Nelson Pernisco, Dans la langue des ciments, La Conciergerie, La Motte Servolex

Nelson Pernisco, Dans la langue des ciments, La Conciergerie, La Motte Servolex

Lauréat de la 1ère édition du concours La Convocation, Nelson Pernisco a été accueilli l’été dernier en résidence artistique à La Conciergerie. S’inspirant de deux histoires locales datant des années 1980, il y présente du 25 mai au 30 juin son exposition de fin de résidence intitulée Dans la langue des ciments

« Je puise régulièrement dans l’histoire comme matière pour produire des formes »

S’il est diplômé d’une des plus grandes écoles d’art de France, c’est pourtant entre le skate et les squats que Nelson Pernisco a grandi et s’est construit. À l’initiative de plusieurs artist-run-spaces, ces espaces d’ateliers et d’expositions gérés par des artistes qui prolifèrent depuis plusieurs années en périphérie des centres urbains, le jeune homme a nourri sa pratique artistique de ce parcours de vie déterminé mais incertain, considérant les éléments qui constituent la matière première de son travail – mobilier urbain, fragments d’architectures abandonnées, matériaux bruts ou récupérés – comme autant de vestiges d’une société post-industrielle déjà en ruines cristallisant toute la précarité de notre époque. Inscrivant ses créations dans l’histoire des formes de la sculpture, toute l’œuvre de Nelson est animée de pulsions contradictoires, entre destruction et renaissance. De la confrontation entre la brutalité de son esthétique et la poésie de son imaginaire émergent alors des utopies nouvelles qui interrogent le bien-fondé de nos systèmes de pensée. Dans la continuité de ces réflexions, Nelson a entamé depuis quelque temps une recherche plastique autour de la notion d’iconoclasme – la destruction délibérée, pour des raisons politiques ou religieuses, d’images à l’origine religieuses, mais par extension d’œuvres d’art dans leur ensemble – faisant éclore une question aussi évidente qu’essentielle : quelles formes plastiques nouvelles peut produire la destruction d’une œuvre ?

Jetant un pont entre deux univers a priori éloignés (mais dont la conjonction est pourtant au cœur du travail de Nelson), l’exposition de La Conciergerie trouve son origine dans deux histoires locales, l’une liée à l’art contemporain, l’autre au passé industriel de la région. 

La première remonte à 1982. Dans la foulée de l’accession à la présidence de la République de François Mitterrand et la multiplication des initiatives culturelles nouvelles qui ont suivi, nombreuses sont les municipalités socialistes prêtent à avoir voulu emboîter le pas. Ainsi de Chambéry qui envisage alors de transformer le Château de « Buisson-Rond », une demeure du XIXe siècle, en centre d’art dédié à la sculpture contemporaine. La municipalité fait appel à une jeune historienne d’art, Françoise Guichon1, chargée de concevoir une exposition de préfiguration dans la ville. À cette occasion, elle réunit certains des artistes contemporains, français et internationaux, les plus importants parmi lesquels on trouve François Morellet, Claude Rutault, Erik Dietman, Anthony Reynolds, Jacques Vieille ou encore Etienne Bossut. 

Seulement voilà, plusieurs des œuvres présentées créent le scandale : une performance de Dorothée Selz, qui invitait les visiteurs à fouler du pied des quantités de petits pains colorés disposés au sol, suscite l’indignation de la presse locale ; une sculpture de César représentant une femme enceinte sans bras ni tête est vandalisée, tandis qu’une chaise monumentale conçue par Tony Cragg à partir de bidons en plastique est détruite. Différents incidents qui, ranimant des tensions autour de la prétendue radicalité de l’art contemporain et du projet de transformation du château contesté par certains, entrainent l’abandon du centre d’art. Lorsqu’en 1983, les socialistes perdent la municipalité (le temps d’un mandat), ils imputent leur échec électoral à l’exposition controversée, provoquant une inflexion de la politique culturelle locale au profit de la musique et du sport.

La seconde histoire prend pour point de départ ce qui fut l’un des fleurons industriels de la région : la cimenterie Chiron. Fondée au milieu du XIXe siècle et successivement dirigée par trois générations d’une même famille, l’entreprise fournit pendant les Trente Glorieuses toute la région en ciment, participant à la reconstruction de quartiers entiers de Chambéry et à la réalisation d’ouvrages d’art. Revendue en 1980 à l’entreprise Vicart qui y arrête finalement ses activités en 1993, l’usine abandonnée trône encore aux premiers lacets qui montent vers la Chartreuse. En visitant les lieux lors de sa résidence l’été dernier, Nelson découvre sur place d’impressionnants carottages oubliés, en lesquels il voit une manière d’interroger la terre, de s’informer sur le passé avant d’envisager le futur. Exposés dans des coffrets en bois sur une envahissante structure de béton armé, tandis que jonche au sol ce qui pourrait subsister de la chaise de Tony Cragg, l’exposition de Nelson Pernisco s’envisage alors comme une accumulation de traces suscitant une multitude d’hypothèses poétiques.

1 Françoise Guichon fut entre 1985 et 2009 directrice du CIRVA (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques), avant de rejoindre le Centre Pompidou en tant que conservateur Design.

Texte Thomas Lapointe © 2018

 

 

 

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Visuel de présentation : Nelson Pernisco, Dans la langue des ciments, La Conciergerie, La Motte Servolex