Présence Panchounette, Le soir au fond de la cuisine

Présence Panchounette, Le soir au fond de la cuisine

Vue exposition Présence Panchounette, Le soir au fond de la cuisine, Semiose, Paris – Photo A. Mole. Courtesy Semiose, Paris.

EN DIRECT / Exposition Présence Panchounette, Le soir au fond de la cuisine, jusqu’au 24 décembre 2022, Semiose, Paris

Semiose est heureuse de présenter dans la Project Room de la galerie un ensemble d’œuvres de Présence Panchounette, réunies autour du sujet de la lumière.

Objet de design par excellence, la lampe, au même titre que la chaise ou la carafe, est un fort marqueur culturel. Rien de surprenant, par conséquent, qu’elle ait été un motif de choix pour le collectif, toujours prêt à déboulonner les hiérarchies de goûts. La « critique de la notion de goût liée à une pratique esthétique de classe (1) » s’érige autant comme une méthode qu’un leitmotiv, dans un esprit de subversion politique. « Pour Présence Panchounette, le design, la déco, la littérature, les sciences humaines, sont au départ des préoccupations bien plus prioritaires [que l’art]. Le discours sur le design compte parmi les productions théoriques les plus intéressantes du groupe et c’est aussi celui que l’on peut le mieux resituer dans le contexte historique européen de l’époque. » rappelle Jacques Soulillou (2).

L’œuvre Les Nains aussi ont commencé petits (1980), dont le titre est emprunté au film éponyme de Werner Herzog (1970), est un assemblage de petits sujets en plastique disposés autour d’une bouteille de lessive, détournée en lampe et coiffée d’un abat-jour, comme c’était la mode dans les années 1950 où tout objet pouvait devenir pied de lampe. Avec ses sept figurines de nains, cette œuvre renferme toutes les qualités chounettes(3). Ces assemblages pauvres sont également employés dans Santander ni trompette (1972) ou Bilbao Lamp(1972), d’autres lampes à pied faites de bric et de broc. Ces bouteilles en plastique, souvent recouvertes de goudron, ont été ramassées sur la plage, pratique courante du collectif qui s’adonnait à un Land Art industriel, montrant la face obscure du développement des années 1970 et de ses nouveaux déchets, et taclant au passage le sérieux du Land Art. Une exposition entière de déchets avait été organisée au Studio F4, rejouée ensuite en mai 1983 dans l’exposition « Cragg, boum, hue ! » à la maison de la culture de Chalon-sur-Saône.

« La collision d’informations » est l’une des méthodes privilégiées du collectif. Dans L’abstraction mène (presque) à tout (1985), c’est à une collision flagrante entre l’art et le décoratif que nous assistons, un parfait mélange des genres. Un faux Franz Kline, grossièrement peint, rencontre une applique pur jus des années 1970 sur la table de dissection surréaliste. « Beau comme la rencontre fortuite… » à ceci près que les deux objets ne sont pas censés se superposer : l’un appartient au monde bourgeois et intellectuel de l’œuvre d’art abstraite et l’autre au design pop. Cette œuvre fait suite à L’abstraction mène à tout (1979) acquise par le Frac Midi-Pyrénées, composée d’un Kline légèrement différent et d’une applique plus rustique. Comme souvent chez Présence Panchounette, les (chefs-d’)œuvres sont déclinés en petite série, trois ou quatre occurrences maximum, à intervalles irréguliers, manière aussi de voir comment les idées persistent et signent.

Le soir au fond de la cuisine (1981) est un autre assemblage complexe de signes et de signifiants. Réalisée avec l’économie de moyen et la rapidité qui caractérisent les coups de génie, elle consiste en une toile cirée, motif « chasse à courre », et un cor de chasse monté en lampe. On ne dira jamais assez combien les dialectiques de rapprochements et d’antagonismes, surtout cultivées par Présence Panchounette, peuvent être fécondes. Souvent, les emblèmes s’affrontent, ou plutôt s’épuisent mutuellement, ne parvenant ni à restaurer l’un, ni à avilir l’autre. Ils s’annulent. « Le Bauhaus Panchounette […] ne considère pas l’objet kitsch comme un objet exotique mais comme un objet de même nature que l’objet non-kitsch (4). » Cor de chasse et nappe de cuisine sont donc équivalents, mais la bataille se situe ailleurs : l’œuvre convoque une image qui cristallise une distinction de classe, la chasse à courre, bastion aristocratique, toujours d’actualité dans la France de 2022. Reproduit sur un objet du quotidien à destination du prolétariat, le signe « chasse à courre » a été transféré d’une classe à l’autre pour mieux asseoir la domination aristocratique. L’œuvre de Présence Panchounette déjoue donc ce transfert en le retournant contre lui-même : son programme ne vise rien de moins qu’instiller une idéologie marxiste dans le design et les objets quotidiens.

Vide-greniers et brocantes fournissent les objets du quotidien que le collectif recycle dans ses œuvres. Présence Panchounette nourrit une tendresse pour l’esthétique « populaire », émancipée des diktats bourgeois : on se souvient notamment de la jubilation du collectif devant les aménagements des habitants de la Cité Frugès « laboratoire à ciel ouvert de la lutte des classes à tonalité archi-urbanistique » : « Près de chez nous, à Pessac, Le Corbusier a construit une cité ouvrière. Les habitants ont complètement massacré l’architecture d’origine et ils ont bien fait (5). »

Quatre photographies complètent la Project Room. Elles font partie du corpus photographique de Présence Panchounette, qui extrayait parfois directement du réel, des scènes chounettes, sortes d’installations ready-made. C’est le cas de La Conquête du paysage (1982), un décor typique des années 1980 : une banale salle de cantine à laquelle on a cherché à apporter du « cachet » en flanquant sur le mur du fond un poster de sous-bois. L’effet est ce qu’il est, avec la collision des quatre suspensions – parfaitement accrochées en carré, ce qui témoigne là encore d’une volonté de bien faire – et ce paysage naturel. Les abat-jours deviennent soucoupes volantes échappées de la futaie, errant sans but au-dessus des chaises pliantes en skaï. The void is inside the invisible drawer (1983) est évidemment du même ressort de composition trouvée, la superposition parfaite du motif du papier peint et du tissu d’ameublement forçant l’admiration de quiconque partage ce goût pour le chounette, où le décor l’emporte contre le design. La formule savoureuse de Jacques Soulillou « la gestion de l’espace populaire réfractaire au vide » trouve là une parfaite illustration.

La photographie servait aussi parfois à photographier des objets, des installations, des performances du collectif. Au fil du décor (1974) est de ce registre : le cadrage réfléchi est perturbé par un fil qui pend – celui d’une petite œuvre dans une bonbonnière, signée du collectif et aujourd’hui disparue. Le titre résout la dissonance par une pirouette sémantique, « Au fil du décor »… La recherche des titres donnait souvent lieu comme ici à une pratique poétique d’entrelacement de l’image et du mot. Nous assistons à une autre saisie poétique, cette fois par rapprochement d’images, dans Pas assez de lumière pour l’homme sans visage (1984), qui télescope la lampe de salon et l’image dans la télévision.
 

Laetitia Chauvin


1. Texte de Présence Panchounette accompagnant l’exposition « Para-design » de 1973 au Studio F4 à Bordeaux, lieu d’exposition du collectif qui s’exposait en alternance avec d’autres artistes invités ou des peintres du dimanche.
2. « Le dernier sorti est prié de ne pas éteindre la lumière » publié dans Pleased du meet you Présence Panchounette, Semiose éditions, 2018 (épuisé).
3. Chounette est tiré de l’argot choune qui désigne d’abord le sexe féminin et qui renvoie par suite, avec condescendance, à l’idée de mignon et de mineur en général.
4. Présence Panchounette, op. cit.
5. Cité dans le catalogue Présence Panchounette, CAPC 2008, p. 85.

Vue exposition Présence Panchounette, Le soir au fond de la cuisine, Semiose, Paris - Photo A. Mole. Courtesy Semiose, Paris.
Vue exposition Présence Panchounette, Le soir au fond de la cuisine, Semiose, Paris – Photo A. Mole. Courtesy Semiose, Paris.
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