Pierre Molinier, « Vertigo »

Pierre Molinier, « Vertigo »

vue de l’exposition Pierre Molinier, Vertigo
Galerie Christophe Gaillard Paris.

EN DIRECT / Exposition Pierre Molinier, Vertigo, Galerie Christophe Gaillard Paris par François Salmeron

Introduit par un texte-hommage du réalisateur Gaspar Noé, dont l’univers sombre et ouvertement sexué s’est nourri des fantasmes photographiques de Pierre Molinier (1900-1967), cette exposition nous mène au cœur des pulsions de l’artiste français, dans une scénographie pourtant assez peu raccord avec l’esthétique de Molinier. Alors que ses mises en scène et ses collages s’ancrent dans les décors de la vieille bourgeoisie provinciale avec ses tapisseries florales, son mobilier poussiéreux ou ses paravents, la galerie a fait appel à Camille Morin pour dessiner un espace minimal et moderniste fait de murs noirs et de surfaces miroitantes. Ceci ne gâche néanmoins en rien la puissance des photos de Molinier et de son imaginaire débridé, qui se déploient à travers de fascinants petits formats noir et blanc. 

Car les images de Pierre Molinier, un temps affilié au surréalisme et couvé par Breton mais finalement trop sauvage pour se ranger sous une quelconque bannière, dégagent une troublante sensualité. Les corps se travestissent, se dédoublent, s’entrelacent, s’entremêlent et se font l’amour. On appréciera particulièrement la virtuosité des collages et des découpes effectués par Molinier pour apprêter et transformer son propre corps. Le photographe renoue ainsi avec le mythe de « l’androgyne initial » en se parant d’accessoires SM : guêpière, corset, gants, loup, voilette, chapeau, talons aiguilles ou godemichet, notamment avec Le Chaman, dont le braquemart dressé se découpe entre deux rideaux maintenus ouverts. Ces mises en scène reflètent donc l’exubérance de Molinier, que la morale bourgeoise, qu’il raillait tant, a souvent qualifié d’imagination perverse : « Je chante dans ma peinture ce que la société imbécile appelle mes vices et que je comprends comme mes passions », affirmait Molinier à propos de son œuvre.

En effet, les poses sont suggestives, voire provocantes, bousculant les normes de la bienséance. Les jambes, véritable fétiche de l’artiste, se déploient, se découvrent, s’écartent, découvrent des orifices, et catalysent toute l’énergie sexuelle de Molinier. Le corps, sous l’effet des nombreux travestissements, contrastes et collages qu’opère l’artiste, semble alors se transformer en un pur objet sexuel, en un mannequin, et les visages, figés sous les voiles de dentelle, les masques, les rouges à lèvres et le maquillage, devient celui d’une poupée lisse au sourire narquois. 

Les images de Molinier rendent ainsi palpable l’énergie vitale qui l’anime, et la décuple même par ce recours systématique au collage, permettant à l’imaginaire de déployer tous ses fantasmes et de sublimer la réalité des corps. Ceux-ci vont jusqu’à se changer en créatures fantastiques et mythologiques : araignées, hydres, vampires, mantes religieuses, méduses, dans des poses symétriques savamment construites, évoquant les chorégraphies des cabarets ou des danseuses de revue, avec leurs longues jambes, encore, qui se démultiplient à l’infini, comme dans un jeu de miroir. 

Aujourd’hui, l’art de Molinier demeure étonnamment puissant, provocant et passionné eu égard aux idéologies réactionnaires qui ne cessent de gagner du terrain dans nos sociétés. Face à la morale religieuse et aux puritains de tout bord, aux normes convenues, aux idéologies castratrices et frileuses, nous brandissons donc cet adage prononcé par Pierre Molinier de son vivant : « Notre mission sur Terre est de transformer le monde en un immense bordel. » Dont acte.

Texte François Salmeron © 2018 Point contemporain

Pierre Molinier, Les Hanel 1 - Collage original 1969. Collage de tirages argentiques réhaussées au crayon, 21x29,7 cm. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Les Hanel 1 – Collage original 1969. Collage de tirages argentiques réhaussées au crayon, 21×29,7 cm. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Grande mêlée - photomontage 1968. Tirage argentique d'époque sur Agfa doux, 23x27cm. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Grande mêlée – photomontage 1968. Tirage argentique d’époque sur Agfa doux, 23x27cm. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Le Chaman, 1968. Chaman et ses créatures tirage argentique d'époque, 17,4x12cm. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Le Chaman, 1968. Chaman et ses créatures tirage argentique d’époque, 17,4x12cm. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Le Double, 1966. Tirage argentique, 21,1x12,2. Courtesy Galerie Christophe Gaillard
Pierre Molinier, Le Double, 1966. Tirage argentique, 21,1×12,2. Courtesy Galerie Christophe Gaillard