THEODORA MALAMOU

THEODORA MALAMOU

ENTRETIEN / Theodora Malamou

DANS LE CADRE DE « PERSPECTIVES SUR L’ART CONTEMPORAIN GREC »
PAR MARIA XYPOLOPOULOU

Athens Laundry – Bougada est un projet artistique en ligne lancé à l’initiative de l’artiste Theodora Malamou qui a travaillé en collaboration avec neuf artistes émergents grecs dans le but de mettre en valeur certains quartiers historiques oubliés du centre-ville d’Athènes.
Patisia, Kypseli, Metaxourgio ont vu la construction de hauts immeubles à proximité des vieilles maisons d’architecture néoclassique des années 60, 70 et 80, pour absorber l’arrivée continue de la population venue de province. Dans ces ensembles hétéroclites construits pour répondre rapidement aux besoins croissants de logements, la densité de la population constituée essentiellement de travailleurs est particulièrement élevée. Délaissés par des familles aristocratiques grecques, ils sont devenus ceux des habitants les moins aisés de la ville, constituant même par endroits des sortes de ghettos. Ils restent toutefois pour beaucoup d’Athéniens un souvenir nostalgique de la vieille Athènes “moderne” qu’ils ont connue. L’installation de familles de réfugiés dans ces quartiers ont enrichi ces lieux sur le plan culturel et l’implantation de petits commerces et restaurants de divers pays d’Asie et de l’Est ont changé l’ambiance de leurs rues. 

Theodora Malamou a vécu dans l’un de ces quartiers et elle y vit toujours. Elle se sent concernée par leur évolution, avec pour désir de mettre davantage en valeur tout ce qui fait leur identité. L’artiste a choisi de se concentrer sur une pratique traditionnelle grecque des classes sociales inférieures et moyennes, qui est l’étendage afin qu’ils sèchent, des vêtements sur les balcons ou les fenêtres des appartements. Unepratique courante qui reste en mémoire, comme une image familière et même culturelle, de tous ceux qui ont visité Athènes ou d’autres villes de la Méditerrané. Malgré l’interdiction qui rend cette pratique illégale depuis les années 1930, elle continue d’être suivie par de nombreuses familles aujourd’hui, dans ces quartiers ou dans d’autres. L’étendage de linge sur toute habitation donnant sur la voie publique à Athènes renforce le caractère pittoresque des rues, leur donnant l’aspect d’un décor théâtral chatoyant. C’est l’empreinte des habitants nombreux et différents de cette ville; une contradiction qui finit par devenir une composante forte de l’identité de la ville à son insu. Chaque lessive regorge d’éléments qui trahissent l’histoire de chaque famille, de leur provenance, de leur composition, de leur situation financière.

Non sans humour, Theodora Malamou et neuf autres artistes abordent cette tradition en interrogeant les interférences entre vie privée et vie publique, mais aussi la dimension artistique du paradoxe visuel créé par l’image des vêtements étalés et l’architecture des habitations. Imitant la façon dont le linge est étalé, les artistes exposent leurs œuvres d’art sur les balcons du quartier, les rendant visibles des habitants et des passants, comme autant d’installations temporaires. 

Theodora Malamou 
City Flag, 2020
Acrylic colour on fabric  145x125cm - Photo Theodora Malamou
Theodora Malamou City Flag, 2020
Acrylic colour on fabric 145x125cm – Photo Theodora Malamou

Comment le projet Athens Laundry – Bougada a-t-il été créé?

Il s’agit d’une recherche visuelle qui, à partir d’un simple élément du quotidien, le linge, propose de manière humoristique une série de photographies documentaires sur lespopulations venues de tous les horizons qui vivent dans les vieux quartiers du centre athénien. Le projet se réfère à la tradition grecque concernant le séchage du linge qui s’effectue en étalant les vêtements sur les balcons ou les fenêtres des façades d’immeubles. À partir de juin 2020, les archives de photos collectées ont commencé à être présentées avec des publications quotidiennes sur les pages des réseaux sociaux (Facebook et Instagram) de notre projet, créant progressivement une mosaïque de moments et d’images. 

Maria Varela, Data Altar, 2020, data visualisation through weaving  handwoven textile on traditional loom 100 x 47cm- Photo Theodora Malamou
Maria Varela, Data Altar, 2020
data visualisation through weaving handwoven textile on traditional loom 100 x 47cm- Photo Theodora Malamou
Maria Varela, Data Altar, 2020, data visualisation through weaving handwoven textile on traditional loom 100 x 47cm- Photo Theodora Malamou
Maria Varela, Data Altar, 2020
data visualisation through weaving handwoven textile on traditional loom 100 x 47cm- Photo Theodora Malamou

Les quartiers présentant les caractéristiques du passé urbain et de l’usure moderne ont été principalement utilisés pour le projet. Comment le choix du quartier en question s’est-il fait?

Je suis née et je vis encore dans un des quartiers concernés. Ces vieux quartiers urbains du centre-ville d’Athènes n’ont peut-être pas la photogénicité d’une attraction touristique bien entretenue ou d’un quartier extrêmement à la mode, mais ils ont une histoire à plusieurs niveaux qui est évidente à travers une pléthore d’éléments. L’une des plus caractéristiques à mon avis est la tradition de la corde à linge. C’est un quartier avec une forte identité, à l’architecture très identifiée, mais dont l’ancien “glamour” a cédé la place à une situation multiculturelle et en constante évolution qui l’a marqué de diverses manières. Les linges étalés aux balcons véhiculent des informations importantes d’intérêt sociologique sur la situation économique et familiale des locataires, leur culture, leur relation avec l’environnement dans lequel ils vivent et leurs conditions de vie. C’est une image puissante qui peut s’infiltrer dans tous les quartiers d’Athènes, même les moins attendus. 

Cette tradition a attiré l’attention de la police au début des années 1930. C’était une période où une longue série de mesures étaient prises pour protéger l’image de la ville de toutes les formes de “pollution visuelle”, principalement à des fins touristiques. Entre autres, un arrêté de police interdisait expressément aux résidents d’étaler des vêtements sur les balcons et les fenêtres qui donnaient sur les rues. Naturellement, un tel arrangement a fait sensation et a provoqué de fortes réactions dans les petits quartiers de la ville. Pendant les dernières années, on remarque que cette loi n’a jamais été appliquée à cause des changements successifs que ces quartiers ont subis. L’essor bourgeois des banlieues du nord et du sud a eu comme résultat l’abandon de vieux quartiers néoclassiques du centre-ville et l’installation des résidents des couches économiques inférieures et des immigrés. Ces quartiers bien qu’ils fassent essentiellement partie du centre-ville, restent isolés et classés sous les signes spécifiques de ghetto. Notre projet s’intéresse à présenter leur image normale, telle que je la vis moi aussi tous les jours, sans tendances de dénonciation ou d’embellissement. En tant que résidente, je souhaite depuis longtemps rendre hommage à mon quartier et à la zone plus large où je partage ma vie quotidienne. Malgré les dénigrements dont il a été victime, ce coin de la ville reste l’un des quartiers les plus animés et les plus intéressants du pays. Il nous permet d’explorer l’anthropogéographie d’une zone urbaine multiculturelle et pleine de contrastes. Dans une zone délaissée, un projet artistique n’est pas acquis et il faut du temps pour gagner la confiance et faire comprendre les bonnes intentions qui ne sont en aucun cas de transformer les habitants et leurs maisons en attractions.

Comment la première phase de la recherche s’est-elle développée ? Il est particulièrement intéressant qu’ il y ait aussi finalement des photos d’autres quartiers éloignés et même de la province. 

Le plus drôle paradoxe c’est qu’il n’y avait jamais eu d’appel à envoyer des photos, mais presque dès le début, la page du projet a commencé à recevoir de nombreux messages d’individus qui envoyaient des photos avec du linge étalé aux balcons dans leur région. Au fil du temps, comme la participation devenait de plus en plus intense, j’ai décidé de mettre en place une journée consacrée uniquement au partage des photos des amis de la page (Bougada Sunday Guest). Ces photos sont d’un grand intérêt, d’une part parce qu’elles proviennent de nombreux endroits différents – certains même complètement inattendus comme par exemple les prises de vue de banlieues plus aisées – mais aussi parce qu’elles prouvent à quel point cette question touche finalement. 

Irini Bachlitzanaki 
Parasol, 2020,
Madeira thread on cotton 
500 x 300 cm  _ Photo Theodora Malamou
Irini Bachlitzanaki Parasol, 2020
Madeira thread on cotton 500 x 300 cm _ Photo Theodora Malamou
Irini Bachlitzanaki 
Parasol, 2020,
Madeira thread on cotton 
500 x 300 cm _ Photo Theodora Malamou
Irini Bachlitzanaki Parasol, 2020
Madeira thread on cotton 500 x 300 cm _ Photo Theodora Malamou

Dans la deuxième étape du projet ont participé 9 artistes contemporains. Comment est née cette collaboration? 

Les artistes participants ont créé des œuvres sur tissu avec diverses techniques (broderie, tissage, sérigraphie, peinture, etc.) qui ont été ensuite photographiées sur les terrasses et les balcons des voisins, sous forme d’étendage de vêtements. Irini Bahlitzanaki (Parasol, 2020) met en question la relation entre l’objet et son image. Elle propose une impressionnante broderie représentant un parapluie à grand format accrochée au fer de la tente au sixième étage d’un immeuble. Maria Varela (Data Altar, 2020) de son côté, a travaillé un textile artisanal qui présente l’enregistrement journalier de données personnelles sous forme d’un rythme binaire. Marilia Kolimbiri (Body towel, 2020) a utilisé un objet quotidien, la serviette, pour commenter la recherche de l’identité de la société bourgeoise. Son style relevant de l’art brut entre dans un contraste intéressant avec la maison néoclassique qui l’a hébergée. Marina Velissioti (These boobs are made for watching, 2020) crée des images surréalistes de mondes sexuels étranges et menaçants. Une grande broderie de The Callas (In lust we trust,2020), où la culture pop rencontre l’art populaire grec, a été étalée sur le balcon de l’un des bâtiments les plus impressionnants du bâtiment qui se trouve au-dessus d’un restaurant afghan. Brodée était aussi la phrase confessionnelle de Sofia Kouloukouri (B-sides, 2017) qui a été installée sur un balcon du rez-de-chaussée, encadrée de feuilles imprimées. Eleanor Lines (Aegis, 2020), une artiste anglaise vivant à Athènes ces dernières années, a créé une grande sérigraphie spécialement pour le projet, à partir de dessins qu’elle a vus sur de vieilles portes en fer dans le quartier de Kypseli. Le résultat final, encadré par les auvents bleus de l’immeuble où il a été photographié, était impressionnant. Iris Plaitaki (Kodrou as Haori Jacket, 2016) a réalisé un manteau japonais avec un motif influencé par l’architecture athénienne des années 30. Enfin, concernant ma propre œuvre (City Flag, 2020) il s’agit d’ une bannière cousue avec des peintures dédiées avec humour au paysage urbain dominant. La photographie est prise juste à côté de de ma maison, dans une rue principale du quartier où les petites boutiques de style Pakistanais, Bangladeshis et Afghans sont des éléments caractéristiques de celui-ci. 

Le projet a été présenté en ligne. On peut attendre de le voir également dans un espace d’exposition? 

On pourrait dire qu’on a fait plutôt une exposition informelle. Les œuvres ont été progressivement présentées chaque semaine sur nos pages Facebook et Instagram. Le projet a été conçu dès le départ pour être présenté sous cette forme pour de nombreuses raisons; d’abord financières, nous sommes complètement indépendants, sans aucun soutien financier, et puis pratiques, la crise sanitaire ne permet depuis l’année dernière aucune autre forme. Le prochain objectif est d’imprimer un catalogue et organiser une présentation de notre recherche. L’idéal pour nous, serait d’avoir ce temps-là l’occasion d’exposer aussi les œuvres sous forme physique. 

Le projet est disponible en ligne sur : 
Facebook: Athenslaundry_bougada et Instagram: @athenslaundry_bougada

Eleanor Lines
Aegis, 2020
Silk screen print on fabric 
245x160 cm - Photo Theodora Malamou
Eleanor Lines, Aegis, 2020
Silk screen print on fabric 245×160 cm – Photo Theodora Malamou
Eleanor Lines
, Aegis, 2020
Silk screen print on fabric 
245x160 cm - Photo Theodora Malamou
Eleanor Lines, Aegis, 2020
Silk screen print on fabric 245×160 cm – Photo Theodora Malamou
Marina Velisioti 
These boobs are made for watching, 2020
Hand woven tapestry 
Acrylic and wool 
90x80cm - Photo Theodora Malamou
Marina Velisioti These boobs are made for watching, 2020
Hand woven tapestry Acrylic and wool 90x80cm – Photo Theodora Malamou
Marina Velisioti 
These boobs are made for watching, 2020
Hand woven tapestry 
Acrylic and wool 
90x80cm - Photo Theodora Malamou
Marina Velisioti These boobs are made for watching, 2020
Hand woven tapestry Acrylic and wool 90x80cm – Photo Theodora Malamou
Marilia Kolibiri, 
Body towel, 2020,
oil and oil stick on towel 
135 x 70cm   - Photo Theodora Malamou
Marilia Kolibiri, Body towel, 2020
oil and oil stick on towel 135 x 70cm – Photo Theodora Malamou
Sofia Kouloukouri
, B-sides, 2017 
Embroidery, silk fringe  150x80cm - Photo Theodora Malamou
Sofia Kouloukouri, B-sides, 2017
Embroidery, silk fringe 150x80cm – Photo Theodora Malamou
Iris Plaitakis, 
Kodrou as Haori Jacket, 2016
Screen-printed cotton and found fabric lining 120x100cm - Photo Theodora Malamou
Iris Plaitakis, Kodrou as Haori Jacket, 2016
Screen-printed cotton and found fabric lining 120x100cm – Photo Theodora Malamou
Iris Plaitakis, 
Kodrou as Haori Jacket, 2016
Screen-printed cotton and found fabric lining 120x100cm - Photo Theodora Malamou
Iris Plaitakis, Kodrou as Haori Jacket, 2016
Screen-printed cotton and found fabric lining 120x100cm – Photo Theodora Malamou
The Callas
, In lust we trust
 Embroidery / Κέντημα
 2x2m - Photo Theodora Malamou
The Callas, In lust we trust
Embroidery / Κέντημα 2x2m – Photo Theodora Malamou
The Callas
, In lust we trust
 Embroidery / Κέντημα
 2x2m - Photo Theodora Malamou
The Callas, In lust we trust
Embroidery / Κέντημα 2x2m – Photo Theodora Malamou