MÉMWA VIVAN

MÉMWA VIVAN

Visuel © Bruno Falibois (Kévin Huber, Elsa Prudent, Daniel Nicolaevsky Maria, Fang Dong et Myriam Mihindou)

EN DIRECT / Exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux

Commissariat Pierre-Antoine Irasque

Objet non identifié que celle de cette toute première prescience esthétique du plus loin dont je me souvienne, celle d’un tsunami rouge recouvrant la ville de Bordeaux. Celle d’une submersion des façades grandiloquentes édifiées des denrées humaines que sont la sueur, la chair et le sang des esclavisé·es du triangle d’or. Celle des complaintes des folles et des fous visionnaires qui voyagent dans l’espace-temps pour faire entendre les oublié·es ; une supernova d’existences que rien ni personne ne peut dorénavant contenir, car elle ne répond à personne et parle à tout le monde.

« Naître au monde et aux Autres, par la plongée en soi — ta chair double (regardée gentiment) t’offrant la chair du monde, estrangetés désarmées en commune condition… et l’écart bienfaisant devant les certitudes… — » Michel de Montaigne

Dans la tempête, les mascarons créoles de l’architecture du premier port colonial hexagonal pleurent encore leurs 150.000 filles et fils, figurant les témoins de cette histoire sourde face à des passant·es enivré·es du vin de l’amnésie collective. Malgré l’étherité de ces histoires, les gardien·nes de pierre restent à la porte des devantures bourgeoises, tels les garde-fous des sombres idées où « l’imagination crée à l’homme des Indes toujours suscitées, que l’homme dispute au monde »1. Ce crime manœuvré contre l’Humanité (2001) dont certain·es restent encore aveugles de l’Histoire à débâtir et des récits à conter de cette « double facture »2 — qui sera celui d’un impérialisme du savoir et de la science européenne, — au servile service de la raison universelle qui s’élève au pinacle de l’exploitation coloniale, esclavagiste et environnementale : la plantationocène. Voici donc le déchirement d’un monde antagoniste possible, dans lequel l’Occident invente l’« habiter colonial »3 aux paradoxes de la modernité. Aux lumières flamboyantes de la pensée, c’est à ce même moment que la civilisation bascula dans l’avarice de l’entreprise capitaliste, celle de l’aventure coloniale durant près de 500 ans entre l’Appel, le Voyage, la Conquête, la Traite [négrière], les Héros [rebelles] et la Relation : « La monstrueuse mobilisation, la traversée oblique, le Chant de Mort. Un langage de déraison, mais qui porte raison nouvelle. Car aussi le commencement d’une unité, l’autre partie d’un accord commun, c’est l’Inde de souffrances après les Indes du rêve. Maintenant, la réalité est fille de l’homme… »4. Clamons ensemble haut et fort ce chant élégiaque fait de cette « mangrove textuelle »5, alternant l’accord d’un lieu de convoitise et d’un « non-lieu » utopique qui esquissera les chemins infinis de ce Tout-Monde à venir. Le souffle haletant, la voix éraillée dans les bras hybrides des liens de l’altérité, laissons-nous pleurer des larmes pour découvrir nos yeux au visage de l’Autre (Levinas). Faisons volte-face de tous les masques et bénissons ce dépouillement des facéties du pouvoir, en embrassant l’opacité du Gai Savoir (Nietzsche) sous cette éclipse insensée.

« WE CANNOT BE FREE UNTIL THEY ARE FREE » James Baldwin

Au coeur de la tempête, ce cahier des mémoires sera le cap essentiel d’une renaissance de la cité et de ses habitant·es encore prisonnier·es de la cale de l’Histoire, dont les phénomènes racistes systémiques restent l’ancrage ostensible d’une inertie politique (Tribune du collectif BlackFlower6) ; en créant le noir, le blanc s’est lui-même enfermé dans cette solitude abyssale, « le nègre esclave de son infériorité, le Blanc esclave de sa supériorité »7. Poète et politique des humanismes, Aimé Césaire faisait quant à lui l’éloge des révoltes silencieuses, et inventa les termes de cette émancipation dont la « Négritude a été une forme de révolte d’abord contre le système mondial de la culture »8. Le processus de décantation de cet examen de conscience, ne pourra pas émerger des bas-fonds mémoriels rythmés par l’installation de plaques de rue explicatives posées dans l’anonymat du froid de l’hiver, ou la commémoration de statues et d’impasses cachées au large des regards du cœur. A contrario, ces manifestations publiques dans la sensibilité de nos fantômes devront être le parangon en réapparition, toujours au grand jour d’un printemps des présences et des attentions, afin de « (…) rendre possible entre le Noir et le Blanc une saine rencontre »9. Au-delà de l’apanage des représentations de l’Histoire et au réveil de nos cauchemars entropologiques (Lévi-Strauss), une autre cosmogonie esthétique résonne des failles de l’univers entre rébellion et guérison. L’artiste éternel comme le disait aussi Léopold Sédar Senghor, est le refuge d’une croyance collective devenant le/la porteur·se de flamme, le/la passeur·se d’une énergie sacrée dont Eugène Mona fut l’incomparable ré-inventeur créole de ce que l’on nomme musique des mornes… Quand le navire-monde (Césaire) traversera les intempéries et que la grande politique (Deleuze) commencera sa conjugaison emplie des besoins de résilience et de justice, nous hisserons alors ensemble la voile sur le pont transatlantique, pour façonner l’oeuvre magistrale d’une Poétique de la Relation (Glissant).

Pierre-Antoine Irasque

Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria
Vue exposition MÉMWA VIVAN, Espace 29, Bordeaux Photo © Daniel Nicolaevsky Maria

Dans le cadre du programme de nos 15 ans intitulé Convergences et des Journées de la Mémoire de la ville de Bordeaux, l’Espace 29 propose une exposition de 5 artistes originaires de Martinique, de Guadeloupe, du Brésil et de La Réunion dont le parcours et leurs pratiques artistiques respectives abordent les questions de la « Mémwa/Mémoire » liée à la colonisation, à la traite négrière et au racisme.
Ces artistes — Bruno Falibois (Autodidacte), Daniel Nicolaevsky Maria (Beaux-Arts de Paris), Elsa Prudent (Beaux- Arts de Bordeaux) et Jean-François Boclé (Beaux-Arts de Paris) — sont les témoins vivants de ces récits pluriversels composant cette histoire, qui résonne encore aujourd’hui et à laquelle nous devons faire face ensemble.
*Toutes les œuvres de l’exposition sont produites spécialement pour l’occasion, afin de soutenir la création in situ et la production contemporaine.

Exposition du 13 au 28 mai 2022
Vernissage : Jeudi 12 mai à 18h, Performance de Jean-François Boclé
Curator Pierre-Antoine Irasque
Coordinatrice Marion Cabanne
Production des œuvres Espace 29
http://espace29.com