PAUL DUNCOMBE [PORTRAIT D’ARTISTE]

PAUL DUNCOMBE [PORTRAIT D’ARTISTE]

PAUL DUNCOMBE. (RE)FAIRE DES MONDES

Observateur minutieux du monde naturel, porté par une conscience écologique aigüe, Paul Duncombe, actuellement exposé au 63e Salon de Montrouge, documente les paysages pour mieux les décomposer, les recomposer et les faire pénétrer dans l’espace d’exposition. Fasciné par le changeant de la nature il en enregistre les éternelles et infimes variations et se fait ainsi le révélateur de l’imperceptible et des interactions de l’humain avec son milieu.

Cosmophanies

La perméabilité grandissante entre les arts et les sciences a mené l’art contemporain à réinventer son rapport avec la nature en forgeant une nouvelle forme de mimèsis. La série de photographies Dense Cloud (2017) présentée par Paul Duncombe au Salon de Montrouge témoigne de ces nouvelles modalités de représentation : modéliser plutôt que figurer, relever, mesurer et enregistrer des données plutôt qu’imiter l’apparence visible des choses. Les nuages de points composant les images de la série ont ainsi été engendrés par une photogrammétrie de souches, brisures et chablis trouvés en forêt et qui, restitués sous forme de volumes numériques, semblent devenir en eux-mêmes des micro-paysages.

Selon une approche plus phénoménologique, Paul Duncombe crée également des natures vivantes, systèmes organiques maintenus artificiellement en récréant les conditions de leur vie autonome. Il ne s’agit plus de reproduire l’aspect du réel, mais d’exprimer les dynamiques du vivant. Dans une démarche démiurgique il procède ainsi à des cosmophanies : il fait apparaître des mondes. Après les aquariums de Microcosmes (2017), qui donnaient à entendre les interactions entre une multitude d’organismes aquatiques, les terrariums d’Éden, forment un polyptyque de dioramas vivants. Mais dans ces fragments de paysage mis en vitrines on chercherait en vain le mouvement d’une présence. Ce qui est à l’oeuvre est invisible, insidieux : dans chaque « tableau » une pollution différente— radioactive, chimique, physique, biologique—altère lentement le développement des végétaux. À travers ce dispositif l’artiste étudie la manière dont le vivant évolue face aux différents bouleversements des écosystèmes, une réflexion née notamment de ses observations à Fukushima. Il cultive ainsi les perturbations du milieu—cet umwelt1 décrit par Jakob Von Uexküll—pour leurs potentialités entropiques et transforme la nature en un artefact portant la trace de l’humain. « Le monde est plein de choses qui se montrent indifférentes voire hostiles, envers la vie […] Néanmoins, si la vie demeure et ainsi se développe, les facteurs d’opposition et de conflits sont surmontés et il se produit alors une transformation de ces facteurs en aspects distincts d’une vie plus signifiante et plus puissante. Le miracle de l’adaptation organique et vitale a alors lieu par le biais d’une expansion » écrit John Dewey dans L’art comme expérience2. Voilà le genre d’expérience d’enchevêtrement des phénomènes qui intéresse Paul Duncombe. Paisiblement s’accomplissent les transformations du monde, et cet éden de l’ère Anthropocène, rendu inapte à l’homme par l’homme lui-même, semble annoncer le possible ré-enchantement d’un monde post-humain.

Quand les phénomènes deviennent des formes

Les installations autonomes de Paul Duncombe agissent comme des sculptures performatives. Sur les décombres urbains de la série On the possibility of Life, dont un exemple – une vieille 2CV rouillée – est présenté à Montrouge, il entretient la « possibilité de la vie » grâce à un système automatisé d’éclairage horticole et de brumisateurs. Ces vestiges sur lesquels la nature reprend ses droits évoquent une forme d’archéologie post-apocalyptique où, plutôt que de conserver l’objet, l’on préserve ce qui le colonise et le ronge peu à peu. Avec ces installations, l’artiste redonne préséance au vivant en révélant les micro-phénomènes et les intra-actions qui façonne la nature. On pense aussi au geste Jan Dibbets arrosant une table couverte de gazon (Green Table, 1968) qui aurait donné à Harald Szeemann l’idée de l’exposition When Attitudes Become Form. Désormais, grâce aux nouvelles technologies, le geste est automatisé ; potentiellement permanent il ne fait plus événement mais se perpétue en l’absence de l’artiste comme un processus sans fin. Les arts visuels, anciennement purement arts de l’espace, deviennent aussi des art du temps.

À l’inverse, les phénomènes peuvent se figer et prendre des formes solides. Laboratoire miniaturisé, Apex (2018) témoigne des recherches de l’artiste sur la faculté motrice des plantes. Durant la croissance de certaines plantes l’extrémité des tiges, nommée apex, effectue un lent mouvement hélicoïdal, la circumnutation. Observé et mesuré selon une méthode mise au point en 1880 par Charles Darwin, ce tropisme qui habituellement échappe à notre perception est numériquement reconstitué et matérialisé sous la forme de petites sculptures en bronze. Générées selon ce même processus de conversion, les amples lignes brisées de L’envers du décor (2016) évoquent les monumentales sculptures minimalistes d’un Robert Morris ou d’un Forrest Myer. Si rien ne laisse soupçonner l’origine végétale de cette vaste abstraction géométrique, la manière dont la forme advient et ce qu’elle représente sont pourtant intrinsèquement liés.

L’expérience de l’imperceptible

Qu’il intervienne directement dans la nature dans la tradition du Land Art, ou qu’il travaille à donner des impressions du paysage en transposant ses phénomènes dans le champ de l’art, Paul Duncombe télescope l’infiniment grand et l’infiniment petit pour mettre en lumière la « grandeur de l’infinitésimal »3. Il rend perceptibles les mouvements, les sons et les forces invisibles de la nature, ces infra-minces qui nous échappent : du rayonnement radioactif de certains minerais à la force gravitationnelle de la Lune, du mouvement des vagues à ceux que le vent dessine à la surface des déserts… Attentif aux infimes bruissements du monde, il effectue des déplacements perceptifs, convertit la pluie en lumière, fait chanter les plantes et vivre les ruines. Son travail s’apparente ainsi à une constante métamorphose de la nature passée par le prisme de l’humain, une nouvelle manière de faire l’expérience du monde.

1 Jakob Von Uexküll, Monde animaux mondes humains, 1934
2 John Dewey, L’art comme expérience,  1934
3 Karen Barad, « La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant », in Multitudes,  n°65, 2016.

 

Texte Clara Muller © 2018 Point contemporain

 

Paul Duncombe est né en 1987.
Vit et travaille entre Caen à Paris.

www.paulduncombe.com

Paul Duncombe est le lauréat du Prix Première édition Tribew – 63e Salon de Montrouge

 

Paul Duncombe, La Fabrique du Paysage, 2017.
Paul Duncombe, La Fabrique du Paysage, 2017.

 

Paul Duncombe, Dense Cloud, 2017.
Paul Duncombe, Dense Cloud, 2017.

 

Paul Duncombe, On the Possibility of Life on a Public Bench, 2017.
Paul Duncombe, On the Possibility of Life on a Public Bench, 2017.

 

Paul Duncombe, Apex : dispositif d'étude, 2016.
Paul Duncombe, Apex : dispositif d’étude, 2016.

 

Paul Duncombe, Fonctions d'Ondes, 2015.
Paul Duncombe, Fonctions d’Ondes, 2015.

 

Visuel de présentation : Paul Duncombe, Éden, 2017. Végétaux, éléments radioactifs, éclairages horticoles, 150 x 380 x 100 cm. La Résidence, Dompierre-sur-Besbre, 2017. Tous droits réservés artiste.