SOPHIE KERAUDREN-HARTENBERGER

SOPHIE KERAUDREN-HARTENBERGER

Sophie Keraudren-Hartenberger, Glowing, 2020
“Glowing” est un ready-made composé d’un fragment de verre souffle en verre ouraline datant du début du XXe siècle provenant de Montceau-les Mines, ancienne ville minière du bassin minier de Saône et Loire.

ENTRETIEN / Sophie Keraudren-Hartenberger – Festival Électropixel 10.1 – 2020 par Apo33

Entretien en lien avec l’exposition collective organisée par l’association Apo33, avec le soutien du DICREAM-CNC Paris et de la ville de Nantes, L’ÉPREUVE DU TEMPS SAUVAGE jusqu’au 31 octobre 2020 à la plateforme Intermedia, Boulevard Léon Bureau à Nantes. 

« Je cherche à développer des procédés qui interrogent le monde en y prélevant des fragments »

De quelle manière la thématique « L’épreuve du temps sauvage » a t-elle influencée votre installation ? Et comment la comprenez-vous ?

Cette thématique résonne selon moi comme un écho à la notion bergsonnienne du temps et de la matière. Le temps apparaît comme le flux continu, devenir irréversible, spontané, imprévisible et créatif. Il est l’élan vital qui s’échappe à la vision scientifique visant à une connaissance de la nature et des phénomènes. Dans son évolution créatrice, ouvrage de 1907, Bergson développe l’idée d’une « création permanente de nouveauté » par la nature. Ainsi le monde suit l’évolution de cette force vitale, « s’inventant sans cesse », il insuffle la vie à la matière. La perception est une action non agie, elle est l’action suspendue qui consiste à contempler un objet, à explorer l’espace. Elle est aussi la vision des choses, un contact avec la matière. 

Face au monde matériel il y a deux alternatives, agir ou percevoir, dans cette installation j’ai choisi de focaliser l’attention sur une image, celle de la radioactivité et de son phénomène de luminescence verte qui lui est directement associée. 

Isolé, le fragment en verre d’ouraline devient le sujet contemplatif, vanité contemporaine mettant en lumière une réminiscence, la révélation du phénomène physique considéré comme « la plus révolutionnaire des découvertes scientifiques des années 1895 à 1905 ». 

La récente crise sanitaire a-t-elle influencée la manière dont tu conçois une installation artistique ? 

L’installation présentée entre en résonance avec les crises actuelles. En faisant référence au phénomène de la radioactivité le titre fait également référence aux peurs entretenues de l’uranium, minerai à la réputation « maléfique » associé aux premières bombes atomiques. En dépit des craintes, l’uranium présente peu de risque du fait de sa radioactivité particulièrement faible. La lueur verte qui émane du fragment offre également de multiples échappées poétiques, symbole de hautes énergies.

Proposer une œuvre “silencieuse” au sein d’une exposition collective en grand majorité orientée “art sonore”, est-ce un choix justement sonore? Conscient? Doit on comprendre l’œuvre comme une prise de position en lien avec la thématique du festival (comme un retour aux matières minérales, organiques, en réponse au numérique) ?

Cette installation veut rendre sensible et perceptible par la lumière et la matière un état de l’énergie immatérielle. L’installation présente à la vue ce que l’exposition collective présente de manière audible. En isolant le fragment en verre d’ouraline la trame qui varie de la transparence à l’opacité appelle plusieurs sortes de regards portés sur la proximité. La lumière ici contrôlée donne une intensité, une chaleur, une couleur et des limites à la matière.

Quel est ton rapport à la pratique du “ready made » ?

L’installation s’illustre en effet par un rapport d’objet emprunté à un domaine hétérogène, regroupé sous le régime d’une question unique éclairant un aspect de la complexité du phénomène physique, la radioactivité.

La pratique du readymade partage cet intérêt à réfléchir aux relations entre le réel et l’art pour faire entrer l’un dans l’autre. En modifiant la perception par des procédés de défonctionnalisation et un changement d’échelle, le readymade offre un parfait exemple de ce que le recul peut dépendre non pas de la modification des matériaux, mais du regard, la différence radicale concerne alors le changement de perspective.

Dans mon travail je cherche à développer des procédés qui interrogent le monde en y prélevant des fragments, qu’ils soient captés, extraits du quotidien, images, ou objets, ils constituent des démarches de création autour d’un intérêt similaire pour le réel et utilisent le potentiel de la vie comme source de matière première pour composer des œuvres. Ici, la mise en lumière du fragment de matière flottant dans l’espace indéfini offre de nouvelles façons de percevoir le phénomène de la radioactivité.

SOPHIE KERAUDREN-HARTENBERGER – BIOGRAPHIE
Sophie Keraudren-Hartenberger est née en 1990.
Vit et travaille à Nantes, Bordeaux et Saint-Nazaire
http://sophiekeraudren.com

Sophie Keraudren-Hartenberger, Glowing, 2020
Sophie Keraudren-Hartenberger, Glowing, 2020