Et si on parlait d’art au Musée ?

Et si on parlait d’art au Musée ?

premier plan : Fontainebleau, bois 
deuxième plan : Le printemps de la peinture, acrylique et vinyle sur bois
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes 

EN DIRECT / Exposition « Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien du 27 avril au 03 novembre 2019 au Musée des Beaux-arts de Rennes
Par Pierre Ruault

« Les œuvres anciennes, l’histoire et l’histoire de l’art contribuent à éclairer notre présent
et ne sont pas opposées à l’art actuel. L’artiste ne créé pas à partir de rien.
Au contraire, il mélange, révèle, combine des faits, des idées et des techniques qui le précèdent »1

L’artiste plasticien Vincent-Michaël Vallet, diplômé de l’Ecole supérieure européenne d’art de Bretagne, mais aussi titulaire d’une licence en histoire de l’art (Université Rennes 2), nous offre, dans le cadre de l’exposition « Et si on parlait d’art ?», un parcours pédagogique et ludique au travers des collections françaises du Musée des Beaux-arts de Rennes. Cette initiative est née de la collaboration entre l’artiste rennais et le responsable des collections anciennes, Guillaume Kazerouni – réunit d’ailleurs pour l’occasion dans un Autoportrait avec un ami (2009) qui conclut le parcours – et Elisabeth Lavezzi, spécialiste en littérature artistique. Un dialogue particulièrement réussit se noue entre créations contemporaines, peintures françaises du XVIe et XVIIe siècle et textes littéraires sur l’art concluant une série de collaborations entre l’artiste et le conservateur2. Le propos de cet article ce concentrera uniquement sur les interventions artistiques de Vincent-Michaël dans les différentes salles de l’exposition, tout en prenant en compte le dialogue avec les œuvres de la collection permanente du musée et les différents textes réunis.  

Vincent-Michaël part du principe que tout art est « art contemporain pour qui avance l’esprit ouvert3», mettant fin au mythe de la rupture annoncée par les avant-gardes historiques. L’artiste joue avec l’histoire de l’art, en connaissance de cause, en rêvant à son propre « musée imaginaire4 » fantasmé et mis en image sous la forme d’un dessin créé à la tablette graphique qui ouvre l’exposition, Vue intérieure du musée (2019). L’artiste se représente dans les salles du musée des Beaux-arts, en pleine expérience esthétique se traduisant part la présence de plusieurs figures aériennes et mouvantes (remplaçant les reproductions photographiques de Malraux), issues des peintures exposées, annonçant la future déambulation physique et mentale du regardeur durant le parcours qu’il nous propose.

Une Liberté de flâner dans les salles tout en cherchant consciemment ou non à répondre au questionnement que Vincent-Michaël pose au visiteur sur l’histoire des peintures présentes dans les galeries ; avec un programme de trois sculptures et de trois peintures qui introduisent, sous forme de rébus, le contexte historique et artistique. Les sculptures, par leurs titres, font référence aux principaux centres artistiques de l’époque (Fontainebleau, Paris et Versailles) et par leurs formes, prélevées de peintures anciennes, aux canons académiques de l’époque (Maniérisme, baroque et classicisme). Le XVIe siècle (Fontainebleau, 2019) est représenté sous les traits d’une nymphe – issue d’un bas relief de la Fontaine des Innocents de François Goujon – à la ligne serpentine propre au courant Maniérisme et Bellifontain. Le XVIIe siècle, quant à lui, est illustré par une allégorie ailée de la Renommée (Paris, 2018) proche du lyrisme baroque de Simon Vouet5 et par une autre nymphe (Versailles, 2019) qui évoque l’absence d’un corps disparu dans l’œuvre Repos de Diane (1636-1716) de Charles de La Fosse, les deux œuvres étant présentes dans la même salle6. Leur aspect minimaliste, leur dépouillement rappellent volontairement une esthétique « Kit Ikea » plus pratiquo-ludique qu’esthétique et leur monochromie surjoue jusqu’au décor la présence de sculptures en bronze. Les formes des trois sculptures en bois, reproduites pour chacune en trois exemplaires, rassemblées sur un même socle, donnent ironiquement à la planéité du modèle pictural une présence corporelle au sein des espaces d’expositions muséales et rappellent l’importance historique du modèle normatif répété/réinterprété indéfiniment par la peinture classique.

La série de tableaux-collages, présentée dans les mêmes salles, se présente, quant à elle, sous la forme d’énigmes composées d’assemblages d’images (peintures, gravures, radiographies) rassemblées par l’artiste-historien de l’art qui nous invite à les déchiffrer pour comprendre les œuvres exposées à proximité. Leur aspect formel rappelle les formes droites et géométriques de la série de collages Almost Like Rebar (2018) de l’artiste chinoise Liu Shiyuan. Le premier tableau, Le Printemps de la peinture (2019) présente un ensemble de versions d’œuvres caractéristiques de la Renaissance française superposées les unes aux autres (Femmes aux bains, Bal à la cours des Valois, Femme entre deux âges), signifiant malignement la production en série de sujets de peinture à la mode et faisant référence à deux œuvres exposées au Musée des Beaux-arts. 

Le second tableau, Tirer les rideaux, allumer les bougies (2919), exposé dans la salle des caravagesques, fait directement référence au « chef-d’œuvre le plus important de la collection du musée7», Le Nouveau-né (vers 1648) de Georges de La Tour. En plus d’une reproduction de la peinture, il rappelle les différentes attributions que l’œuvre avait reçues tout au long de son histoire, par la présence d’une peinture des Frères Le Nain. L’ensemble est marqué par l’esthétique claire-obscure, typique de Georges de La Tour. Ce clair-obscur que Vincent-Michaël veut combler, dans deux petits tondi qui entourent la scène de nativité, par la reproduction des yeux d’illustres peintres français du XVIIe. Ils sont tirés de gravures illustrant un ouvrage sur les vies d’artistes à la manière Des Vite de Giorgio Vasari. Seuls manquent ceux des Georges de La Tour. Ces multiples regards forment le Cyclope aux mille yeux, témoin chimérique « des souvenirs des accrochages successifs » du musée, imaginé par Vincent-Michaël et lui inspirant un poème homonyme laissé à la lecture du visiteur.

C’est aussi, non sans humour, que Vincent-Michaël Vallet questionne, avec un regard contemporain, les lois dictées par l’Académie royale de peinture et de sculpture qui régissaient la création artistique à partir du XVIIe siècle. Dans une salle du musée consacrée à la nature morte, l’artiste intervient directement sur les murs par des dessins naïfs et enfantins de fruits réalisés à partir d’adhésif décoratif, matériau plutôt jugé « cheap » et réservé à la décoration. Une intervention volontairement faible qui évoque la place « mineure » de la nature morte dans la hiérarchie des genres qu’évoquait André Félibien dans un texte sélectionné pour l’exposition8

Autre intervention de ce genre dans l’avant-dernière salle du parcours, consacrée aux grands tableaux religieux et dominée par l’impressionnante Descente de croix de Charles Le Brun (1679). L’artiste s’amuse, dans un jeux de reflets, de la querelle du coloris qui opposait au XVIIe siècle le clan des poussinistes, fidèles au dessin et le clan des rubénistes, défenseurs de la couleur, en exposant devant la toile de Le Brun un tapis, Amour Bagarre dans souliers propres sur gazon coloré (2019), reproduisant les contours de la composition. Mais cette dernière semble avoir coulé sur le sol, laissant seulement des traces de couleurs harmonieuses, transformant un fidèle partisan du dessin en un coloriste ordonné. Cette dernière pièce est, sans doute, l’œuvre la plus réussie de l’exposition Et si on parlait d’art ? car elle développe ce jeu de reflets entre art contemporain et peinture historique, voulu par l’artiste, en étant le pendant direct et en négatif d’une toile préexistante. Elle commente brillamment une histoire de la peinture française, dictée par ses codifications et ses contradictions, tout en étant une pièce forte plastiquement parlant. Cette œuvre, à l’instar du reste de l’exposition, est un travail de recherche plastique significatif alliant connaissance de l’histoire de l’art et création contemporaine et l’on ne peut qu’en féliciter Vincent-Michaël Vallet.

1 Vincent-Michaël Vallet, « La conjugaison du présent », in Et si on parlait d’art ? (exp. Musée des Beaux-arts de Rennes, 2019), Kazerouni, Guillaume (dir.), Gand, éditions Snoeck, 2019, p. 61.
2 Elles avaient pris la forme d’une trilogie d’expositions « historico-contemporaines » : 327 pas de l’une à l’autre. Réflexions d’artistes (2018), Soleils électriques. Regard contemporain sur l’exposition « Contemplation » (2018).  
3 Vallet., op. cit., p. 61.
4 « J’appelle Musée imaginaire la totalité de ce que les gens peuvent connaître aujourd’hui même en n’étant pas dans un musée, c’est-à-dire ce qu’ils connaissent par les reproductions », in André Malraux, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 1996 (1965).
5 La forme de l’allégorie est issue du tableau Le Temps vaincu par l’Amoure, L’Espérance et la Renommée (vers 1640-1645) de Simon Vouet, conservé au Musée du Berry à Bourges.
6 Une partie de la peinture à été coupé et c’est grâce à une autre version du tableau conservée au Musée de l’Hermitage que l’intégralité de l’œuvre a été connu. 
7 Guillaume Kazerouni, « Georges de La Tour », in Et si on parlait d’art., op. cit. p. 30.
8 «[Le peintre] qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d’un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles », extrait des Préfaces des Conférences (1668) cité dans Elisabeth Lavezzi, « Hiérarchie des genres ou génie universel et talents particuliers ? » in Et si on parlait d’art., Ibid., p. 29

Pierre Ruault

Vincent-Michaël Vallet
Né le 9 Juillet 1987 à La Seyne sur Mer (Var)
​Vit et travaille à Rennes

www.vincentmichaelvallet.com

INFOS PRATIQUES
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien

du 27/04/2019 au 03/11/2019
Le Musée des Beaux-Arts de Rennes édite le catalogue raisonné de l’ensemble de ses riches collections de peintures françaises du XVIe au XVIIIe siècle. À l’occasion de cette parution, un parcours de visites est présenté dans les sept salles de la collection permanente correspondant aux limites du catalogue. Intitulée Et si on parlait d’art ?, cette déambulation inédite propose aux visiteurs un nouvel éclairage sur les peintures, mêlant histoire, littérature et création contemporaine. Conçue en collaboration entre Guillaume Kazerouni (responsable des collections anciennes du musée) et Vincent-Michaël Vallet (artiste plasticien), le propos du parcours est enrichi par un choix de textes du XVIIe siècle d’André Félibien sélectionnés par Elisabeth Lavezzi (spécialiste de littérature artistique).
Dans le parcours, l’installation temporaire de créations contemporaines, spécifiquement pensée pour susciter des interrogations et donner des clés de lecture supplémentaires, permet de comprendre la transversalité des intérêts et pratiques artistiques au fil des siècles. L’art d’hier nourrit celui aujourd’hui dans un riche dialogue à travers le temps.

du mardi au vendredi : 10 h > 17 h
samedi et dimanche : 10 h > 18 h
Fermé le lundi et les jours fériés

Musée des beaux-arts de Rennes 
20 quai Emile Zola
35000 Rennes
www.mba.rennes.fr

Exposition "Et si on parlait d’art" de Vincent-Michaël Vallet du 27 avril au 03 novembre 2019 au Musée des Beaux-arts de Rennes
Vue intérieure du musée, 2019, impression laser sur papier arche
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes
Exposition "Et si on parlait d’art" de Vincent-Michaël Vallet du 27 avril au 03 novembre 2019 au Musée des Beaux-arts de Rennes
à gauche : Tirer les rideaux, allumer les bougies, acrylique et vinyle sur bois
A droite : Un possible arrière plan, sérigraphie sur papier
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes
Exposition "Et si on parlait d’art" de Vincent-Michaël Vallet du 27 avril au 03 novembre 2019 Musée des Beaux-arts de Rennes
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes
Exposition "Et si on parlait d’art" de Vincent-Michaël Vallet du 27 avril au 03 novembre 2019 Musée des Beaux-arts de Rennes
premier plan : Paris, bois
deuxième plan : Sous le soleil, acrylique et vinyle sur bois
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes
Exposition "Et si on parlait d’art" de Vincent-Michaël Vallet du 27 avril au 03 novembre 2019 Musée des Beaux-arts de Rennes
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes
Exposition "Et si on parlait d’art" de Vincent-Michaël Vallet du 27 avril au 03 novembre 2019 Musée des Beaux-arts de Rennes
Amour et bagarres dans souliers propres sur gazon coloré, impression sur moquette
« Et si on parlait d’art ? »
Parcours à travers les collections des peintures françaises du Musée des Beaux-Arts avec la participation de Vincent-Michaël Vallet, artiste plasticien
du 27 avril au 03 novembre 2019
Musée des Beaux-arts de Rennes