MICHEL THAMIN, GRANITE & CIE

MICHEL THAMIN, GRANITE & CIE

Michel Thamin, Ramasser-Restituer, galet Trez Goarem 2014

PORTRAIT D’ARTISTE / Michel Thamin, Granite & cie

La main la pierre l’énigme

par Gilles Plazy

Affronter la pierre, l’éveiller, ellequi fut dans la carrière masse informe en son extension puis extraite taillée en blocs. L’affronter pour qu’elle livre son secret, l’être en elle qui dort. Tantôt la caresse tantôt le heurt qui la brise, l’outil qui la taille, la fend, l’éclate.

La pierre, c’est tout un monde de formes, matières, couleurs. Carrières au jour ou filons enfouis, pierres de masse en abondance pour l’utile ordinaire, l’orgueil architectural ou le brillant de la séduction et pierres qu’on dit précieuses,rares, séductrices fascinantes. Pierres toujours à tailler dans l’immense ou le minime parce que dans l’attente d’une forme (et l’art ici dit son mot: sculpture ou bijou).

Hors l’utile qui la saisit, contraint, l’aime forte, solide au temps, à l’usure, à l’attaque pour bâtir murs, sols, pavements, l’homme joueur l’accueille pour son grain, sa couleur, ses couleurs, nuances, reflets; lui donne une autre vie, la fait parler, chanter dans le temps auquel elle fait la nique.

Histoire longue diverse de la sculpture de pierre pour le culte des dieux et des rois, l’invocation magique (objet transitionnel, dirait-on, en lequel se place un dialogue d’homme à roi, d’homme à dieu, d’homme à homme); histoire encore en ce siècle vingt-et-unième riche de tant de patrimoines, mais ouvert encore à l’aventure de la pierre, la pierre qui ne cesse de tendre à la vie nouvelle de l’art toujours en avancée comme une main se tend vers l’objet encore inconnu.

Ici l’art du sculpteur mène plus loin, ailleurs, le jeu de la pierre.

Ici Michel Thamin vit avec la pierre une histoire singulière, la sienne, unique, sur le fil d’une œuvre pour laquelle violence est amour, violence de la main outillée qui scie, taille, coupe, perce inscrit, effeuille, oui, effeuille pour qu’apparaisse la sculpture.

Dialogue, échange, étreinte presque puisque c’est duo en lequel l’un et l’autre sont maîtres.

Classique autant qu’archaïque il dresse des colonnes minces, d’une certaine austérité, jadis marquées d’une figure esquissée comme il en fut en d’autres temps, puis piliers scarifiés en énigmatique invocation, tout de granit dressés (granit, roche plutonique, dit-on, fille d’éruption non volcanique, magmatique à texture grenue).

Totems sans figure, grandes stèles élancées en rigueur et dialogue du brut et du poli, élévation, signe d’homme vers la hauteur sans nom qui est déni de la pesanteur première. Statuaire noblement érigée en quête d’une part d’éternité, dont une empreinte parfois se pose comme effacement de la matière, dessin en feuille tombée sur le fil du temps.

A ras de sol, au contraire, la sculpture se contracte en cubes (boîtes ?) fendus, discrets, Lithoglyphes qui donnent à voir leur intime creusé à qui les ouvre, petits cairns, hiéroglyphes d’un monde inconnu dus à la main d’un scribe en agression mesurée, signes à découvrir tels ceux, néolithiques, des rocs enfouis en lesquels des hommes marquèrent leur présence (et voici que le cube se lève en un rêve de pilier).

Oui, ici la sculpture est présence d’un autre temps, archaïsme durable, porteuse de signes d’un mystère delphique à jamais irradiant (nous sommes vivants de nos passés lointains : l’“esprit des morts veille”, disait Paul Gauguin).

Ouverts aussi sont les galets cueillis sur le rivage breton, puis dans l’atelier partagés et signés, gravés, sculptés de glyphes avant d’être refermés, liés d’un cordon végétal, puis déposés là même d’où ils furent pris, sculptures anonymes rendues au sable, l’estran, la mer; un jour peut-être par quelque amateur surpris, convoitées, emportées, respectées en leur mystère même.

Cueillir, transformer, puis restituer : l’artiste en land art est officiant d’un rite nouveau dans la nature et de l’œuvre donnée à l’anonymat il ne garde qu’une image.

Nostalgie de l’homme pour l’élémentaire de ses origines de mer et de terre, là où le ciel clair ou ennuagé les double de son imposante grandeur.

Dans l’atelier, la maison même, n’ayant d’outils qu’encre et papier, Michel Thamin dessine. Dessins en échos de sculptures ici concises en leur idée comme images-plans de demeures énigmatiques, intérieurs de mégalithes tel quelque Gavrinis ou temples en lesquels se jouent des noirs qu’affronte le blanc. S’y opposent des rigueurs de carrés et de plans ouverts aux bords imprécis et que toujours coupe un tracé crayonné, qu’on peut voir comme chemin de traverse ou projection d’une échelle infinie.

Ici la main légère mais fidèle au filage de signes tels qu’en gravure, entaille, incision. Traçage sans fin d’un support à l’autre, pierre ou papier, mais s’en tenant à la forme, la forme à laquelle toujours se tenir, s’induire malgré toute contingence, la forme que rien jamais ne clôt, seul amer quoique énigme à viser en combat contre la menaçante dilution de l’être.

Le sculpteur donne forme à la pierre, se donne forme dans la pierre. Le sculpteur, même en son effraction, révère la pierre, se donne à la pierre. Michel Thamin, lui faisant signes à l’intérieur, moins la signe que l’habite. La pierre, ainsi multipliée par l’acte artistique (son œuvre), est sa demeure.

Gilles Plazy

MICHEL THAMIN -BIOGRAPHIE
Michel Thamin est né en 1946 à Paris
Artiste autodidacte
Il vit et travaille en Bretagne.
http://thamin.eu

Michel Thamin Lithoglyphes - L179, L187, L188, 2019
Michel Thamin, Lithoglyphes – L179, L187, L188, 2019 (photo 2020)
Michel Thamin Lithoglyphe L139 fermé 2013
Michel Thamin, Lithoglyphe L139, fermé, 2013
Michel Thamin Lithoglyphe L139 ouvert 2013
Michel Thamin, Lithoglyphe L139 ouvert, 2013
Michel Thamin Cellules - dessin acrylique et graphite 3H 2020
Michel Thamin Cellules – dessin acrylique et graphite 3H 2020
Michel Thamin Cellule C177- dessin acrylique et graphite 3H 2019.
Michel Thamin, Cellule C177– dessin acrylique et graphite 3H 2019.
Michel Thamin Cellule C171 - dessin acrylique et graphite 3H 2019
Michel Thamin, Cellule C171 – dessin acrylique et graphite 3H 2019
Michel Thamin Lithoglyphes, Monotypes & Installation -6000 ans
Michel Thamin, Lithoglyphes, Monotypes & Installation -6000 ans