ALEXANDRE LENOIR, SOUS LE NIVEAU DE LA MER

ALEXANDRE LENOIR, SOUS LE NIVEAU DE LA MER

Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Almine Rech, Paris Matignon
© Alexandre Lenoir – Photo Ana Drittanti – Courtesy artiste et Almine Rech

EN DIRECT / Exposition Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer,
jusqu’au 29 mai 2021, Galerie Almine Rech, Paris.

Par Laurence Gossart

Nappes d’Ondines, flottements aux nuances d’amande, de gris, de vert de gris, de multiples verts aux bleutés scintillants, ondulant vers des fluides jaune saumâtre ou blanc d’albâtre, le corps, là, presqu’à l’abandon, dans ce temps étiré, se délite dans les molécules d’éléments premiers. Ce corps fait corps avec le monde, s’entoure de milliers de gestes qui texturent la surface de la toile marouflée, tendue comme pour faire revenir à flot, ramener dans une écume, quand le calme est de nouveau là, les trésors enfouis par le ressac. La toile, support d’une vie frémissante, de manipulations, prélèvement de matière, soustraction d’émulsion, s’étend comme l’eau, miroir infini, vers l’horizon de celui qui la regarde. C’est alors que celui-ci peut, dans de lents mouvements, aller et venir, comme un léger courant, s’approcher puis se retirer, pénétrer l’espace, s’arrimer à quelques centimètres et se laisser envahir par l’agitation de cette vie marquée dans la peinture. Image et gestes se fondent, inventent des rapports entre le support, la surface et les profondeurs ramenées à flots, à fleur d’espace, mais au fond, c’est comme si tout cela était une histoire de gravité. 

A l’occasion d’un entretien donné à la revue Numéro Alexandre Lenoir dira « […] j’ai pris le temps de trouver ma propre manière de le faire (à propos du reflet et de l’eau, ndlr) plutôt que de m’inspirer de la façon dont les peintres l’avaient fait auparavant. C’est important de faire sortir le travail du fond de nous-mêmes, que la technique émane du rien. 1» Toutes ses mémoires d’eau se peignent dans l’immensité des œuvres. Immersives tant par leur format, leur sujet que par leur procédé, les toiles s’animent d’un inconscient poétique où les images premières de l’eau se dissolvent dans les images à la visualité tactile. Les Cévennes, tableau aux dimensions imposantes (307 x 198 cm) qu’il réalisa en 2014, est l’élément originel qui agit sourdement dans l’ensemble de peintures actuellement présenté dans la galerie. De cette amarre, l’artiste déploie un nouveau champ d’explorations picturales d’où jaillissent réminiscences, dissolutions et différentes tensions entre des plans d’eau douce, des ruisseaux aux flots vif auxquels se mêle la mer chaude des Antilles. On comprend que l’ensemble prend son ancrage avant tout au sein de sa propre peinture, dans un enfermement, une solitude afin de trouver, en apnée, dans ses profondeurs liquides, dans la mémoire de l’eau de son corps, l’eau, celle qui deviendra picturalement sienne, celle dont les clapotis poursuivront les tintements en surface. 

Mais il y a, inconsciemment, un imaginaire de l’eau, qui, comme élément premier agit en chacun de nous, évoquant aussi, d’autres eaux, d’autres corps, d’autres œuvres. « L’eau, écrit Gaston Bachelard en conclusion du livre qu’il lui consacre,2 est la maîtresse du langage fluide, du langage sans heurt, du langage continu, continué, du langage qui assouplit le rythme, qui donne une matière uniforme à des rythmes différents. » L’eau est aussi la maîtresse de la peinture…

L’expérience esthétique qu’offre l’œuvre d’Alexandre Lenoir à l’occasion de cette exposition laisse celui qui regarde dans une sensation de suspens. Un suspens mémoriel qui infuse les fluences des eaux, absorbe le corps, dilate le temps. Une mémoire de l’expérience du corps dans l’eau – mi immergé, mi noyé – à la lisière d’un monde, celui du dessous, celui des profondeurs réelles comme imaginaires. Mais, il s’agit aussi, pour nous spectateurs, regardeurs, de la mémoire d’une peinture qui s’inscrit dans les gestes de l’artiste. Vuillard, Bonnard, et plus récemment Pincemin, semblent malgré tout, murmurer dans son toucher. L’image se dilue, la figure se dissout pour ne laisser advenir qu’une picturalité pure laissant une onde traverser notre espace, et déposer au gré de son sillon, une touche de fraicheur à fleur de peau. 

1 Propos recueillis par Matthieu Jacquet, Plongez dans les paysages liquides d’Alexandre Lenoir à la galerie Almine Rech,  Numéro, n°27, mars 2020.
2 Gaston Bachelard, L’Eau et le rêves. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942, p. 213.

Laurence Gossart

Vue exposition Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Galerie Almine Rech, Paris
Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Almine Rech, Paris Matignon
© Alexandre Lenoir – Photo Ana Drittanti – Courtesy artiste et Almine Rech
Vue exposition Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Galerie Almine Rech, Paris
Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Almine Rech, Paris Matignon
© Alexandre Lenoir – Photo Ana Drittanti – Courtesy artiste et Almine Rech
Vue exposition Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Galerie Almine Rech, Paris
Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Almine Rech, Paris Matignon
© Alexandre Lenoir – Photo Ana Drittanti – Courtesy artiste et Almine Rech
Vue exposition Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Galerie Almine Rech, Paris
Alexandre Lenoir, Sous le niveau de la mer, Almine Rech, Paris Matignon
© Alexandre Lenoir – Photo Ana Drittanti – Courtesy artiste et Almine Rech