Lionel Sabatté, Petite cosmogonie des profondeurs

Lionel Sabatté, Petite cosmogonie des profondeurs

Lionel Sabatté, Infusion d’une révérence, Huile sur toile et acrylique, 195 x 130 cm, 2015

FOCUS / Lionel Sabatté, Petite cosmogonie des profondeurs
par LT

Formé à la peinture aux Beaux-Arts de Paris, Lionel Sabatté n’a eu de cesse depuis son diplôme en 2003 de renouveler sa pratique de ce médium. Également dessinateur et sculpteur, ses toiles peintes à l’huile et à l’acrylique ouvrent un dialogue avec les autres médiums au sein desquels l’univers propre à l’artiste déploie toute sa richesse.

À la manière d’une infusion, l’existence est cette substance qui, plongée dans l’eau, l’imprègne à force de pénétration de la matière dans le liquide (et vice versa) de tous les mystères qu’elle renferme. Infusion d’une révérence devient l’écrin aqueux dans lequel se dessine un paysage abyssal, mystique et proche d’une esthétique du chaos. Sur fond ténébreux uniforme, l’artiste travaille une matière qui se développe comme une excroissance sur la toile. Ce précipité organique prend les formes de créatures marines qui émergeraient du grouillement des profondeurs. Certains morceaux s’extraient de la planéité de la toile par proéminence, à l’instar de coques recouvertes de résidus marins. Si les formes peuvent nous évoquer une faune et une flore marine qui nous est familière (poissons, méduses, algues), l’interprétation de l’oeuvre laisse libre court à l’imaginaire en ce qu’elle n’exclue pas la possibilité de voir émerger des créatures hybrides, inquiétantes et vaporeuses comme des ombres. On plonge dans la toile comme dans des eaux dangereuses, dans lesquelles des corps mouvant s’adonnent en parfaite autonomie à un développement et une transformation de leur être de manière totalement inextinguible. C’est toute la fureur et l’incommensurabilité de la nature qui est ainsi représentée.

L’apparente pesanteur de la matière organique nous renvoie à « toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre » [1]. À la manière d’une galaxie, le fond noir de la toile abrite en son sein un éclatement de formes, de couleurs, comme des astres sur fond de ciel. L’oeuvre se fait symbole de vie physique et spirituelle. Le mystère des profondeurs fait écho à celui du cosmos qui, tout comme l’eau, recèle de zones inaccessibles et inexplorées, symboles de notre inconscient.

Les jeux de matières permettent, à travers cette oeuvre, de nous révéler l’incroyable diversité des êtres vivants et des infinités de connexions qui les relient. La vie doit ses origines à l’eau, qui pourtant dans sa forme la plus dévastatrice la renverse, la recouvre, la noie. Ces forces contraires constituent la dualité propre à cette substance qui porte en elle toute une réflexion sur le temps qui passe, la vie (naissance et mort) et son caractère insaisissable. La toile renferme à la fois les secrets de la création de l’univers et ainsi, de la vie elle-même.

[1] Victor Hugo, Les Contemplations (préface).

LT, octobre 2018

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