AURÉLIE PERTUSOT

AURÉLIE PERTUSOT

Aurélie Pertusot, installation le pli, crédit photo : Elma Riza

PORTRAIT D’ARTISTE / Les deux dernières installations monumentales en fil sur des bâtiments d’Aurélie Pertusot, déviation à Creil, et le pli à Berlin, donnent l’occasion de diffuser ce texte sur le rapport que l’artiste entretien avec le support de ses œuvres, écrit il y a 5 ans mais non publié jusqu’alors*.

* hormis sur le site de l’artiste

par Armand Garçon, octobre 2020

Il est à noter que le projet hôte-couture, que j’avais emphatiquement catégorisé comme triptyque, a continué à être développé (Grenoble, Pantin) et semble être la matrice de ces deux nouvelles interventions, assumé à Creil avec la référence dans le titre, alors qu’à Berlin l’aspect “participatif” a disparu au profit d’un dessin plus énigmatique. Dans les deux cas, si l’œuvre joue encore pleinement avec la perception de l’architecture, son support, elle s’en affranchi par le caractère plus affirmé, plus concret (au sens de l’art concret) du dessin produit par la matière du fil.

CHANGEMENT DE SUPPORT

processus de transformation à l’œuvre chez Aurélie Pertusot

L’univers artistique d’Aurélie Pertusot est définie en partie par les matériaux qu’elle utilise, du presque rien, de la lumière, du fil… Blanc comme la feuille de papier, transparent comme le ruban adhésif, minimal, économe, presque austère, quasi imperceptible, il cherche la dématérialisation. L’attraction de l’espace.

Dans Bordurie, Aurélie tente « dans une recherche de perfection inatteignable de détacher le dessin de son support, qui par ce phénomène n’en est plus un ». Le cercle semble flotter au dessus des multiples feuilles de papier sur lequel il est dessiné, et l’œuvre apparaît multiple, partagée entre le sol, l’ensemble de feuilles et le trait.

En 1949, Lucio Fontana s’attaquait à son support quand il réalisait ses premiers Concetti spaziali en perforant ses toiles. Certains photographes des années 70 intervenaient sur le support photochimique (Lucas Samara avec ses auto-polaroids ou Paolo Gioli, Polaroid Polacolor ottica), tout comme les avant gardistes du début du XX° cherchaient à produire des œuvres en travaillant directement le négatif (Man Ray, Moholy Nagy ou encore Christian Schad avec leurs photogrammes).

Semblant ne pas y prendre garde, Aurélie Pertusot attaque/altère le support de ses œuvres de manière autrement subtile, et en cela nous procure parmi les multiples facettes de son travail une des pistes qui me semble des plus pertinentes pour aborder son œuvre.

Aurélie prétend/entend sortir le dessin de la feuille pour le projeter dans l’espace, et en effet, nombre de ses créations répondent de cette problématique. Toutefois, dans beaucoup d’entre elles, le support ne disparaît pas, mais est profondément altéré, et c’est peut être dans cette altération que réside une des richesses de sa démarche.

L’évidence de cette spatialisation du dessin qu’elle cherche se manifeste quand elle fait surgir la ligne hors de la feuille au moyen de fils tissés à travers celle-ci (roter faden) dans des compositions géométriques qui, par la tension du fil, donnent une courbe à la feuille ou même dans un deuxième temps, une forme complexe s’apparentant vaguement à une vague (divaguation). Ce procédé, s’il rappelle le travail de Fred Sandback, faisant clairement ressortir le fil, la ligne, s’en distingue par le rapport qu’il instaure avec son support. Ici le support (du papier en général, mais aussi plus récemment du plastique type polycarbonate ou encore du métal) n’est pas neutre. Il acquière un statut particulier en servant de base à la projection, mais il affiche également sa propre déformation, d’autant plus visible qu’il s’agit de matériaux flexibles mis en tension.

Quand par ailleurs l’artiste produit de grands dessins sur une feuille (ou un mur) qui reste blanche sans l’action de la lampe à ultra-violet prévue à cet effet, c’est l’interaction du public qui modifie le support de l’œuvre, seul mis en scène (trous-blancs, aveuglement, trou-blanc, la performance sans titre, et votre beauté resplendira). Là encore, notre attention se porte sur le support, sur ce qu’il est et ce qu’il devient, ou ce qu’il pourrait être.

Avec schein, l’installation semble invisible jusqu’à ce que l’on force notre attention à se focaliser sur le ruban adhésif fixé perpendiculairement au mur. Prenant conscience que le mur entier forme l’œuvre, on prend du recul pour le considérer dans son ensemble. On l’appréhende d’abord comme entité mur (support de l’œuvre) car l’adhésif est très peu visible, avant de saisir la composition qui se joue grâce à la lumière qui le reflète à la paroi. Celle-ci, en perturbant les notions de mur/façade, dedans/dehors, assimile le mur, le distord et l’efface en tant que tel pour nous le restituer en tant que tableau.

Dans Eclipse, de manière un peu différente, le dispositif joue avec le temps, faisant apparaître puis disparaître le dessin réalisé avec de l’huile ; le support, le papier est donc le seul élément tangible de l’œuvre, mouvante, qui se transforme de manière cyclique.

Plus que des lieux qu’elle se réapproprie, l’artiste comme bien d’autres avant elle, nous parle avec futurs souvenirs du poncif de la carte postale. Même si elle la violente, l’endommage, la griffe, la coupe ou la déchire, son principal dispositif reste l’adjonction de fils et lignes, dans une sorte de « décollement » de ceux-là, laissant clairement visible le support qu’elle utilise et l’altération qu’elle lui inflige.

Die richtung, quand à elle, est une installation posée au sol, qui ne peut exister sans celui-ci. Le support atteint là une importance équivalente au « supporté », et la compréhension de la composition se trouve dans le regard porté sur l’un et l’autre alternativement. Les feuilles, matériau produisant l’œuvre, ne (re)présentent rien, il ne s’agit que d’un amas semblant aléatoire. Mais le creux ou affleure le sol, le support, d’où émerge une multitude de flèches indiquant toutes les directions possibles, montre le sens de celle-ci, portée par les notions d’ordre et de chaos, de normes et de perte des repères.

Froissure, où la ligne qui intéresse l’artiste semle brisée par la froissure du papier (ce qui n’est pas le cas), est sans doute la pièce qui montre le plus manifestement la séparation entre celle-ci et son support modifié, car la feuille froissée renvoie immanquablement au rejet, au rebut, et on l’identifie comme tel avant de se focaliser sur le dessin.

Avec le tryptique hôte-couture (Villeurbanne, Metz, Berlin), Aurélie Pertusot passe à l’échelle urbaine et parle alors elle-même de « transforme(r) l’architecture, ici employée en tant que support habité (…) » et de « modifie(r) le paysage urbain et notre perception (…) ». Elle tend une ligne rouge de fenêtre en fenêtre, reliant les habitants ou usagers des édifices de manière aussi réelle que symbolique. Elle s’attache à la réalisation de son dessein, qui doit aboutir à un dessin parmi tant d’autres possibles pour produire une œuvre qui une fois de plus conduit notre attention vers le support de celle-ci, en le modifiant provisoirement.

Le Projet Franc-Bord, installation non réalisée, utilise le même stratagème de manière plus radicale, évoquant paradoxalement le mouvement en liant au sol le lourd bâtiment de l’ancienne corderie royale de Rochefort, qui semble prête à mettre les voiles.

« (…) j’utilise les paysages comme supports de mes installations, les considérant comme des lieux utopiques telle la page blanche de l’écrivain où l’histoire peut débuter » écrit-elle, laissant deviner l’importance que prend la transformation de ce support dans l’œuvre elle-même.

Quand elle appréhende la cité, avec fôleries où elle prend le parc du château de Lunéville comme support pour une installation qui perturbe la notion de perspectives, en mêlant/emmêlant 2D et 3D dans d’immenses dessins surgissant au cœur du parc, ou encore avec luftschloss, où l’éphémère apparition d’une maison fantomatique dans un entre-deux berlinois renvoie les habitants à leur propre vécu, l’artiste transforme là encore son support, la ville elle-même, révélant ses potentiels, les innombrables possibilités du monde autant que le monde tangible.

Armand Garçon juin 2015

AURÉLIE PERTUSOT – BIOGRAPHIE
Aurélie Pertusot est née en 1983.
Elle vit et travaille entre Metz et Berlin.
Après un BTS communication visuelle à Besançon, elle obtient en 2007 un D.N.S.E.P. Communication à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Nancy.
http://aureliepertusot.free.fr

ACTUALITÉS
hôte couture-déviation
festival mosaïque, théâtre de Creil 24-28 septembre 2020

le pli
galerie weisserelefant, Berlin 15 août – 19 septembre 2020
prolongée jusqu’au 22 décembre 2020

Aurélie Pertusot, Aveuglement
Aurélie Pertusot, Aveuglement
Aurélie Pertusot, Bordurie
Aurélie Pertusot, Bordurie
Aurélie Pertusot, Eclipse
Aurélie Pertusot, Eclipse
Aurélie Pertusot, En ligne
Aurélie Pertusot, En ligne
Aurélie Pertusot, Ficelle
Aurélie Pertusot, Ficelle
Aurélie Pertusot, Folerie
Aurélie Pertusot, Folerie
Aurélie Pertusot, Froissure
Aurélie Pertusot, Froissure
Aurélie Pertusot, Die Richtung
Aurélie Pertusot, Die Richtung
Aurélie Pertusot, Futurs souvenirs
Aurélie Pertusot, Futurs souvenirs
Aurélie Pertusot, Hôte couture
Aurélie Pertusot, Hôte couture Metz
Aurélie Pertusot, Hôte couture Metz
Aurélie Pertusot, Luftschloss
Aurélie Pertusot, Luftschloss
Aurélie Pertusot, Le pli (nuit) Crédit photo Elma Riza
Aurélie Pertusot, Le pli (nuit) Crédit photo Elma Riza