Thibaud Croisy, Témoignage d’un homme qui n’avait pas envie d’en castrer un autre

Thibaud Croisy, Témoignage d’un homme qui n’avait pas envie d’en castrer un autre

Témoignage d’un homme qui n’avait pas envie d’en castrer un autre. Crédit Thibaud Croisy.

Les qualités d’écoute de Thibaud Croisy : pour un nouvel art du spectateur

Invité du cycle Poésie-Plateforme de la Fondation d’entreprise Ricard, Thibaud Croisy a parlé avec Catherine Robbe-Grillet de sa dernière pièce, Témoignage d’un homme qui ne voulait pas en castrer un autre. Une création sans acteurs qui pose la question de l’écoute.

Expérimenter la durée

Le Sado-masochisme demande du temps. Il ne s’agit pas d’un simple rapport physique, mais d’un véritable rituel, d’une expérience mentale qui s’inscrit dans la durée. C. qui pratique le SM en tant que dominateur prévient d’emblée qu’il faut plus de trois quart d’heure pour sortir tous les jouets. Resserré sur deux heures, les trois jours d’entretiens entre C. et Thibaud constituent toute la matière de cet étrange théâtre d’ombre. Le travail des lumières structure les journées, allant de la plus faible à la plus forte intensité et vice-versa. Les ombres du public peuplent cette création et traitent du fantasme à mille lieux des fétiches de cuir et de latex. Rien ici de spectaculaire, mais une ambiance feutrée qui doit beaucoup à l’organisation du plateau, à l’absence de gradin et au voile qui rabaisse la hauteur du plafond.

Tenter la voix

Sans objet, les regards des spectateurs se croisent dans un premier temps, curieux de ce qu’ils pourraient voir. C’est peu à peu sur la voix que se reporte toute l’attention, sa chaleur, le timbre et le calme des deux interlocuteurs. Le premier jour, assez cordialement, la conversation porte sur l’expérience sado-masochiste, elle-même. Comment on commence, comment on y prend goût, de quel ordre est le plaisir qu’on y éprouve. Les questions de Thibaud mettent en scène une pudique mise à nu tandis que C. répond avec une certaine pédagogie, toujours prêt à illustrer par l’exemple. Le deuxième jour, avec la présentation des instruments, des pinces-tétons à la sonde urétrale, le son prend toute sa dimension suggestive, notamment avec les bruits de chaîne. Le troisième jour a lieu le renversement des rôles, l’interrogé mène son propre interrogatoire et pousse Thibaud à expérimenter.

Essayer l’abandon

Les yeux bandés, Thibaud angoisse à l’idée de se laisser attacher les deux mains. Les discussions avec C. s’apparentent à une négociation permanente, je garde la main libre, mais j’accepte d’avoir un collier autour du coup. Ces émoluments peuvent prêter à rire alors que l’ambiance de la salle appelle à l’abandon en toute sécurité. Le dominateur est calme, à l’écoute, on le sait toujours proche dans cette initiation. C’est parce que l’expérience s’est construite dans la durée, que l’on peut lui faire confiance et ne pas se sentir inquiet ; puisqu’il n’est pas prêt à castrer un autre homme, à atteindre à son intégrité physique. Attendri par la texture des tapis dans lesquels on s’enfonce avec mollesse, le public s’allonge et ferme les yeux.. Il y a du jeu dans cette création, un espace de liberté mental et d’évasion. Un jeu qui tient à l’installation, à ce cadre non conventionnel ; c’est le corps du spectateur qui est au centre du dispositif, son écoute et son attention qui permettent l’abandon.

Texte Henri Guette © 2018

Témoignage d’un homme qui n’avait pas envie d’en castrer un autre

Conception : Thibaud Croisy
Collaboration artistique et montage sonore : Maya Boquet 

Diffusion sonore : Romain Vuillet 
Lumière : Philippe Gladieux
Spectacle vu à l’occasion du festival Sors de ce corps !  La Gaîté lyrique , février 2018.

 

Informations pratiques

Témoignage d’un homme… sera aussi présenté les 26 et 27 mars 2018 au TAP – Scène nationale de Poitiers,
le 8 novembre 2018 au Manège – Scène nationale de Reims et en septembre 2019 au Quai – Centre dramatique national d’Angers.

Également en tournée : La prophétie des Lilas de Thibaud Croisy, le 24 mars au Théâtre de Vanves.