FRANÇOIS MAURIN, PAR-DELÀ

FRANÇOIS MAURIN, PAR-DELÀ

François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 57,5 x 22 x 2 cm

EN DIRECT / Exposition François Maurin  – Par-delà, à la Galerie-Vitrine 65 jusqu’au 04 octobre 2020

par Marie Gayet

« Le un, le deux et hop ça fait trois déjà. »

Il arrive que lors d’une visite d’atelier, au cours de la conversation, parfois très sérieuse sur le travail, à d’autres au contraire dans l’anecdote, l’artiste énonce une phrase, que l’on note à la volée et qui déconcerte au moment de la relecture. Bien que l’on ne sache plus exactement à quoi elle fait référence, ni comment l’articuler avec les autres mots, on sent qu’elle est une clé, un point décisif, une formule qu’il conviendra de décrypter. En l’occurrence ici : « Le un, le deux et hop ça fait trois déjà. ». 

Il faut bien le dire, sa légèreté bondissante ne colle guère avec la perception que l’on a des objets/formes de François Maurin, lesquels sont davantage caractérisés par une rigueur formelle, leur troublante impossibilité à les nommer et la fascination qu’ils opèrent dans l’œil et la pensée de celui qui les regarde. Encore moins lorsque l’on découvre comment ces objets sont fabriqués, du dessin à la forme, le temps (long) nécessaire à leur élaboration, la manipulation délicate des matériaux (bois, résine, métal, peinture), la toxicité de certains, et les questions conceptuelles et esthétiques qu’ils ne manquent pas de susciter en termes de peinture, sculpture, réalité des images, surface, profondeur, abstraction….  

La première hypothèse est que cette phrase, malgré la familiarité de son registre oral, fait allusion au « lieu où naissent les images », central dans la recherche et qui se traduit dans la pratique par l’intention « d’aller jusqu’à l’image », de « retourner à l’image ». Défini par le philosophe E. Coccia comme le lieu du sensible et « troisième espace, ne coïncidant ni avec l’espace des objets – le monde physique -, ni avec l’espace des sujets connaissant », on le retrouve chez F. Maurin, en espace mouvant, organique, subtil, qui pousse le regard à passer par-delà la matière et la forme. D’où les expérimentations sur les surfaces réfléchissantes, lieux réceptacles des images, dont on ne sait dire si les premières absorbent les secondes ou à l’inverse, les font flotter, surfaces d’autant plus sensibles qu’elles tranchent avec celles aux aplats de couleur mats.

La deuxième hypothèse soulignerait le caractère plus « figuratif » des cinq oeuvres inédites présentées à la Galerie-Vitrine 65 et le potentiel fictionnel de chacune. Est-ce du fait de leurs formes plus réelles, et des échelles inhabituelles, surdimensionnées pour ce type d’objets ? Les images qui viennent en les regardant convoquent le monde de l’enfance, les univers fantastiques, la science-fiction ! « Le un, le deux et hop ça fait trois déjà. », c’est un peu le tour de passe-passe du magicien, le super pouvoir de l’aventurier dans l’espace, le détecteur du sourcier, la règle d’un jeu sans limite, qui permet toutes les transformations, dans un registre fantaisiste et moins solennel. Sans rien perdre de la profondeur de l’objet mental, ni de la sensibilité picturale (rappelons que F. Maurin vient de la peinture), la série aligne un insolite panthéon de formes figurées, dont il est difficile de cerner la temporalité :  objets fossiles sans aucune origine possible, prémices de fétiches déjà revenus du futur, trophées d’un monde passé, reliques à la beauté vénéneuse de la résine, prototypes en devenir… 

A la lumière – ou dans l’ombre – de ces présences anachroniques, émerge une nature singulière et quasiment  tautologique des œuvres, de celle qui contracte le temps et l’espace,  joue au  jeu (sérieux) de la création, réfléchit à  la métaphysique et, en dernière hypothèse, appelle à une transcendance contemporaine. 

1-Emanuele Coccia, La vie Sensible, Rivages poche, Edition Payot. 2013

Marie Gayet 

François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 30,5 x 22 x 1,8 cm
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 30,5 x 22 x 1,8 cm
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 69,5 x 45 x 1,3 cm
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 69,5 x 45 x 1,3 cm
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 102 x 41,5 x 2 cm
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 102 x 41,5 x 2 cm
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 102 x 41,5 x 2 cm (détail)
François Maurin, sans titre (Tiers), 2020. 102 x 41,5 x 2 cm (détail)