Format à l’italienne XIII -L’Altra Roma

Format à l’italienne XIII -L’Altra Roma

© Thomas Los Presti DICOM – Ville de Lille

EN DIRECT / Exposition Format à l’italienne XIII – L’Altra Roma
Exposition des lauréats du Prix Wicar – Résidence de création de la Ville de Lille à Rome
Jusqu’au 19 mars 2023, Espace Le Carré, Lille

Commissaire : Marion Zilio

Artistes : Jezy Knez, Yosra Mojtahedi, Anne-Émilie Philippe

L’ALTRA ROMA

Tout le monde connaît la légende fratricide, à l’origine de Rome, de Remus et Romulus élevés par une louve. Mais une autre histoire, non gravée dans le marbre, s’est transmise par des voix anonymes. Pour cette XIIIe édition de Format à l’Italienne à l’Espace Le Carré, les artistes revisitent L’Altra Roma, cité oubliée et pourtant admirée dans le monde entier. Soucieuse de ne pas impacter la terre ni imposer la tyrannie de sa supériorité, L’Altra Roma prônait un rapport plus léger à la surface du monde, ses constructions étaient en bois, non par faiblesse mais par choix, son organisation non patriarcale, ni même fondée sur l’esclavage ou la mise au banc des femmes. Dans la Rome de jadis, l’on célébrait le flux sur le figé, le devenir sur l’être, la fiction sur l’archive…

On raconte que dans la cosmogonie de L’Altra Roma, la population avait conscience de vivre sur le dos d’un immense animal, tels des oiseaux sur la croupe d’un rhinocéros. Pour préserver cet équilibre fragile, une relation d’hôte à hôte réglait les dispositions quotidiennes dans un carnaval de formes politiques.

Les maisons en bois étaient perçues comme les appendices d’un organisme qui dérivait dans la matière noire d’un cosmos mystérieux et infini. Souvent défaites et recyclées, les constructions évoluaient au fil du temps et se déplaçaient selon les besoins ou pour que « la peau du monde », ainsi que l’on l’appelait, puisse respirer et se régénérer. La topographie de la ville est restée un modèle copié dans de nombreuses régions du monde, mais les générations qui suivirent perdirent la volupté et le nomadisme qui en faisait son originalité. Dans L’Altra Roma, on se jouait des appareils d’état. Aussi mettait-on en scène des utopies impossibles pour que jamais ne s’impose l’idée de produire une forme définitive se muant en totalitarisme.

Le duo d’artistes Jezy Knez a tenté d’en raviver les configurations bureaucratiques intempestives, à travers de subtils sabotages qui toujours travaillent contre les systèmes autoritaires et déplient les possibles. Au centre de la ville carrée, on élevait des fontaines de jouissance pour rappeler à la population le cycle permanent de la vie et de la mort, où tout s’altère et s’interpénètre pour devenir l’autre. Tels une semence fertilisante, le lait de la louve ou des fluides organiques, le liquide sacré coule sur le corps de la sculpture mi-fontaine mi-femme, dont Yosra Mojtahedi a cherché à retranscrire la sensualité machinique et la vitalité hybride. Des fresques érotiques ornaient également les murs de la cité pour témoigner de désirs qu’il aurait été inopportun de réprimer, au risque de condamner les hommes et les femmes à d’insupportables querelles intestines. Là-bas, le temps n’existait pas, du moins pas dans le sens que nous en avons aujourd’hui. Celui-ci se chargeait et se déchargeait de récits et d’anecdotes qu’il accompagnait, et l’épaississait en retour. De sorte que les évènements tissaient d’étranges cartographies sensibles auxquelles l’on se rapportait pour désigner une période ou un lieu. L’archive était une mémoire imparfaite, où l’on vagabondait de signe en signe, comme Anne-Émilie Philippe déambula dans les ruines de la Rome actuelle pour recouvrer les traces des femmes effacées. Ce sont des odeurs et des sensations diffuses, au milieu de la brume des souvenirs, qui la mirent sur la piste. De cette histoire, on ne sait si elle a jamais existé. Mais des légendes comme celle de Lei nella nebbia (Elle dans le brouillard) ou des médaillons retrouvés dans d’étranges circonstances semblent conter le récit de cette civilisation oubliée.

Marion Zilio