LEAH DESMOUSSEAUX, SILLAGES PHOTOGRAPHIQUES

LEAH DESMOUSSEAUX, SILLAGES PHOTOGRAPHIQUES

EN DIRECT / Exposition « Sillages Photographiques » de Leah Desmousseaux
jusqu’au 26 décembre 2020, Galerie Robet Dantec, Belfort

Leah Desmousseaux pratique la photographie comme si elle nous invitait à voir au-delà de l’image. Elle manipule la matière photo-sensible et dessine avec la lumière des paysages déroutants nés de l’association de procédés anciens et contemporains. Des images où ni le lieu ni le temps n’ont prise. A l’occasion de sa première exposition personnelle à la Galerie Robet Dantec, elle présente un ensemble d’oeuvres dont le sujet s’apparente à un voyage immobile vers le site antique de Palmyre.

C’est sur Google Image que l’artiste est allée chercher la matière première de son exploration. Naviguant sur le flux des images de presse ou de clichés touristiques de Palmyre, elle a capturé sur l’écran de son ordinateur, à l’argentique, des fragments de ces images. Puis elle a re-photographié encore des détails à l’intérieur de ses négatifs, « comme on plongerait toujours plus profondément au travers d’une brèche ouverte sur l’imaginaire » explique-t-elle. De ce travail de grossissement, de plongée dans la matière-image où se confondent sels d’argent, sable et pixels, sont nés des tirages cyanotypes aux dimensions et couleurs variées, obtenues par virages chimiques.

L’espace d’exposition propose une expérience physique où deux échelles d’images se confrontent. Un grand polyptyque, évoquant l’idée de fresque, ouvre un espace bleu, immersif et quadrillé. Comme dans un carroyage archéologique, le regard sillonne les vestiges de cette image composée de cent fragments, lentement réassemblée par l’artiste. Face à cette expérience océanique, presque foetale, une série de miniatures opèrent un retournement de point de vue. Contrairement au grand cyanotype, elles proposent un rapport d’intimité né de l’éloignement plutôt que de l’enveloppement. Semblables à des oeilletons desquels il faut s’approcher pour regarder au travers, elles montrent différents angles d’un lieu inlassablement parcouru par le regard de l’artiste, au rythme de la lumière et des variations chromatiques.

Jouant du trouble des échelles et du référent photographique, de la répétition des points de vue et des motifs, ces photographies proposent également d’arpenter visuellement un paysage au bord de l’abstraction. « Mes images, à force de manipulations, s’émancipent du caractère mimétique de l’empreinte pour faire advenir au visible des choses qui n’y étaient pas. Cette rupture d’avec le référent originel, qui perturbe nos attentes « illustratives », provoque une forme de « défiguration » de l’objet du regard » poursuit l’artiste, pour qui le lent travail de laboratoire où s’opèrent les transfigurations de l’image prime sur l’instant de la prise vue. Par la manipulation photographique, Leah Desmousseaux cherche à nouer une relation d’intimité avec Palmyre. L’espace-temps d’incarnation de l’image pourrait-il saisir quelque chose sa lointaine lumière ? Et la caresse de sa surface, capturer quelque chose de son épaisseur ?

Pourtant, « L’expérience que je propose ne nécessite pas d’identifier Palmyre, car c’est tout un archipel d’images enfoui dans notre imaginaire que je convoque, et non un site archéologique en particulier. » Pour l’artiste, ce voyage immobile est une manière d’interroger le pouvoir qu’a l’image de nous faire accéder à un ailleurs, d’investir l’inconnu et d’éprouver l’absent. Mais travailler à partir de ces images n’est pas un choix anodin : « Palmyre et son tissus mémoriel ont vécu une terrible déchirure en 2015 en devenant le théâtre de l’idéologie de Daesh. Depuis, l’image digitale est au coeur des enjeux de conservation de son histoire. Numérisation systématique des archives, récolte massive de témoignages photographiques, créations de photothèques en ligne, reconstitutions et impressions 3D démultiplient son visage de manière exponentielle. Cette sorte d’arrachement du site à sa matrice physique originelle (qui permet cependant de continuer à le faire exister pour le plus grand nombre) soulève les questions de l’artefact et du fac-similé ». Que subsiste t-il de l’essence du lieu au travers de la dématérialisation des supports par lesquels on peut le parcourir ? « Avec la dématérialisation des données et donc de la mémoire, notre civilisation vit peut-être plus qu’auparavant la crainte de sa disparition. »

En vitrine : Leah Desmousseaux, 34°33’15" N, 38°16'00" E (Palmyre II), 2020 Tirage cyanotype sur papier Arches - 9 éléments Dimensions : 110 cm x 170 cm
En vitrine : Leah Desmousseaux, 34°33’15″ N, 38°16’00 » E (Palmyre II), 2020 Tirage cyanotype sur papier Arches – 9 éléments Dimensions : 110 cm x 170 cm
Leah Desmousseaux, Atlal, 2020 Cyanotype sur papier Arches - 35,5cm x 54,5 cm
Leah Desmousseaux, Atlal, 2020 Cyanotype sur papier Arches – 35,5cm x 54,5 cm
Vue de l’exposition Sillages Photographiques de Leah Desmousseaux
Vue de l’exposition Sillages Photographiques de Leah Desmousseaux
Vue de l’exposition Sillages Photographiques de Leah Desmousseaux
Vue de l’exposition Sillages Photographiques de Leah Desmousseaux
Leah Desmousseaux, Tadmer n°7, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°7, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°1, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°1, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°8, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°8, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°22, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.
Leah Desmousseaux, Tadmer n°22, 2020 4 x 5,5 cm, tirage cyanotype viré.

Exposition « Sillages photographiques » – Leah Desmousseaux
Galerie Robet Dantec
5 Place de la Grande Fontaine 90 000 Belfort
Tél. 03 84 21 48 91
galerierobetdantec.com