François Réau : du déplacement, du voyage au dessin

François Réau : du déplacement, du voyage au dessin

Récemment, François Réau a bénéficié d’un solo show à la galerie Virginie Louvet, à Paris. Retour de sa résidence en Australie, cette exposition a révélé une nouvelle avancée dans sa pensée du dessin. Il y présentait une installation composée d’un ensemble de miroirs circulaires au sol et d’un amas de clématites sauvages, glanées sur une friche industrielle. En face, était installé un grand dessin, monochrome gris, telle une écriture, où se révèlaient les traces d’un temps passé à remplir la surface.

François, de quelle manière ce séjour en Australie a influencé ta pratique de dessin comme expérience temporelle ?

Le point de départ de ce projet de résidence en Australie venait de mon souhait de développer quelque chose qui soit à l’image même du dessin, c‘est à dire d’être en perpétuel devenir. Mon projet s’est donc naturellement développé sur la totalité de mon temps de résidence à savoir 6 semaines. Par ailleurs le lieu et l’environnement sont extrêmement propices au type de projet que j’y ai développé sur place. Le rapport aux éléments, aux cycles du temps et du mouvement est naturellement présent, ce qui m’a permis de développer une pratique de dessin comme expérience temporelle. Aussi, la proposition que j’ai formulée fait écho avec cette idée de l’œuvre infinie et confère alors au dessin la possibilité d’être un espace et un temps d’expériences de pensée visuelle.

Ainsi, j’ai souhaitais prolonger mes recherches et expériences autour du dessin en poussant les limites de celui-ci avec la mise en place et la création d’un dispositif d’enregistrement et de représentation, une machine à dessiner l’espace et le temps. Cette machine se présente sous la forme d’une boîte (un cube) sensible, recouvert de miroirs sur ses 6 faces extérieures et qui ramène les mouvements du monde extérieur à l’échelle d’un tracé. Un parcours ponctué des allers et venues que j’ai effectué, tel un marcheur – artiste – chercheur. Le résultat est l’histoire dessinée du voyage qui s’est faite en cours de route, dans l’espace du paysage.

Pour toi, le dessin est prétexte à des installations immersives dans lesquelles le spectateur peut voyager. Comment considères-tu la marche dans ta relation au dessin ?

Marcher c’est penser et c’est aussi pour moi le développement de cette idée de comment le dessin peut devenir de la pensée en mouvement. Nous connaissons les promenades de Kant dans les jardins de Königsberg, les voyages de Jean-Jacques Rousseau ou encore de Baudelaire qui sont autant de penseurs qui se sont exprimés sur la marche et ses vertus. Aussi le dispositif que j’ai construis se joue entre les effets de mémoire, les résonances de l’espace et du paysage et le fil d’une histoire que j’ai conçu sur place lors de mes marches quotidiennes dans les paysages de la Bamarang Nature Reserve. Les dessins sont les événements de la vie réelle du voyage, sur laquelle aura été préalablement tracé le parcours que j’aurais effectué pendant cette traversée. 

Un rapport au temps existe dans ton travail. Tes dessins expriment le temps. Comment penses-tu l’expression du temps passé à remplir la feuille, le grand format ?

À travers ce projet je souhaite donner au temps une consistance et une matérialité inaccessible autrement. J’ai débuté cette série il y a presque 7 ans et qui se nomme Mesurer le temps, par ennui mais aussi avec l’envie de remplir un espace dans un geste de dessin en apparence anodin. 

Qu’est ce que le temps ? Ou comment laisser l’indécidable. L’indécidable c’est justement aussi de cette expérience de ne pas vouloir figer les choses, et je pense que l’image a une grande capacité, encore aujourd’hui, à ouvrir les imaginaires et une pensée de ce qui va venir, à ouvrir des possibilités… Lorsqu’une installation ou un dessin donne tout ce qu’elle a à penser, c’est à dire que lorsqu’on la voit on est dans la reconnaissance d’un paysage, l’image se vide de sa capacité à produire de la pensée. Donc je construis aussi des images qui sont des appels à projection de chacun qui les regarde. Une image fonctionne à plusieurs niveaux c’est à dire que c’est toute la gamme de la construction de l’image qui nous permet une ouverture vers nos propres histoires, donc c’est aussi la construction de ce lien entre une image qui ne veut pas donner trop d’informations.  

Il y a aussi, au travers de tes dessins, la transmission d’un paysage, d’une nature perçue. Quelle est ta relation à la nature ?

Le paysage élément du voyage est le lieu riche de toutes les évasions possibles. Je parlerais d’ailleurs plus d’espace du paysage que de paysage dans mon travail. Il y a une référence directe à l’espace dans la mesure où le paysage est la projection du rêve intérieur. Beaucoup de mes travaux tissent des liens entre rêve et réalité. Et le paysage peut devenir l’instrument d’une métaphore poétique ou bien le refuge d’un ressenti plastique qui va offrir au regard un potentiel ré-enchantement. 

Enfin la question de la nature c’est la mutation, le cycle des jours et des saisons… cela induit l’homme et met en jeu le cosmos. Je cherche ainsi à révéler le mouvement incessant de la nature au cœur d’un cycle qui altère toutes choses. 

Tu évoques le rêve et le fait de pouvoir voyager à travers un paysage. Être dans le paysage, seul serait-il pour toi une possibilité de mieux se connaître, de se recentrer, de grandir… ? Tes installations invitent à s’immerger dans un monde, à plonger dans des souvenirs, celles de marches en forêt.

Créer des formes à travers des dispositifs plastiques c’est aussi d’une certaine façon les mettre en attente de leur définition. Mon travail offre je l’espère un espace vacant qui appelle à être identifié et nommé. Le fait de le nommer c’est aussi s’entendre avec les autres sur ce que l’on voit. C’est pourquoi je ne suis pas certain de pouvoir dire qu’il y ai la possibilité de mieux se connaître ou de se recentrer, c’est relatif à chacun, à son histoire et au rapport que l’on peut entretenir avec la nature.

Au-delà du paysage, il peut aussi s’agir de cartographie et de territoires. Qu’ils soient géographiques, mentaux ou littéraires. Ils paraissent toujours inachevés et donc en évolution possible, pour nous emmener vers des découvertes car il y a toujours un inconnu. 

Tu évoques la marche comme vecteur de pensées. L’exploration d’un paysage est pour toi moteur à création. Tes installations sont créées en fonction des lieux. Tu réadaptes parfois tes œuvres selon l’espace. Comment l’espace d’exposition est pour toi source de création ?

L’idée classique qu’un dispositif plastique cela pourrait être d’abord le mystère ou l’interrogation ou la puissance d’une présence. À partir du moment où je fais d’un dispositif le vecteur d’une sensation, ce n’est plus sa présence qui compte, c’est sa capacité à dialoguer avec le visiteur, un lieu ou une architecture. Au fond il s’agit de substituer à la tradition du monologue de l’œuvre, la possibilité du dialogue dans la situation. Peut être aussi parce que je cherche la perception de l’émotion et tout mon médium doit être transformé en perception d’une certaine façon.

La lumière est souvent très présente dans tes dessins, aussi bien, lueur au fond du paysage que dans l’utilisation d’objets. Que symbolise pour toi cette lumière ?

On peut dire d’une certaine façon que la lumière se définie aussi pour moi comme sa capacité à habiter l’espace et l’infini. Je ne sais pas si je l’emploie pour les portées symboliques qu’elle peut avoir ou que l’on lui prête. Ce qui m’intéresse d’avantage c’est ce que j’expliquais plus haut par rapport au medium et à la transformation de celui-ci en perception et comment ainsi sa présence va pouvoir dialoguer avec le visiteur. 

Dans ta dernière exposition collective « Dessiner aujourd’hui », tu utilises d’ailleurs le néon pour écrire une phrase poétique. Objets, textes et dessins participeraient-ils d’une intention de révéler les étapes de la vie ?

Oui il s’agit d’un vers extrait d’un poème d’Ingeborg Bachmann. J’ai trouvé ce poème très beau et ce vers avait pour moi une résonance plastique liée au dessin et à la ligne. Parfois on dessine comme on joue et inversement. Comme un équilibriste sur un fil tendu dans l’espace, on the edge. Et ce que j’aime bien avec ce dispositif c’est de pouvoir dessiner en quelque sorte avec de la lumière, dans l’espace. 

Entretien de François Réau par Pauline Lisowski © 2018 Point contemporain

François Réau
Né en 1978. 
 
 
Représenté par H Gallery Paris
 

 
François Réau, Comme Orphée
François Réau, Comme Orphée. Courtesy H Gallery Paris
François Réau, La forme précise du rêve
François Réau, La forme précise du rêve. Courtesy H Gallery Paris
François Réau, Machine Square
François Réau, Machine Square. Courtesy H Gallery Paris
François Réau, Machine to draw space and time
François Réau, Machine to draw space and time. Courtesy H Gallery Paris
François Réau, Panta Rhei
François Réau, Panta Rhei. Courtesy H Gallery Paris
François Réau, Tombe coeur
François Réau, Tombe coeur. Courtesy H Gallery Paris
Visuel de Présentation : François Réau, Traversées. Courtesy H Gallery Paris.