Michaële-Andréa Schatt

Michaële-Andréa Schatt

Michaële-Andréa Schatt, Blue, 2020. Détail. Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod 

DERIVATION POETIQUE / Autour de l’exposition Shadow of Blue de Michaële-Andréa Schatt présentée jusqu’au 26 septembre 2020 chez Galerie Isabelle Gounod Paris

Par Valérie Toubas & Daniel Guionnet

Incantation autour de la couleur bleue, la palette de Michaële-Andréa Schatt fait croître sur la parcelle de la toile un paysage luxuriant. Elle isole les expressions saillantes de cette végétation, ici la découpe d’une feuille, la douceur de la courbure d’une tige, là le repliement soyeux d’un pétale, sans jamais en faire l’énumération. Des formes qui appartiennent en effet à un même ensemble végétal dont les essences se mêlent et constituent une heureuse profondeur qui répond à une impalpable nécessité. Celle-ci protège manifestement un secret qui nous échappe, de la même manière qu’il s’est toujours soustrait à l’organisation de nos sociétés, à la chronologie de notre histoire, à la monotonie des grands récits. Peut-être avons-nous à un moment de notre histoire approché le mystère de cette Nature, accompagnant Fontenelle, marchant avec Rousseau, ou suivant Matisse dans sa quête de la vérité de la lumière. Au lieu de fouiller au fond de nos coeurs, de se laisser aller à l’émerveillement, nos savants ont préféré classer, trier, développer des savoirs encyclopédiques, composer des jardins à la française, quadriller leur pensée, flécher les itinéraires, inventer des cascades artificielles. Pourtant il existe une nature plus profonde dans nos êtres et dans nos coeurs.

À l’évidence, ce qui se loge au coeur d’un massif naturel, à l’anglaise, de fleurs et d’herbes sauvages, est bien plus organisé que le chaos qu’on croit y voir. Il est certain qu’il ne se révèlera qu’à ceux qui conservent en leur coeur, la sourde présence de l’état naturel. Ne sachant s’il mérite d’accéder à son intériorité, je conseillerai au visiteur de ne pas chercher devant une toile de Michaële-Andréa Schatt à en débroussailler les parties, à en décomposer l’unité, mais à laisser, sous la chaleur des tons, se dissoudre ce bleu incarné et ces quelques couleurs qui l’environnent, à s’y laisser piéger comme par une brise légère. Les autres voies qu’il devra emprunter sont intérieures. Sa marche, comparable à une Errance (2020) requiert du courage car il rencontrera cette part souvent inconnue de soi-même, un état de grandeur quand il comprendra que ce jardin est en lui-même, qu’il est spirituel comme l’affirmait Maurice Denis. Il fait état de nos joies, de nos élans et c’est en suivant ses allées plus obscures qu’il donne à voir l’ombre de nous-mêmes qui n’est autre que ce ravissement qui fait qu’on échappe à la loi commune.

Une ombre, présente dans les peintures de l’artiste, se loge sous le bleu, dans la fleur qui déploie en s’épanouissant des attraits mortels, dans la figure spectrale d’une cheminée, soeur de celles qui ont répandu le smog sur la ville de Londres à l’époque de la révolution industrielle, ou de celles atomiques qui ont propagé la peur dans nos coeurs. Le soir venant, elle se fait un lit de cette végétation, sans rien céder à la noirceur. Au contraire, elle se hisse dans Opium Poppies (2020) de branche en branche pour atteindre, par-delà les couleurs, un autre bleu, crépusculaire cette fois, dont l’incandescence, comme une veilleuse, éloigne nos peurs profondes.

Michaële-Andréa Schatt nous entraîne dans un jardin très particulier qui devient poèmes dans le recueil Un dernier jardin ou trouve une existence cinématographique, faite d’éclats lumineux et sensitifs, dans la pellicule gorgée de couleurs saturées d’un film Super 8. Ce jardin appelé « Prospect Cottage » était celui de Derek Jarman, à Dungeness, qui a failli disparaître. Un jardin dans le « jardin de l’Angleterre » qu’est le Kent au Sud-Est de Londres, dans lequel Michaële-Andréa Schatt avec DJ’s Garden (2020) saisit les traits, la mémoire, et la destinée de ce réalisateur britannique décédé en 1994 peu après avoir réalisé sa dernière oeuvre, Blue, un film sans images qui explore les significations de la couleur bleue par le passage d’une bande-son sur un écran bleu uni et immobile.

Métaphore de la vie, le jardin évoque les instants lumineux, les fatalités enracinées dès les premiers pas, ouvrant pour qui sait en saisir les parfums captivants, les couleurs exaltantes, dans des traversées qui, méprisant les lignes continues et les allées jalonnées de pensées rigides, offrent une richesse aussi infinie que celle d’une vie dédiée à l’amour et à la création.

Daniel Guionnet, critique d’art membre de l’AICA,
Directeur de la revue Point contemporain

Michaële-Andréa Schatt, Blue, 2020. DétailTechniques mixtes sur toile 180 x 150 cm Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod
Michaële-Andréa Schatt, Blue, 2020. Techniques mixtes sur toile 180 x 150 cm
Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod
Errance, 2020. Techniques mixtes sur toile, 150 x 140 cm Courtesy artiste
Michaële-Andréa Schatt, Errance, 2020. Techniques mixtes sur toile, 150 x 140 cm
Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod
Michaële-Andréa Schatt Dj's Garden, 2020 Techniques mixtes sur toile 180 x 150 cm
Michaële-Andréa Schatt, DJ’s Garden, 2020
Techniques mixtes sur toile 180 x 150 cm
Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod
Michaële-Andréa Schatt, Opium Poppies II, 2020 Techniques mixtes sur toile 148 x 108 cm
Michaële-Andréa Schatt, Opium Poppies II, 2020 Techniques mixtes sur toile 148 x 108 cm

MICHAËLE-ANDRÉA SCHATT – BIOGRAPHIE
Née en 1958
Vit et travaille à Montreuil et enseigne à l’Université Paris VIII

www.michaeleandreaschatt.art

Représentée par Galerie Isabelle Gounod Paris
www.galerie-gounod.com