LA VAGUE BLANCHE : 20 ANS D’ART CONTEMPORAIN MAROCAIN

LA VAGUE BLANCHE : 20 ANS D’ART CONTEMPORAIN MAROCAIN

Vue de l’exposition La Vague Blanche : Installation Rendition/Infernus, 2019, Mohamed Thara – Bones of fury 2020, Max Boufathal

EN DIRECT / La Vague Blanche : 20 ans d’art contemporain marocain, galerie 38, Casablanca jusqu’au 08 novembre 2020.

par Mohamed Thara, commissaire de l’exposition

La Vague Blanche est un projet d’exposition et de rencontre entre une « nouvelle scène » d’artistes marocains, des chercheurs universitaires et des critiques d’art concernés par la question de l’art contemporain au Maroc aujourd’hui. Avec La Vague Blanche, La galerie 38 tente un mini bilan à travers l’œuvre de divers artistes comme : Mounir Fatmi, Youssef Ouchra, Mustapha Azeroual, Hicham Matini, Max Boufathal, Randa Maroufi, Amine El Gotaibi, M’barek Bouhchichi, Randa Maroufi, Hicham Berrada, Nissrine Seffar, Amina Benbouchta, Mohamed El Baz… L’exposition tente de tisser des liens entre une scène émergente et des pratiques établies. Une série d’articles aborde le sujet avec autant de diversité qu’il y a d’œuvres, avec l’édition d’un livre à partir d’un corpus d’œuvres qui va de l’an 2000 à 2020. Il nous permet de réaliser toute l’importance et l’envergure de la question chez toute une génération d’artistes qui livre ici son regard sur les expériences historiques communes, particulièrement marquantes dont les artistes ont tiré une vision partagée du monde. Y a-t-il un art marocain, ou seulement un art au Maroc ? La diversité du matériau fournira moins une réponse qu’elle ne documentera la question.

L’expression La Vague Blanche est utilisée pour décrire la nouvelle génération d’artistes contemporains marocains qui a émergé au début des années 2000. Échappant à l’ordre attendu, ces jeunes artistes anticonformistes vont bousculer la scène artistique au Maroc et permettre ainsi à une conception nouvelle de l’art contemporain d’émerger en créant des récits contemporains en rupture avec les pratiques artistiques du modernisme d’après-guerre. Ils ont en général une trentaine d’années et, pour la plupart, ont suivi des études à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan et, par la suite, dans les meilleures écoles d’art en Occident, bénéficiant ainsi de ce qui se fait de mieux sur la scène internationale. Ceux que nous appelons La génération de l’espoir de l’ère actuelle, qualifiée de « postmoderne ».

À l’aube du XXIème siècle, nous constatons qu’il s’agit d’un phénomène nouveau. Avec l’apparition croissante dans les biennales et les foires internationales européennes et américaines d’artistes de cultures dites « non occidentales », nous pensons que cela a bénéficié aux artistes marocains nationaux et ceux de la diaspora. Nous constatons aussi que la production marocaine n’est plus un phénomène marginal sur la scène artistiques internationale. À travers l’exposition La Vague Blanche, des productions spécifiques seront proposées, en accord avec le « contexte national » et les évolutions globales du monde économique et social. On y trouve des réalisations signées Mounir Fatmi, Youssef Ouchra, Mohamed El Baz, Mustapha Azeroual, Hicham Matini, Max Boufathal, Amine El Gotaibi, M’barek Bouhchichi, Hicham Berrada, Nissrine Seffar, Amina Benbouchta… Tous appartiennent à une nouvelle scène artistique marocaine émergente, une « nouvelle vague » extrêmement prometteuse, dynamique et affûtée politiquement.  

Au premier regard, ce sont des recoupements d’œuvres extatiques, de pratiques personnelles, et de discours différents au détour de plusieurs références qui s’articulent autour de l’histoire, de l’autobiographie, de la mémoire et de la politique. À ce titre, les œuvres présentées cristallisent le caractère à la fois provisoire et singulier de notre rapport au monde, rapport précisément restitué au dépend des effets de masse. Car chacune de ces représentations singulières amorce une nouvelle visibilité du monde, qui prend désormais l’humain comme mesure indivisible, sensible et nécessaire. L’exposition met l’accent sur des images d’une pensée mouvante, leur surface est en fait animée de mille reliefs. Elle rassemble des œuvres troublantes d’un intérêt remarquable, qu’elles soient considérées de manière autonome ou dans leurs relations avec l’art au Maroc aujourd’hui. Pour cette exposition disons que la motivation initiale était d’essayer de cerner, par l’art, certains aspects esthétiques et formels de l’art actuel au Maroc, dans ce moment spécifique de son histoire. 

Sans doute, ne s’agit-il pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces et des symboles qui forment le récit de notre héritage culturel de demain. L’exposition « La Vague Blanche » pose plusieurs questions : « Qu’avons-nous ? » ; « Que veut vraiment dire être un artiste contemporain marocain aujourd’hui ? » ; « Comment peut-on produire du sens et de la singularité, et donc de l’art ? ».

Une série d’écrits abordera le sujet avec autant de diversité qu’il y a d’œuvres, avec l’édition d’un livre/catalogue qui nous permettra de réaliser toute l’importance et l’envergure de la question. Il sera nécessaire de se pencher plus spécifiquement sur cette idée de « nouvelle vague » et de l’aborder encore et encore avec des chercheurs et critiques d’art particulièrement concernés par cette question et à travers l’œuvre de divers artistes. Nous avons aujourd’hui à penser cette « nouvelle scène » comme communauté, comme totalité et non comme un mouvement. La communauté naît, existe, dans son articulation même, de personne à personne, d’être à être, dans tout ce qui constitue le monde vivant. Nous avons à penser ce qu’est (ou pourra être) cette communauté en devenir et à venir. L’art, en ce sens, est un mode de pensée qui s’inscrit au cœur de la communauté, entre le singulier et le pluriel, mode de partage qui s’avère être un mode de pensée. Telle est la tâche de La Vague Blanche : voir et penser, au-delà de nous-mêmes, en partage avec le monde qui nous habite et que nous habitons. 

La manifestation essaiera de dégager des ordres intérieurs, des connexions multiples entre les œuvres et les parties hétéroclites et fragmentaires, avec un projet esthétique précis, positif et dynamique. S’inscrivant dans la lignée des grandes expositions. La Vague Blanche s’attache à promouvoir les valeurs artistiques, l’esprit et l’enthousiasme défendus par toute une nouvelle génération d’artistes marocains. Une pensée esthétique de la contemporanéité, résolument tournée vers la pluridisciplinarité.

Il n’est pas inutile de rappeler les enjeux de cette manifestation : selon Marx, le seul élément qui permettre de définir la « nature humaine » n’est autre que le système relationnel instauré par les humains eux-mêmes, c’est-à-dire le commerce de tous les individus entre eux. En restituant l’artiste, la manifestation lui permet de retrouver une place. Face au monde dans le monde, il est prêt désormais à s’incliner hors de lui-même, prêt à constituer une zone d’échanges avec les autres. C’est à partir de là que, déterminée par le choix des œuvres et de leur installation, l’exposition se fait à son tour l’enjeu d’une expérience. Tandis que chaque artiste s’ouvre sur le monde, et qu’il en constitue une famille par multiplication des singularités, l’exposition collective devient cet espace où chacun se voit prendre part à un processus commun dépassant sa seule valeur intrinsèque. L’idée est de présenter une série d’œuvres, où chacune d’elles semble engager une correspondance tacite avec les autres, comme les maillons d’une chaîne ininterrompue aux liens implicites. Chaque œuvre de l’exposition tisse ainsi la trame d’une collection dans laquelle le spectateur marocain peut se perdre à loisir, et entamer son propre parcours, insolite, sans itinéraire recommandé, au gré des œuvres assemblées. En faisant de l’espace d’exposition celui d’une expérience sensible, l’art contemporain au Maroc trouvera alors sa véritable densité : il sera ce lieu de rencontres avec l’autre, lieu qui placera le spectateur à l’intérieur même de la sphère des œuvres, et lui fera vivre les circonstances du monde.

La manifestation La Vague Blanche prend place à la galerie 38 à Casablanca du 8 octobre au 8 novembre 2020. Dans l’espace de la galerie, il y a ainsi une interrogation à réaliser sur le passé et le devenir de l’art contemporain au Maroc. C’est dans cette nouvelle mouvance que s’inscrit l’exposition, qui intervient à point nommé pour faire état de cette nouvelle scène, et d’offrir un panorama le plus complet possible des pratiques artistiques au Maroc. Nous voulons une manifestation collective qui, telle une machine culturelle, joue un rôle dans la transformation des manières de penser et de voir des spectateurs marocains dans leur expérience de l’art. Nous invitons le public à venir chercher une nouvelle réflexion et un nouveau regard sur des œuvres singulières d’une densité incroyable, qui dialoguent entre elles, grâce à la manière dont elles sont rapprochées, dans une scénographie d’une grande sobriété. La manifestation invite des critiques et universitaires internationaux aussi bien que locaux, à tisser des liens entre une scène émergente et des pratiques établies. Elle engage le débat sur la place de l’art au Maroc et dans la construction d’une histoire de l’art d’un pays en pleine mutation. 

Mohamed Thara, commissaire de l’exposition

Les artistes de La Vague Blanche
Sanae Arraqas, Mustapha Azeroual, Mohamed El Baz, Amina Benbouchta, Hicham Benohoud, Berrada, Max Boufathal, M’barek Bouhchichi, Mounir Fatmi, Amine El Gotaibi, Omar Mahfoudi, Randa Maroufi, Fouad Maazouz, Hicham Matini, Youssef Ouchra, Nissrine Seffar, Mohamed Thara, Yassine Alaoui Yoriyas

Vue de l'exposition La Vague Blanche : 20 ans d’art contemporain marocain, galerie 38, Casablanca jusqu'au 08 novembre 2020
Vue de l’exposition La Vague Blanche : Prélévement de sol, Guernica, Espagne, 2017, Nissrine Seffar – Le jour d’aprés 2020, Mohamed Thara.
Vue de l'exposition La Vague Blanche : 20 ans d’art contemporain marocain, galerie 38, Casablanca jusqu'au 08 novembre 2020
Vue de l’exposition La Vague Blanche : Mocarabes 1 97, 2020, M’barek Bouhchichi – Petites images transparentes, 2004, Hicham Benohoud – Temps blanc, 2020, Amina Benbouchta
Vue de l'exposition La Vague Blanche : 20 ans d’art contemporain marocain, galerie 38, Casablanca jusqu'au 08 novembre 2020
Vue de l’exposition La Vague Blanche : mounir fatmi – History is not mine, 2013, installation vidéo, 5 min, couleur, stéréo
Vue de l'exposition La Vague Blanche : 20 ans d’art contemporain marocain, galerie 38, Casablanca jusqu'au 08 novembre 2020
Vue de l’exposition La Vague Blanche : Série Monade, 2020, Mustapha Azeroual – Photogrammes à la gomme bichromatée polychrome sur papier coton, tirage unique, 76 x 56 cm.
Vue de l'exposition La Vague Blanche : 20 ans d’art contemporain marocain, galerie 38, Casablanca jusqu'au 08 novembre 2020
Militaire 1 et Militaire 2, Omar Mahfoudi, 2016, acrylique sur toile, 162 x 130 cm – L’installation Origin of Trauma 2020, Mohamed Thara, 33 tirages noir et blanc sur papier photo blanc satin opaque collés sur pierres et parpaing

Les auteurs de La Vague Blanche :
Barbara Bourchenin – Professeure agrégée d’Arts Plastiques (PRAG) à l’Université de Bordeaux Montaigne, France.
Rime Fetnan – Docteure en communication, arts et spectacles, chercheure en Humanités numériques au Centre Maurice Halbwachs (CNRS), Paris, France.
Pauline Guex – Historienne de l’art et responsable du programme artistique à Photo Basel, Suisse.
Jamal Boushaba – Critique d’art et journaliste, Maroc.
Caroline Corbal – Commissaire indépendante, docteure en sciences de l’information et de la communication de l’art, artiste-chercheure et membre associé du laboratoire de recherche (MICA) de l’Université de Bordeaux Montaigne, France.
Maï-Do Hamisultane – Écrivaine et psychiatre, Paris, France.
Olivier Rachet – Critique d’art et journaliste, agrégé de lettres modernes et certifié en cinéma-audiovisuel, Rabat, Maroc.
Syham Weigant – Curatrice indépendante, Casablanca, Maroc.
Chahrazad Zahi – Curatrice indépendante et chercheure en histoire de l’art et en architecture à l’Université de Boston, États-Unis.
Commissariat d’exposition et direction de la publication : Mohamed Thara.