[FOCUS] Nelson Pernisco, Bunker C.A.A.O.U

[FOCUS] Nelson Pernisco, Bunker C.A.A.O.U

Focus sur l’oeuvre Bunker C.A.A.O.U de l’artiste Nelson Pernisco.

Oeuvre : Bunker C.A.A.O.U, moulage en bois d’un bunker à l’échelle 1:1.

Artiste : Nelson Pernisco, vit et travaille à Saint-Ouen. Membre du Collectif Le Wonder, centre de création et collectif d’artistes situé au coeur des puces de Saint-Ouen dans les anciennes usines de fabrication des piles Wonder.

Réalisé à l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris par Nelson Pernisco, Bunker C.A.A.O.U. est tout d’abord l’expression d’une expérience personnelle. Cette imposante structure retrace les conditions de vie d’un artiste sculpteur qui organise sa pratique artistique de squat en squat, disposant des matériaux qui l’entourent et organisant ses propres temps d’exposition. Le titre de la pièce, C.A.A.O.U. renvoie  au « Collectif Artistique Associatif du canal de l’Ourcq » avec lequel l’artiste ouvre les squats, les uns après les autres. Un caractère nomade qui se retrouve dans cette structure qui, conçue sans ouverture ni confort, nous parle des conditions de production de l’artiste, de son caractère nomade, devant constamment trouver un atelier, une résidence, un budget, un espace d’exposition.

Propos de Nelson Pernisco recueillis le 12 décembre 2015 :

« La pièce Bunker est une réflexion sur l’autoproduction. Elle explicite la difficulté éprouvée à travailler pour soi, à financer et à concevoir une sculpture qui n’a pas vocation à être exposée dans l’immédiat.
Suis-je capable de gérer mon temps de création, tant en amont dans mon imaginaire que dans la réalisation pour que la pièce soit aboutie, acheter des matériaux adéquats, prendre en considération le transport, les conditions de stockage en attendant qu’un jour je puisse la montrer au public, le tout en ayant l’idée de travailler pour au final gagner de l’argent ?

Bunker C.A.A.O.U représente le coffrage d’un bunker à l’échelle 1:1. Un moule en bois qui sert à donner une forme au béton coulé à l’intérieur. À la différence des coffrages traditionnels qui sont faits de simples planches de bois, j’ai utilisé du contreplaqué bakélisé qui, pourvu d’une fine couche de plastique foncé, donne au béton un rendu très lisse. Mon but n’était pas de recréer un bunker mais de concevoir un moulage « au cas où ». Il est possible de déplacer la structure n’importe où et de couler du béton à l’intérieur pour le construire.

La structure est inspirée de plusieurs blockhaus et de formes sur lesquelles je travaille habituellement comme les plans inclinés mais aussi de formes générées par des manipulations d’objets comme par exemple un étui de cellophane de paquet de cigarettes. J’ai réalisé au préalable des plans en 3D et j’ai beaucoup travaillé sur les découpes des grands panneaux de bois afin d’optimiser leur surface dans une perspective d’économie du matériau.

Par sa forme je voulais m’éloigner de la cabane car il n’est pas l’expression d’un abri mais d’un lieu hermétique sans porte ni fenêtre et dont l’épaisseur tient à distance les spectateurs. D’ailleurs, coulé selon les caractéristiques du bunker de guerre, il ne serait pas viable car il resterait moins d’un mètre carré de surface vide à l’intérieur.

Le bunker est en lien direct avec le fait que je vis dans des squats d’artistes depuis plusieurs années. Il symbolise la pression des propriétaires, les pressions juridiques et les menaces d’expulsion que subissent constamment les squatteurs. Si le collectif réside depuis maintenant deux ans au Wonder, un ensemble de bâtiments industriels des anciennes usines de piles que nous avons réhabilités pour transformer en ateliers pour artistes, jeunes créateurs et musiciens, nous savons que nous devrons bientôt le quitter. Une précarité qui nous donne l’envie d’acheter un bout de terrain et d’y fabriquer notre propre maison.

Le Bunker est l’image poussée à l’extrême de la résidence imprenable. Il est la maison où personne ne pourra nous déloger.

Nelson Pernisco, Transport, Meuble en métal, corde, Tirage photographique, 2014
Nelson Pernisco, Transfert, Meuble en métal, corde, Tirage photographique, 2014

En tant que squatteur, ma condition est d’être nomade. Je mets en scène par l’idée du transport le fardeau du sculpteur. J’ai fait une performance où je tirai un meuble en fer à travers tout Paris de l’atelier à l’espace d’exposition. C’est une réflexion sur le fait que je fais tout moi-même, que je travaille avec des matériaux très lourds comme le béton, le bois et que je passe une partie de mon temps à les déplacer. La structure du Bunker est entièrement démontable même si certaines parties sont assez volumineuses et de ce fait, difficile à transporter.

Le Bunker est aussi une réflexion sur l’accessibilité des lieux. Pénétrer dans un lieu nécessite de passer des embûches, de trouver des voies d’accès. J’ai présenté lors d’une exposition avec le Collectif Inexplore une installation composée de huit étais disposés à l’horizontale. Il fallait se baisser, enjamber, passer au travers pour accéder à l’espace d’exposition.

Nelson Pernisco, installation, Etais, bois, dimensions variables, Inexplore #4, Paris mai 2015
Nelson Pernisco, installation, Etais, bois, dimensions variables, Inexplore #4, Paris mai 2015

L’œuvre retrace ce récit de ma vie entre les lieux par la sculpture. Elle est aussi le moyen d’affirmer une forme de liberté quelques soient les contraintes, les conditions et le fardeau.

La structure du Bunker renvoie aussi à l’immersion nécessaire dans un lieu pendant la période d’occupation légale de 48 heures qu’il faut prouver quand on ouvre un squat. En général, nos immersions durent a minima un mois. Nous nous enfermons dans le bâtiment toujours muré où nous engageons des travaux pour le rendre viable. Nous faisons cela le plus discrètement possible. Il y a une dimension assez mentale car nous savons que la police va venir d’un jour à l’autre et que les démarches vont commencer. En attendant, il y a ce jeu de savoir jusqu’où nous pouvons aller dans le bruit. Il arrive même que pendant l’immersion les propriétaires viennent renforcer la sécurité de leur bâtiment sans s’apercevoir qu’il est occupé. »

Pour en savoir plus :

nelsonpernisco.com