Enrico Bertelli, OLDER and YOUNGER, L’Ahah Moret Paris

Enrico Bertelli, OLDER and YOUNGER, L’Ahah Moret Paris

Alex Chevalier : L’ensemble des œuvres présentées dans l’exposition OLDER and YOUNGER ont été réalisées à partir de matériaux et de supports qui comportent leurs propres histoires, une économie de travail que nous retrouvons dans l’ensemble de votre œuvre. Pourriez-vous nous parler de l’importance du rebut dans votre travail ?

Enrico Bertelli : En effet, on retrouve dans mon travail une utilisation assez centrale et récurrente du rebut, des déchets. Les raisons de ce choix sont variées, et plus ou moins conscientes. Le travail d’un artiste se compose, à mon avis, de plusieurs niveaux dont le principal est, pour moi, le personnel/psychologique – que je considère comme la racine de tout parcours artistique. Je constate que je suis fasciné depuis toujours par les déchirures, les objets défigurés qui ne sont pas visibles et qui résultent des erreurs. De manière plus générale, je peux même dire que les idées, les pensées et les modalités artistiques, pas entièrement « achevées » m’ont toujours attiré. Surtout, je n’ai jamais pu m’empêcher de reproduire cet environnement esthétique.

Par la suite, je me suis posé la question de ce que tout cela signifiait, de manière plus rationnelle, que d’avoir cette tendance. Je voulais quelque part placer cette expérience artistique et psychologique dans un contexte historique et social. Je souhaitais en découvrir les perspectives philosophiques également. J’ai réalisé que c’était ma façon à moi de lire, d’interpréter la réalité dans sa multitude d’aspects, de donner ou tout du moins de proposer du sens, de la signification. J’aimerais aller contre l’évidence de l’arrogance. Pour faciliter les choses, je peux dire que je cherche, à travers ma pratique artistique, à mettre en valeur cette vision de la réalité, et de communiquer aux autres mon point de vue.

Qu’ils soient trouvés ou sélectionnés pour leurs spécificités plastiques (couleur, souplesse, adhésivité, opacité, transparence…), l’utilisation de matériaux qui proviennent de différentes origines est devenue naturelle pour moi. Elle émane d’un processus où le décalage entre la fonction originelle de l’objet et ses conditions réelles au moment de l’utilisation, est toujours présent.

 

Est-ce que le fait de travailler à partir de matériaux trouvés, obligeant alors à s’adapter aux contraintes (dimensions, textures, couleurs, etc.) de chacun d’entre eux, est un aspect déterminant de votre démarche ?

À vrai dire, je ne vois pas de contraintes, plutôt des possibilités. Je trouve très intéressant de pouvoir transformer un objet, de nous faire changer de point de vue sur ce dernier, tout en exploitant ses caractéristiques formelles. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un acte poétique. D’autant que, plus l’objet est banal et négligeable, plus mon travail s’avère passionnant.

 

On sent dans votre travail, et l’exposition en est le reflet, un véritable attrait pour la peinture qui se traduit tant dans le choix des matériaux (matériaux transparents, brillants, mats, colorés, etc.) que dans la façon de travailler (traces de découpes laissées visibles, traces de peintures, scotch, poils de pinceaux, etc.) Comment considérez-vous chacune des spécificités propres aux supports que vous sélectionnez et utilisez ?

Je cherche toujours à utiliser des matériaux différents et à les rapprocher en en faisant un « mauvais usage », voire même en suivant les parcours esthétiques les moins compréhensibles pour moi. C’est une tentative d’atteindre un équilibre instable et décalé à la fois. Les marques, les égratignures, les déchirures sont une partie constitutive de ma façon de peindre et je les utilise en recourant à ma sensibilité esthétique.

Il faut préciser que je ne conçois (planifie) jamais mes œuvres à l’avance, elles sont le résultat d’un processus où l’on voit paraître le hasard, l’observation et le contrôle. Cela s’applique au tableau simple ainsi qu’aux installations.

 

Pourriez-vous nous en dire plus quant à cette notion de hasard dans votre travail ? Est-ce notamment lié au fait de travailler avec ces matériaux et de prendre en considération leurs possibilités ? 

Il existe de nombreux aspects de notre réalité qui sont dus au hasard. Nous pouvons le constater dans la physique, la biologie, l’évolution humaine et, de manière plus générale, dans le développement de la vie. L’univers lui-même, comme l’affirment les scientifiques, doit ses origines à une fluctuation aléatoire du vide. 

J’ai effectivement toujours apprécié la contribution du hasard dont je me sers comme une sorte de coopération irrationnelle. Je n’établis néanmoins ni des modalités, ni des temps ni des règles. Je crois qu’on retrouve dans mon travail un dialogue ouvert entre volonté et hasard.

 

Que ce soit dans les peintures ou dans un travail d’avantage lié à l’image, il y a souvent cette idée d’emprunt. UNAN, l’édition publiée à l’occasion de l’exposition, par exemple, réunie des images trouvées. Pourriez-vous nous parler de cette édition et de la façon dont elle a été conçue ?

L’idée de UNAN est née de la volonté de documenter l’expérience humaine et artistique de ma résidence à L’ahah (pendant près d’un an) et, en même temps, de créer un objet très pictural. La partie photographique se constitue d’une série de clichés qui ont été pris pour la plupart dans le bâtiment situé cité Griset (ndlr. L’ahah possède en effet deux espaces d’exposition au cœur de Paris, un rue Moret et un autre cité Griset). Encore une fois, l’aspect même de cette édition, son « esthétique », et dû au fait que je l’ai conçue comme s’il s’agissait d’un tableau. Ce à quoi je tiens beaucoup est cependant d’avoir partagé avec d’autres personnes que j’apprécie les quelques jours de travail dûment renseigné dans l’encart noir. Ce sont les traces laissées par les artistes qui ont travaillé et vécu dans mon atelier pendant ces quelques jours.*

 

La mise en espace est également un élément important du travail que vous menez. Pourriez-vous nous parler de la façon dont vous appréhendez l’espace d’exposition et comment se construit un projet d’exposition comme OLDER and YOUNGER ? 

L’espace d’exposition devient le support où je vais devoir travailler. Tous les éléments du lieu entrent en jeu : la lumière, les parois, le sol, etc. Quand je réfléchis à l’accrochage d’une exposition, j’essaie toujours de « m’affronter », d’être courageux et, surtout, de ne pas me contenter (le pire péché pour un artiste) de solutions faciles, soignées et rationnelles. C’est important de compliquer les choses, se les compliquer pour soi d’abord et les compliquer au public ensuite. Je suis convaincu que le fait de brouiller les pistes est l’une des choses les plus utiles que l’artiste puisse faire pour le public.

Pour revenir à la conception de l’exposition, il faut que le résultat soit totalement « adhérant » à ma personnalité. Je dois me voir dans ce lieu comme dans un miroir. C’est comme si j’y habitais. 

* Durant sa résidence à l’ahah, Enrico Bertelli a en effet invité Valentino Barachini, Federico Cavallini, Robert Gschwantner, Matthew Licht, Franco Menicagli, Agathe Rosa, Andrew Smaldone et Sergio Tossi à venir travailler avec lui dans son atelier.

Entretien réalisé par Alex Chevalier © 2018 Point contemporain

 

 

Infos pratiques

Enrico Bertelli, exposition OLDER and YOUNGER,

Du 15 septembre au 27 octobre 2018,

L’Ahah 26 rue Moret 75011 Paris

www.lahah.fr

 

 

Visuel de présentation : Vue d’exposition Older and Younger d’Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018. vitrine de l’espace Moret. Photo : Marc Domage / L’ahah, Paris

 

 

Vue d'exposition Older and Younger d'Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018 de gauche à droite : The Biggest Lie, 2018 Diptyque, encre sur PVC, vinyle adhésif 200 x 300 cm Sans titre, 2018 Vinyle adhésif 17,5 x 36 cm
Vue d’exposition Older and Younger d’Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018
de gauche à droite :
The Biggest Lie, 2018. Diptyque, encre sur PVC, vinyle adhésif, 200 x 300 cm
Sans titre, 2018. Vinyle adhésif, 17,5 x 36 cm
photo : Marc Domage / L’ahah, Paris

 

Vue d'exposition Older and Younger d'Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018 de gauche à droite : Sans titre, 2018 Vinyle adhésif 17,5 x 36 cm A Final Frame, 2017 encre sur PVC 17,5 x 78 cm photo : Marc Domage / L'ahah, Paris
Vue d’exposition Older and Younger d’Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018
de gauche à droite :
Sans titre, 2018. Vinyle adhésif, 17,5 x 36 cm
A Final Frame, 2017. Encre sur PVC, 17,5 x 78 cm
photo : Marc Domage / L’ahah, Paris

 

Vue d'exposition Older and Younger d'Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018 de gauche à droite : A Final Frame, 2017. Encre sur PVC, 17,5 x 78 cm Miracoli, 2018. Tirages photographiques, plexiglas, 24 x 17,5 cm Secure Life, 2014/2017. Panneau en PVC et mousse, gommettes, acryliques, 30 x 21 cm Musica e gimnastica, 2018. Encre, vinyles adhésifs, panneau de bois, 36,5 x 62 cm photo : Marc Domage / L'ahah, Paris
Vue d’exposition Older and Younger d’Enrico Bertelli à L’ahah #Moret, 2018
de gauche à droite :
A Final Frame, 2017. Encre sur PVC, 17,5 x 78 cm
Miracoli, 2018. Tirages photographiques, plexiglas, 24 x 17,5 cm
Secure Life, 2014/2017. Panneau en PVC et mousse, gommettes, acryliques, 30 x 21 cm
Musica e gimnastica, 2018. Encre, vinyles adhésifs, panneau de bois, 36,5 x 62 cm
photo : Marc Domage / L’ahah, Paris

 

D’où vient la chaleur lunaire ?, 2018 Polyptyque, encre sur PVC, papier de cire et encre, stylo, acrylique sur PVC et papier de cire, carton plume, PVC et encre, plexiglas et colle, encre sur vinyle adhésif, 74 x 372 cm photo : Marc Domage / L'ahah, Paris
D’où vient la chaleur lunaire ?, 2018
Polyptyque, encre sur PVC, papier de cire et encre, stylo, acrylique sur PVC et papier de cire, carton plume, PVC et encre, plexiglas et colle, encre sur vinyle adhésif, 74 x 372 cm
photo : Marc Domage / L’ahah, Paris

 

D’où vient la chaleur lunaire ?, 2018 Polyptyque, encre sur PVC, papier de cire et encre, stylo, acrylique sur PVC et papier de cire, carton plume, PVC et encre, plexiglas et colle, encre sur vinyle adhésif, 74 x 372 cm (détail) photo : Marc Domage / L'ahah, Paris
D’où vient la chaleur lunaire ?, 2018 (détail)
Polyptyque, encre sur PVC, papier de cire et encre, stylo, acrylique sur PVC et papier de cire, carton plume, PVC et encre, plexiglas et colle, encre sur vinyle adhésif, 74 x 372 cm
photo : Marc Domage / L’ahah, Paris

 

A Final Frame, 2017 encre sur PVC 17,5 x 78 cm photo : Marc Domage / L'ahah, Paris
A Final Frame, 2017. Encre sur PVC, 17,5 x 78 cm
photo : Marc Domage / L’ahah, Paris