SIMON LAZARUS, T/MBER !

SIMON LAZARUS, T/MBER !

Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon – Photo Simon Lazarus

EN DIRECT / Exposition T/MBER ! de Simon Lazarus
jusqu’au 20 novembre 2021, Kommet Lyon

Texte de Marianne Derrien, octobre 2021 

Profondément, sous les anciens
les verts zodiaques –
on pousse les verrous,
on arrête les rivières.

Que tes pensées et tes bras
se mettent en croix.
Les étoiles en coulant
baignent nos poussières.

Lucian Blaga, Nuit extatique

Attention ! Une œuvre peut en cacher une autre. Comment apparaître et disparaître à la manière d’une TAZ, zone autonome temporaire ? C’est bien ce que Simon Lazarus semble entreprendre en ouvrant et en concluant son exposition T/MBER ! sur un entrelacement permanent de références, de faits historiques et de pratiques qui s’auto-génèrent et s’auto-détruisent. Sous les radars, Simon Lazarus a fait feu de tout bois pour parvenir à ses fins. Animé par une quête ardente de liberté de mouvement et d’expression, il a pratiqué le graffiti en parallèle de ses études en art et a participé en tant que membre du collectif Road Dogs à la «meute de voyageurs en partance pour les royaumes inconnus », qui explora l’Europe en montant clandestinement à bord de trains de fret. Dans la continuité de ces projets tant individuels que collectifs, Simon Lazarus a depuis affirmé une pratique qui allie dessin, sculpture et écriture. C’est grâce à elle qu’il garde bien vivante la mentalité transgressive, libre et aventureuse afin de les enfouir dans une certaine mélancolie quasi-cosmique. En désamorçant des technologies qui aseptisent et détériorent nos manières de vivre, il produit ses dessins avec des logiciels qu’il détruit après usage; ses sculptures se déforment ou sont prêtes à basculer dans une obsolescence programmée pour mieux nous faire sentir la catastrophe de l’ère industrielle et la fin de tous les enchantements.

Des mains travailleuses : biohacking versus biopouvoir 

Un décryptage s’impose alors à nous. Depuis plusieurs années des sabotages d’émetteurs-récepteurs de 5G se multiplient en Europe sur arrière-plan de contestation politique. Tenter de comprendre les dynamiques qui animent une organisation clandestine ne peut se faire sans une attention très grande envers les dynamiques sociales et les équilibres politiques d’ensemble1. Une histoire de la clandestinité est ici en jeu tel un coup de grâce fait à la question matérielle de notre existence. En utilisant le système d’écriture Leet Speak, Simon Lazarus transforme l’écriture en mode hacker, brouille les lignes, sabote d’une manière graphique et poétique tant le sens que la forme. Il élabore une grammaire encodée dont les effets sont largement politiques. En se forgeant un autre langage, le titre de son exposition T/MBER !, terme utilisé par les bûcherons lorsqu’un arbre est prêt à tomber, intensifie ce cri d’alerte qui pose les fondements d’une relation ambiguë entre la construction et la chute d’une idée voire d’un système idéologique. Car bâtir, construire, détruire et déconstruire sont finalement des actions qui se contredisent et qui dialoguent à la fois. Chaque système engendre ses propres failles. Et toutes ces failles deviennent des espaces de liberté potentiels pour qu’une réinvention sociale puisse reconfigurer notre rapport collectif au travail. Le hacking associe le faire et la créativité en un enchevêtrement permanent entre innovations techniques et contre-cultures libertaires. C’est « la volonté de créer et de partager en se défaisant des contraintes imposées par le marché, la rentabilité, le droit de propriété »2.

Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon - Photo Simon Lazarus
Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon – Photo Simon Lazarus

Plus dure sera la chute

Alors que tout semble s’effondrer selon certaines théories et approches actuelles, Simon Lazarus construit inlassablement quelque chose par lui-même en fabriquant ses propres outils et formes. Structure complexe et enchevêtrée de bois contreplaqué, Ponzi_Panorama se réfère, d’une part, à une charpente aux principes d’assemblages classiques en forme de pyramide qui semble bien ancrée au sol. Or ici rien n’est très stable, les morceaux de bois découpés au laser ont été en partie brûlés. À deux doigts de l’embrasement, un souffle suffirait à tout faire tomber. D’autre part, elle se réfère au système de Ponzi ou Pyramide de Ponzi, montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l’escroquerie n’est pas découverte, elle apparaît au grand jour au moment où elle s’écroule, c’est-à-dire quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients. Elle tient son nom de Charles Ponzi qui est devenu célèbre après avoir mis en place une opération fondée sur ce principe à Boston dans les années 19203. Tant manuelle au sens artisanal du terme que cérébrale par ses formes géométriques imbriquées quasi-mathématiques, cette sculpture, entre ruine et maquette, vibre comme si elle allait s’écrouler quand on se déplace autour d’elle. 

Un peu plus loin, posée au sol sur quelques morceaux de bois contreplaqués gisants comme des restes de la sculpture voisine, l’image d’un palmier continue à résonner avec la thématique boisée de l’exposition. Comme un piège qui nous serait tendu, il faut regarder à deux fois pour se rendre compte que ce palmier dissimule une antenne 5G. Entre biomimétisme et mascarade, le naturel flirte avec l’artificiel, le réel avec le mirage, le vivant avec la machine, la sève avec les ondes. Une boucle se boucle à travers cette image qui renvoie également à l’Hommage à des chauve-souris transmettant le feu. Toujours au sol à la manière d’une stèle funéraire, ce texte codé est un mixage des textes de l’artiste qui font écho au manifeste écrit par le collectif clandestin. Simon Lazarus use de multiples références tant historiques qu’artistiques et politiques afin d’en retenir quelques punchlines. Comme celles empruntées au best seller Sapiens de Yuval Noah Harari, Professeur d’Histoire à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui mêle dans son ouvrage l’Histoire à la Science pour remettre en cause tout ce que nous pensions savoir sur l’humanité : nos pensées, nos actes, notre héritage et notre futur. 

Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon - Photo Simon Lazarus
Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon – Photo Simon Lazarus

Open source ou le Jardin des reliques 

Bien plus qu’une exposition, T/MBER ! est une trappe qui nous invite à entrer dans un autre système ou à en sortir. Celui d’une grille qui est à la fois grillage, mur, mirage ou bien encore une matrice faite de lignes de construction ou d’une mise en page. Ce monde quadrillé est celui dans lequel nous évoluons et qui façonne notre relation à la ville, à l’espace urbain et à sa domestication. Pour contrer ces mondes, Simon Lazarus a su bâtir sa propre usine graphique et vivante avec les logiciels Open Source accessibles à toutes et tous. Ce type de logiciel est développé de manière collaborative et décentralisée et repose sur l’examen par les pairs. C’est toujours dans cette logique qu’il entreprend des petites sculptures faites de formes et de contre-formes en bio-plastique façonnées à l’aide d’une imprimante 3D selon différentes « recettes maison » avec des produits gélifiants. Ayant chacune leur couleur, leur plasticité et leur vitesse de dégradation propre, ces œuvres évoluent, s’altèrent, se décomposent tout au long de l’exposition. 

En regard de ces natures mortes d’un autre genre en forme de fruits ou de bonbons, l’un de ses dessins est également pris dans une temporalité évolutive. À l’aide d’un robot pluggé au mur, Pollenisation est une œuvre contextuelle amenée à disparaître à la fin de l’exposition : un premier dessin au feutre est parasité petit à petit par un 2ème dessin au fusain. La surface murale se fait coloniser et génère d’elle-même les contours d’une cartographique imaginaire. Puis, nos yeux se lèvent au ciel pour contempler son Jardin_des_progrès où tout évolue et se transforme dans une course poursuite au progrès et de son mythe en écho au Jardin des délices de Bosch. Le triptyque historique semble avoir été ingurgité par des logiciels qui l’ont littéralement transmuté. Au sommet de ces dessins alchimistes de nos temps modernes, le soleil est converti en un vestige céleste de l’ère télévisuelle sous la forme d’une mire, qui brille dans l’attente d’une (r)évolution. 

1 Virgile Cirefice, Grégoire Le Quang, Charles Riondet, La part de l’ombre: Histoire de la clandestinité politique au XXe siècle, Ed. Champ Vallon, Édition Époques, 2019, p.47
2 Michel Lallement, L’âge du faireHacking, travail, anarchie, Paris, Éditions du Seuil, 2015, p.12
3 Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_Ponzi

Marianne Derrien

Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon - Photo Simon Lazarus
Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon – Photo Simon Lazarus
Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon - Photo Simon Lazarus
Vue exposition T/MBER ! de Simon Lazarus, Kommet Lyon – Photo Simon Lazarus