SANDRINE MARC

SANDRINE MARC

ENTRETIEN / Sandrine Marc

PAR ALEX CHEVALIER DANS LE CADRE DE « ENTRETIENS SUR L’ÉDITION »

Chez Sandrine Marc, la photographie est souvent un prétexte à la rencontre et à la déambulation. Réalisant des enquêtes, pour lesquelles elle est amené à rencontrer des acteur-trice-s locaux, elle rend compte de son travail en réalisant des montages, en créant des environnements qui lui sont propres au cœur d’éditions, qu’elle réalise généralement elle-même. Dans cet entretien, réalisé entre janvier et février 2022, nous revenons sur le travail de l’artiste, son rapport à l’espace, aux autres et la façon dont se construisent ses éditions.

Sandrine, vous faites de la photographie et faites le choix de la montrer dans des éditions. Ma première question serait sur le choix de ce médium. Aussi, je me demandais comment en êtes-vous arrivez à travailler avec l’édition ?

Editer mes photographies sous la forme de publications me permet de faire des choix, de composer des ensembles, de restituer des séquences d’images en travaillant le montage. J’ai appris à faire des livres pendant mes études à l’EnsAD, j’aime penser ce support, maîtriser la chaîne éditoriale me permet de travailler dans une certaine autonomie. J’ai pris des cours de reliure, j’ai aussi fréquenté des ateliers d’impression pour connaître les procédés d’estampes traditionnels comme la gravure et la lithographie. Cela m’a amenée à réfléchir à la question du multiple et de la reproduction.

Sandrine Marc, gauche : photographie extraite d'un ensemble de 225 images documentant les vitrines barricadées, à Paris, en décembre 2018 droite : prototype de livre montré le 8 janvier 2020 à Paris
Sandrine Marc
gauche : photographie extraite d’un ensemble de 225 images documentant les vitrines barricadées, à Paris, en décembre 2018
droite : prototype de livre montré le 8 janvier 2020 à Paris

On connaît, chez les photographes, une tradition du livre photo, c’est même un genre en soit. Pour autant, votre approche en est très différente, tant chaque publication est une œuvre à part entière. Le livre ne sert pas simplement d’espace de reproduction, mais est un des éléments constitutif de l’œuvre. Pourriez- nous en dire un peu plus sur la façon dont vous approchez l’édition et la façon dont vous pensez votre travail par l’intermédiaire de ce médium ?

Lorsque je fais un livre, il est question de la matérialité de l’objet et aussi celle de l’image imprimée. Le choix du papier, la machine utilisée pour imprimer, sa trame aboutissent à une transformation de l’image initiale. Je travaille souvent de manière artisanale, le façonnage passe par la main, cette situation, induite par une économie de moyen, offre un espace d’expérimentation. Le livre devient la matrice pour porter et présenter mes photographies. J’aime bien l’analogie entre les images et les graines, le support du livre permet de les disséminer, de les faire voyager.

Même si vous avez récemment été en résidence au musée Nicéphore Niepce, vous travaillez souvent de façon très indépendante, et il en est de même pour vos éditions qui sont pour la majorité réalisées et éditées par vous même. Cette indépendance est-elle un facteur important pour vous dans votre approche de l’édition comme médium de travail ?

Je ne sais pas si cette indépendance est totalement choisie, je dirai que mes photographies ont du mal à trouver une place, donc j’ai décidé de créer les conditions pour qu’elles puissent exister. Faire un livre, cela peut aussi être l’occasion de travailler en collaboration avec d’autres personnes : un.e graphiste, un.e auteur, des imprimeurs, des libraires. 

La résidence de recherche et création au musée Nicéphore Niépce était une carte blanche, j’ai côtoyé les équipes du musée pendant un mois, ils m’ont laissée travailler en toute indépendance, sans obligation de résultat, la restitution prendra la forme d’un portfolio et d’un livre que je prépare en moment.

Vous parlez de collaboration, est-ce quelque chose important pour vous ? Et si oui, quelle forme prend-elle ?

C’est toujours intéressant de travailler avec d’autres personnes, ça permet de changer de focale, de voir les choses sous un autre angle, de prendre du recul. La pratique photographique peut être une activité assez solitaire, je crois qu’il est important de l’ouvrir et de la penser en relation avec d’autres champs, j’approuve les recherches transdisciplinaires. Je travaille régulièrement avec des architectes. J’aimerais beaucoup apprendre avec des biologistes.

Plutôt que le mot « collaboration », j’utiliserai les mots « relation » ou « rencontre ». J’échange beaucoup par la parole quand je suis sur mes terrains de prises de vues, la photographie échoue totalement à restituer cette partie du travail. En 2020 et 2021, je me suis rendue régulièrement sur un terrain habité par des pratiques de jardinage. J’ai fait des portraits des jardiniers rencontrés in situ, c’était important pour moi de rendre ces images aux personnes concernées, ceux ou celles qui ont accepté de poser, ce don a généré un contre-don, en échange des photos, j’ai reçu des légumes ou des graines.

Sandrine Marc, vue de l'atelier Prints, La Capsule, Le Bourget, 2018
Sandrine Marc, vue de l’atelier Prints, La Capsule, Le Bourget, 2018

Je crois savoir que vous vous donnez la liberté de piocher dans une base de donnée que vous vous êtes créée avec le temps, laquelle est constituée d’ensembles photographiques, de motifs et formes récurrentes dans votre travail. Aussi, quelle place l’archive prend-elle dans votre travail ?

L’archive est inhérente au travail photographique mené sur un temps long. Construire une archive, c’est aussi une façon de ralentir le flux de diffusion instantanée des images numériques. J’ai besoin de laisser reposer les images longtemps avant de les montrer. Ce temps de latence me permet de les apprivoiser et d’en prendre soin. J’essaye de penser le fonds que je construis comme une archive vivante, concevoir un livre me permet d’activer certaines images, de faire des liens entre des fragments discontinus pour donner à voir un autre récit.

La marche et l’exploration sont au cœur de votre travail et vos éditions proposent une plongée dans votre expérience du territoire. Ainsi, vos éditions agissent comme des constats de notre époque. Vous procédez par montages et composez des tableaux où se font fasse des détails et des vues d’ensemble d’un paysage (généralement urbain) que nous côtoyons toutes et tous sans que nous y fassions encore attention. Diriez-vous que le l’édition est pour vous l’espace le plus approprié pour exposer vos photographies ?

La micro-édition est une forme assez souple pour présenter des images et les faire tenir ensemble, elle est légère, facilement manipulable, transportable. J’aime bien donner aux gens un livre entre les mains, pour voir combien de temps ils vont prendre pour le feuilleter, sur quelles images ils s’arrêtent, quelles images permettent d’ouvrir une discussion. C’est une façon d’avoir un retour sur ma pratique, j’aimerais développer d’avantage cet échange autour des images.

J’ai fait une maquette de livre, un prototype, un ensemble d’une centaine image qui montrent les vitrines parisiennes barricadées en décembre 2018. Un jour, dans la rue, j’ai vu un vitrier qui posait des panneaux en bois pour protéger les vitrines. J’avais la maquette avec moi, je lui ai montrée, il a beaucoup apprécié, il y reconnaissait son travail, cet échange inattendu était à la fois juste et drôle.

Je participe aussi à des expositions, lorsque j’ai été invitée à la Capsule au Bourget, j’ai pris le parti d’accrocher au mur les pages imprimées du livre Change plus vite que le cœur. Dérouler le chemin de fer au mur permettait d’engager une discussion autour de la représentation de la ville avec les classes qui visitaient l’exposition.

Je réfléchis à une manière de déployer les images dans l’espace pour rendre le spectateur actif. Je m’intéresse aussi aux dispositifs de projection.

Sandrine Marc, Change plus vite que le cœur, 2018
Sandrine Marc, Change plus vite que le cœur, 2018

C’est là un dernier point que je trouve très intéressant, car même en exposition, vous présentez le livre, mis à nu, sur les murs de l’espace d’exposition. Pourrions-nous revenir sur ce déroulé justement et ce que vous en dites, qui rejoint, d’une certaine façon, ce que vous disiez plus tôt sur l’expérience directe d’un commerçant avec une de vos publication, ou encore d’un rapport plus direct, instantané avec le travail.

Pour produire ce livre, j’ai utilisé un copieur numérique qui se trouvait sur place. Le rendu de la trame générée par la machine est très fine, elle participe à la transformation de l’image. Pendant le temps de l’exposition, j’ai reçu plusieurs classes, pour les initier à la fabrication d’un livre et au graphisme. J’ai conçu un cahier et un jeu de tampon qui permettait de composer des motifs à partir de figures géométriques simples à combiner. Chaque enfant devait plier la page A3 pour façonner son cahier, puis le tamponner. Nous avons produit de cette manière 400 multiples, chacun étant une pièce unique, personnalisée par l’élève, tamponnée de la date du jour. Oui, c’est une manière directe et réjouissante de transmettre.

Sandrine Marc, Notes bourgetines, 2020
Sandrine Marc, Notes bourgetines, 2020
Sandrine Marc, Sans titre, 2022
Sandrine Marc, Sans titre, 2022