Cabinet Da-End 09

Cabinet Da-End 09

EN DIRECT / Exposition Cabinet Da-end 09, jusqu’au 26 octobre 2019, Galerie Da-end
par Pauline Lisowski

Si nous sommes plutôt habitués aux galeries de type white cube, la Galerie Da-End a pris le pari inverse avec son espace aux multiples alcôves, aux murs noirs et colorés, et aux différentes lumières. Les œuvres y trouvent alors place dans des endroits aménagés pour qu’elles ne soient pas dévoilées de prime abord et alors qu’on s’y attarde pour découvrir et revoir autrement.

En 2011, la Galerie Da-End constitue son premier cabinet de curiosités contemporaines. Les galeristes revendiquent leur enjeu :

« Rappeler que le champ de l’art contemporain est vaste mais qu’il est possible de constituer une collection qui corresponde à notre vision du monde, à nos émotions, qui prenne du sens pour soi. La curiosité, l’ouverture, et pourquoi pas la subversion, doivent rester les maîtres mots, la capacité à se laisser bouleverser, à sortir de nos zones de confort, indépendamment des codes et de toutes influences extérieures, etc. ».

La galerie se transforme avec une atmosphère tamisée qui nous met en condition pour aborder les œuvres présentées.

Vue d'exposition, Cabinet Da-End 09, 2019 Galerie Da-End
Vue d’exposition, Cabinet Da-End 09, 2019 Galerie Da-End

Cette année, un texte L’art entre le visible et l’invisible de René Huyghe a guidé les galeristes à concevoir la thématique de ce cabinet de curiosités. Comme à chaque fois, les artistes sont invités à créer de nouvelles pièces et l’ensemble de leurs œuvres de différentes techniques sont ensuite réunies pour créer une exposition qui invite à aiguiser son regard pour tenter de saisir ce qui se cache derrière. Le mystère plane en faisant un premier tour de la galerie, puis peu à peu, l’œil s’affine et nous pouvons aborder chaque œuvre et prendre goût au délice d’une observation fine.

Au sol la sculpture en verre de Kim KototamaLune réalisée en collaboration avec l’institut Pasteur évoque un cœur. La délicatesse des filaments de verre qui composent cette pièce organique suggère une énergie.

Kim KototamaLune, Une espèce d'éternité, Verre filé, 160 x 120 x 109 cm, 2019 Courtesy de l'artiste et Galerie Da-End
Kim KototamaLune, Une espèce d’éternité, Verre filé, 160 x 120 x 109 cm, 2019
Courtesy de l’artiste et Galerie Da-End

Les sculptures de Célia Nkala conservent, selon elle, une âme et un esprit. A partir de pièces cassées, qu’elle amalgame et répare ensuite avec de la cire, elle redonne une nouvelle vie. Pour l’artiste, qui convoque la notion de sublimation, il s’agit à partir d’éléments fragmentaires de créer un « nouvel ordre des choses ». Ses œuvres, objets, contiennent en elle une mémoire, celle d’un geste de recréation d’objet.

Celia Nkala, Objets présents (ou melancolie IV), 2019. Cire, cendre – diam 30 cm
CCélia Nkala, Objets présents (ou mélancolie IV), Cire, cendre – diam 30 cm, 2019 
Courtesy de l’artiste et Galerie Da-End

Chez Marion Catusse, l’attention est portée au microscopique. Pour elle, la pierre et les autres matériaux l’amènent à prendre une posture comparable à celle du scientifique. Elle aussi a effectué un acte de réparation auquel elle donne une charge émotionnelle. A partir de multiples morceaux d’une table en verre brisée par la tempête, elle a tenté de les reconstituer comme un puzzle par la technique du « kintsugi ». Sur des socles à l’allure de colonnes doriques, ses pièces deviennent des trésors, souvenirs de la personne qui lui avait offert la table.

Marion Catusse, Résilience, 12 x 3 x 3 cm, Verre brisé, feuille d’or, socle de verre, 2019  Courtesy de l'artiste et Galerie Da-End
Marion Catusse, Résilience, 12 x 3 x 3 cm, Verre brisé, feuille d’or, socle de verre, 2019 Courtesy de l’artiste et Galerie Da-End

Markus Åkesson s’intéresse à la beauté cachée avec un grand intérêt pour les motifs, qui renvoient vers une culture. Sa peinture nous trouble par l’extrême précision qu’elle contient. Le vêtement masque pour mieux révéler le corps humain.

Au sol, l’installation composée d’une multitude de pièces en céramique de Sarah Jérôme convoque un jardin et un miroir au mur nous empêche d’atteindre le reflet. Ce qui entraine une frustration, un désir de saisir ce qui peut apparaître. On est à la fois à distance et à proximité des sculptures.

Les dessins percés de Marielle Degioanni nous invitent à regarder avec attention pour saisir leur finesse. Elle représente le végétal saisi comme objet précieux, de désir et dont on y attache des symboles. L’artiste cherche un absolu. Par leur caractère invisible, ses dessins tendent vers une énergie vitale, une rêverie, une contemplation qui mène vers une quête intime.

Marielle Degioanni, Sans titre, 18 x 26 cm, Perforations et aquarelle sur papier, 2019  Courtesy de l'artiste et Galerie Da-End
Marielle Degioanni, Sans titre, 18 x 26 cm, Perforations et aquarelle sur papier, 2019 Courtesy de l’artiste et Galerie Da-End

Les sculptures de Lucy Glendinning présentent une certaine étrangeté. A l’aide des plumes et de cire, elle façonne des êtres en mutation. Elle interroge ainsi la transformation de l’être humain.

A l’étage, dans petite salle, telle une chambre, les sculptures d’animaux de Carolein Smit jouent sur l’ambivalence entre une maîtrise de la céramique et un certain humour. Celles-ci font écho aux toiles de Marcella Barcelo, des scènes à la fois baignées de couleurs douces et à la dramaturgie ambiguë.

Nieto fut invité à tisser du lien avec les œuvres exposées. Son installation fait écho à une muse qui n’a plus d’artiste. Un fantôme, par la technique du mapping, parasite alors l’exposition en se déplaçant et en traversant les œuvres. Son œuvre convoque un esprit qui se nourrit des autres pièces et nous conduit à le suivre.

La sculpture maigre et fragile de Nicolas Darrot évoque un télescope. Cette pièce suggère aussi un animal et renvoie au regard animiste que l’artiste a sur les objets.

Les œuvres nous amènent à penser à ce qu’il y a au-delà des images et des formes. Elles convoquent le vide, le manque, ce qu’on cherche à atteindre et ce qui surgit sans qu’on l’attende. Elles nous incitent à prêter attention aux matières pour songer à de potentielles métamorphoses.

Ainsi, la Galerie Da-end nous propose de modifier nos habitudes de spectateur pour mieux nous laisser transporter dans l’univers que contient chaque œuvre. Retrouver ce regard curieux, à la recherche du petit, de ce qui est caché, se laisser porter par un souffle d’étrangeté, telle est l’expérience que nous propose cette exposition.

Pauline Lisowski pour Curiosités contemporaines, 2019

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