Dominique Ghesquière

Dominique Ghesquière

Vue de l’exposition de Dominique Ghesquière « L’avant-monde »
La Grande Place, musée du cristal Saint-Louis

ENTRETIEN / Propos de Dominique Ghesquière recueillis par Pauline Lisowski à l’occasion de l’exposition « L’avant-monde », jusqu’au 16 septembre 2019, La Grande Place, musée du cristal Saint-Louis.

Dominique Ghesquière trouve dans les lieux où elle est invitée à exposer ou en résidence, des matériaux, des éléments naturels, qu’elle récolte et dont elle prend soin. Ils sont points de départ d’expériences d’assemblage, de savoir-faire pour révéler l’histoire des lieux, leur mémoire. « L’avant monde » termine un cycle de trois expositions « L’héritage des secrets »,imaginé par le centre d’art contemporain – la synagogue de Delme à La Grande Place, musée du cristal Saint-Louis. Cette exposition réalisée grâce au soutien de la Fondation d’entreprise Hermès l’a amenée à travailler sur l’histoire de la fabrication du cristal. Elle a abordé l’architecture de ce musée à la manière d’une archéologue, sondant les traces et faisant remonter à la surface des couches d’un ancien paysage.

Pauline Lisowski  : L’origine de cette exposition est liée à ta résidence à Lindre-Basse coordonnée par Marie Cozette, alors directrice du centre d’art contemporain – la synagogue de Delme. Quelle fut ton expérience artistique dans ce territoire ? 

Dominique Ghesquière  : J’ai passé trois mois à Lindre-Basse, en juin, juillet et août 2010, en immersion dans un territoire agricole et de nature. C’était ma toute première résidence en milieu naturel. Je me suis beaucoup promenée et l’idée m’est venue de faire entrer un champ dans l’atelier. Au départ, j’ai réalisé un essai puis, j’ai pris contact avec un agriculteur qui m’a autorisée de faire des cueillettes. J’ai ensuite complètement rempli mon atelier d’un champ de chaume. 

Avant, je travaillais sur des objets familiers qui m’entouraient en ville. Puis, au fur et à mesure de résidences souvent isolées dans de petits villages en pleine campagne, j’ai de plus en plus utilisé les matériaux naturels. 

PL  : Comment abordes-tu le travail de résidence et d’immersion dans un lieu qui t’accueille  ? 

DG  : J’arrive en résidence la tête vide, les sens ouverts et l’esprit disponible, sans projet particulier. Je commence par découvrir le lieu et ses alentours, cela me donne un maximum de liberté. Pour moi, le dépaysement est très important. Au début, je ressens l’inconfort puis ce sentiment devient favorable à la création. Il nourrit le travail. 

PL : De quelle manière les formes de la nature t’inspirent pour recomposer les lieux que tu as arpenté ?

DG : Par exemple, en me promenant au bord de la mer j’ai toujours beaucoup observé et admiré les dessins des sillons laissés par la mer sur le sable. J’ai ensuite retrouvé des dessins assez proches sur les surfaces de neige durcies et balayées par le vent en montagne. Ces dessins par les éléments me fascinent par leur légèreté, leur fragilité et leur fugacité tout en étant révélateurs d’énergies colossales. Ils sont pour moi une vraie source d’inspiration.

PL  : Quel fut ton point de départ pour aborder ce lieu d’exposition, La Grande Place, musée du cristal Saint-Louis ? 

DG  : J’ai d’abord visité la manufacture et le musée qui a été construit au sein de l’usine. Au début, je pensais travailler avec le cristal, mais cette matière trop coûteuse m’a amenée à rester ancrée dans mes matériaux habituels. J’ai réalisé alors un grand recul dans le temps en tentant de comprendre pourquoi tant de cristalleries se sont installées dans cette région. J’ai effectué un retour aux origines des composantes du cristal. J’ai découvert par exemple qu’il fallait de la chaux, autrefois fabriquée avec des cendres de fougères. J’ai pris conscience de l’importance du sable, de l’eau et du bois dans ce lieu. Des œuvres sont nées de cette enquête : des feuillages d’Iris en bois, des Coquillages en porcelaine posés sur du sable de grès, des arbres bonzaïs prélevés dans la forêt avoisinante, des traces de rides d’eau sur le sable de la fosse au milieu du musée. J’ai aussi inséré des pièces existantes qui me semblaient adaptées comme les Fougères, Rideau d’arbres, Herbes rares, Vagues ou les Feuilles.  

PL  : Ta création condense en elle le temps, celui de la nature et ton approche délicate des matières. Ici, comment abordes-tu cette notion au regard de l’environnement de la cristallerie  ? 

DG : En visitant le musée, je me suis rendu compte qu’une rivière traversait le sous-sol tout près de la fosse centrale. Cela m’a donné envie de dessiner la trace d’un passage d’eau, ces rides d’eau qui subsistent après que celle-ci se soit retirée.

J’ai cueilli des fougères à différentes saisons, des vertes, des jaunes, des rousses et de différentes tailles. Comme les Iris, elles sont représentées à différents stades de croissance et de maturité.

Le musée présente une collection de services prestigieux de verres royaux décorés de fleurs de lys, qui sont en fait des iris. J’ai voulu citer cette fleur par son feuillage, le stade précurseur.

J’ai choisi d’installer mes sculptures, les Fougères et les Iris, comme si elles poussaient àtravers les fentes du plancher. Les Iris semblent être du même bois clair que le sol de l’exposition. 

PL  : Comment as-tu sélectionné les autres œuvres en regard des créations spécifiques ? 

DG : Les autres œuvres furent réalisées à l’occasion de résidences et toujours en relation avec des lieux. Je présente Mémoire d’eauet Rideau d’arbres, créés durant ma résidence au parc culturel de Rentilly, Herbes rareset Vaguescréées pour une exposition à la Galerie des Ponchettes sur la Promenade des Anglais à Nice.  

PL  : De quelle manière cette exposition t’a-t-elle permis d’approfondir la notion de mémoire et de temps, chère à ta démarche artistique  ? 

DG  : En suggérant un paysage très ancien dans le temps, tout en haut du musée, cette exposition fait remonter à la surface des mémoires, des bouts d’histoire, des bribes d’archéologie.

PL : Tu exposes dans un musée qui témoigne d’un savoir-faire, inséré dans La Cristallerie Saint-Louis, manufacture où travaillent des artisans hautement qualifiés. Tes œuvres convoquent les notions de temps, d’un geste d’attention à ce que te permettent les matières que tu récoltes. De quelle manière, les matériaux que tu collectes te sont ressources pour aborder de nouveaux gestes ?

DG : Dans ce lieu où la matière est célébrée, une attention accrue aux matériaux m’est apparue d’autant plus nécessaire. En ramassant une poignée de sable dans le sous-sol du musée j’ai remarqué de minuscules débris de coquillages. Cela m’a donné envie de recréer ces coquillages d’autrefois.

En cueillant les fougères dans la forêt et en observant les variétés d’arbres alentour, j’ai demandé au garde-forestier de me guider vers une variété d’arbre qui soit petite et compacte pour pouvoir être vue comme de très loin. Il m’a conduite vers des endroits précis de passage d’animaux sauvages, où poussent des arbres bonzaïs. Ce sont des feuillus dont les pousses sont tellement régulièrement broutées par les chevreuils qu’ils se développent en bonzaïs, avec une taille et un feuillage miniaturisé.

PL  : Ton exposition se situe au dernier étage du musée. De quelle manière as-tu conçu l’accrochage en relation avec les pièces en cristal, collection de cette cristallerie  ? 

DG  : J’ai cherché à faire en sorte que les contraintes de l’espace d’exposition me servent plutôt que de lutter contre. Ce musée est conçu comme une longue étagère qui se déroule en pente douce enroulée au-dessus de l’ancien four, une fosse centrale qui laisse apparaître le sable de grès d’origine.

J’ai choisi de ne modifier aucun détail de l’espace pour proposer une continuité avec les étages du dessous. Le sol est en pente régulière alors que les vitrines sont horizontales à chaque étage. J’ai utilisé cette pente pour jouer avec le point de vue.

Certaines œuvres comme les Bonzaïs naturels ou les Vagues, de taille très réduite, semblent vues de très loin. Les Coquillages et les Feuilles qui demandent un rapprochement sont présentés dans les vitrines hautes. J’ai cherché à ce que le regard du visiteur passe du très proche au lointain. Les arbres bonzaïs naturels cueillis dans la forêt terminent le parcours dans les vitrines basses et paraissent soudain comme vus d’avion. 

La plupart des matériaux exposés proviennent des alentours : le sable bien sûr, les fougères, les noisetiers, les arbres bonzaï naturels, les aiguilles de pin de la forêt de St-Louis, les chaumes de Lindre-Basse… Tous les matériaux présents dans l’exposition ont un rapport plus ou moins direct avec la fabrication du cristal. 

Les coquillages évoquent une mémoire très ancienne de la présence de la mer. 

Propos de Dominique Ghesquière recueillis par Pauline Lisowski

Vue de l'exposition de Dominique Ghesquière « L’avant-monde » La Grande Place, musée du cristal Saint-Louis
Vue de l’exposition de Dominique Ghesquière « L’avant-monde »
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Infos pratiques
www.saint-louis.com/fr/musee/la-grande-place.html