissait au fur et à mesure. De la même manière à la Maison des arts de Bagneux, j’ai entouré de rubans adhésifs double face un socle de sculpture publique pour une performance similaire (Socle d’adhérence (rhabiller la sculpture), 2009). Le frottement est une façon de rendre apparente la structuration d’une réflexion comme dans la pièce Bernicle (2007-2012) une forme conique recouverte de double face, accrochée au mur comme un coquillage sur un rocher, dont les frottements des performeurs rendaient l’architecture visible. 

Des questionnements qui ont un lien direct avec le corps ?

Le lien avec le corps est omniprésent. Il se retrouve dans les dimensions des objets, dans la manière dont je les appréhende. Il est très présent dans le cheval d’arçons, (Selle, 2015) une œuvre pour laquelle j’ai fabriqué des pieds sur lesquels j’ai fixé une selle de scooter. Une pièce conçue pour être chevauchée, sautée, que l’on peut s’approprier complètement. Parfois le corps peut d’ailleurs lui-même devenir un objet. C’était le cas pour cette pièce qui a servi de support pour une performance. À un moment donné un des deux performeurs se figeait et était utilisé par l’autre de la même façon que le cheval d’arçons. Une confusion entre humain et objet, une utilisation du corps et une manière de « jouer avec des choses mortes » dont parle Guy de Cointet.

Est-ce aussi une manière pour toi de rappeler que l’art peut être créé à tout endroit et à tout moment par une simple « posture », un état d’esprit ?

Exactement. Pour l’exposition au Château d’Oiron, j’ai positionné des profilés en bois imbibés d’encre de près de deux mètres du pont d’envol du porte-avions Clemenceau. Une série que je peux déplacer selon les circonstances, qui a ce caractère mobile, et dont je peux placer les éléments devant des seuils, à l’horizontale sur des murs ou à plat posés au sol selon les situations. Une manière de provoquer en tout lieu ce fil de raisonnement qu’induit chacune de mes pièces et de créer de manière pérenne un territoire artistique. Le Porte-avions symbolise une planche qui nous permet d’aller plus loin, de franchir un obstacle, ce seuil dont parlait Toni Grand et de se projeter au-delà.

Entretien de Rémi Uchéda réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru dans la revue Point contemporain #8 © Point contemporain 2018

 

Rémi Uchéda
Né en 1969 à Gange (Hérault).
Vit et travaille à Paris.

 

Visuel de présentation : Rémi Uchéda,  » Plier  » chaise métal pliée accrochée au mur, sans l’assise. exposition deux Pièces Meublées / galerie Jean-Collet.

 

 

Rémi Uchéda, Porte-avions, 2017. Stratifié, médium encré, 198 x 42 cm.                     Vue de l’exposition Reporte, Gare de Metz /Coque vitrée dans le hall des départs. Courtesy et photo artiste.
Rémi Uchéda, Porte-avions, 2017. Stratifié, médium encré, 198 x 42 cm.
Vue de l’exposition Reporte, Gare de Metz /Coque vitrée dans le hall des départs. Courtesy et photo artiste.

 

Rémi Uchéda, Plier, 2011. Chaise pliée, acier, bois, 45 x 41 x 25​ cm. Courtesy et photo artiste.
Rémi Uchéda, Plier, 2011. Chaise pliée, acier, bois, 45 x 41 x 25​ cm. Courtesy et photo artiste.

 

Rémi Uchéda, Ressort, porte manteau, coupole,  Festival WaterGame à Aix-en-Provence 2018
Rémi Uchéda, Ressort, porte manteau, coupole,
Festival WaterGame à Aix-en-Provence 2018