OBJET PAPIER

OBJET PAPIER

OP009 PERFORMANCE, 06/2021 par various artists Format 21 x 28 cm, 104 + 48 pages, impression numérique quadri 200 exemplaires

ENTRETIEN / OBJET PAPIER label de micro-édition créé en 2016 à Montreuil composé de Morgane Bartoli, Juliette Bernachot, Ronan Deshaies et Corentin Moussard

par Alex Chevalier dans le cadre de « Entretiens sur l’édition »

Objet Papier est un label de micro-édition créé en 2016 à Montreuil composé de Morgane Bartoli, Juliette Bernachot, Ronan Deshaies et Corentin Moussard. Si Objet Papier publie des éditions de photographies, d’illustrations, des textes, ou autres expérimentations littéraires, le cœur de leur travail se trouve dans le rapport que nous entretenons avec les images et les outils numériques, dont Internet. Collectif à quatre têtes, ils-elles sont souvent rejoint-e-s par leurs ami-e-s qu’ils-elles invitent le temps d’une publication, voire d’une exposition. Cet entretien, réalisé entre septembre et octobre 2021 est l’occasion de revenir sur leur lien avec le numérique et le politique, ou encore, leur rapport à la collaboration.

Si l’entretien devait commencer avec une première question, ce serait bien celle liée à la façon dont vous définissez Objet Papier. En effet, puisque vous vous présentez comme un label de micro-édition. Lorsque l’on parcourt votre site, on note très rapidement que chaque publication a son propre numéro de référencement commençant par « op », puis son numéro. Une approche qui m’évoque la façon dont certains labels de techno (notamment), peuvent également organiser leurs projets. Pourriez-vous revenir sur cette appellation de label et nous en dire plus sur Objet Papier et son approche éditoriale ?

À l’origine d’Objet Papier, il y a en effet une large influence de la musique et de la façon dont les labels articulent leur production sous des références cataloguées. L’univers de la techno a foncièrement façonné le début de cette aventure, tout comme celui de Factory Records à partir duquel nous avons imaginé notre système de référencement. Ce label de Manchester, dont l’esthétique imaginée par Peter Saville nous a marqués, avait pour habitude de référencer chaque objet lui appartenant, et ce de manière égale et anti-hiérarchique.

C’est pour cette raison que nous avons décidé de choisir le qualificatif de « label » plutôt que celui de « maison de micro- édition ». C’est aussi une manière pour nous de témoigner de notre proximité avec la musique en tant que spectateurs (tout en étant incapable d’en produire), ainsi que notre potentielle réserve à faire totalement partie d’un monde, celui de l’édition, qui nous apparaissait plus rigide et moins démocratique.

OP007 Print-it, à la découverte d’Internet !, 03/2019 par Morgane Bartoli & Corentin Moussard Foramat A4 en kit A5 relié, 32 pages, impression maison noir seul 7 x 42 exemplaires
OP007 Print-it, à la découverte d’Internet !, 03/2019 par Morgane Bartoli & Corentin Moussard Foramat A4 en kit A5 relié, 32 pages, impression maison noir seul 7 x 42 exemplaires

C’est justement là un point que je voulais aborder avec vous, l’aspect très démocratique que prennent votre travail et vos productions. Vous faites le choix de répertorier vos publications de façon anti-hiérarchique, vous produisez des objets facilement accessibles et parfois même impliquant la participation du public (je fais référence ici à Print-It ou encore Print-It Surprise !) et pour rappel, vous êtes un collectif constitué de quatre personnes. Comment travaillez-vous ensemble ? Chacun-e à son rôle dans le projet ?

Si Objet Papier n’aborde pas la question politique de manière frontale, son fonctionnement est empreint d’idéaux en partie conscientisés que nous tachons de faire vivre au mieux. Nous empruntons par exemple au modèle anarchiste la recherche du consensus sur tous les points de décision, ainsi que l’abolition d’une chefferie, symbolique ou non. Si ces deux notions paraissent délicates à appliquer pour une partie des gens, nous tenons ici à affirmer son efficacité.

De même pour notre rapport au public que nous tentons d’aplanir chaque fois que nous en avons l’occasion, par des biais tels que la participation et l’interaction, la gratuité ou les tarifs plafonnés, le floutage des frontières entre artiste et spectateur, éditeur et consommateur.

La recherche d’horizontalité absolue n’empêche pas une spécialisation des membres du collectif, et c’est d’ailleurs de cette manière que nous travaillons. Notre articulation est à peu près calquée sur la chaîne graphique traditionnelle, de la conception à la fabrication, en passant par la gestion. Chacun de nous applique ses compétences, tout en ne s’interdisant jamais de les dépasser et en transmettant le plus possible.

Le lien entre l’immatériel, tiré d’Internet et le matériel, extrait de notre espace quotidien, est prenant dans votre production, et ce depuis les premières publications. Que ce soit en proposant des réflexions sur les outils numériques et leurs politiques de conservation des données (par exemple), en jouant des techniques de reproduction actuelles, ou encore en proposant des « éditions augmentées », où le livre est accompagné d’un site ou d’une vidéo, le numérique est très présent ! Comment approchez-vous ces différentes entrées et leurs finalités ?

La raison de notre volonté de faire communier les mondes numériques et physiques tient d’abord d’un constat simple : deux membres du collectif sont issus du monde de l’imprimerie, un autre officie dans le web et une autre travaille dans la conception visuelle multi-support. Cependant, nous n’avons mis les mots sur cette ligne éditoriale qu’a posteriori, en analysant après-coup nos premières productions. À dire vrai, travailler pour le rapprochement entre ces deux mondes nous paraît être le propos le plus adapté à nos univers respectifs et cette thématique nous est chère, notamment du fait de notre âge. Nés entre 1992 et 1990, nous considérons faire partie d’une génération « no-native », qui ne serait pas née mais aurait grandi avec la technologie. Faire muter l’objet livre vers une définition moderne et transversale qui communiquerait avec le monde numérique nous semble une excellente manière de le faire perdurer. C’est un médium vacillant mais jamais contredit en ce qui concerne le passage d’idées. Travailler à propos d’Internet, en revanche, nous permet de le matérialiser et d’en tirer les notions les plus intéressantes, tout en s’autorisant de le hacker, le détourner, l’exploiter dans ses failles.

OP010 : Print It, Surprise !, 2021 par Morgane Bartoli, Juliette Bernachot, Ronan Deshaies & Corentin Moussard Format A5, 85 pages, impression photocopieur quadri 25 exemplaires
OP011 : Print It, Surprise !, 2021 par Morgane Bartoli, Juliette Bernachot, Ronan Deshaies & Corentin Moussard Format A5, 85 pages, impression photocopieur quadri 25 exemplaires

Le collectif est aussi un point crucial dans votre démarche, en tout cas, j’en ai l’impression. Que ce soit par le biais de cartes blanches, de votre structure (pour rappel, vous êtes quatre au sein d’Objet Papier, ou plutôt cinq, si l’on pense à Crippy, cet avatar numérique que vous avez lancé il y a peu), ou encore en proposant des projets à multiples auteurs- trices, le collectif est ancré dans votre travail. Est-ce une chose importante pour vous ? Comment définiriez-vous votre rapport aux autres ?

Même si Objet Papier est né d’une envie solitaire, la notion de collectif est venue très rapidement pérenniser ce projet qui se serait, dans le cas inverse, épuisé et essoufflé très vite. L’ambition, en se rassemblant progressivement (chaque membre est arrivé sur un timing différent), est d’élargir les possibilités de combinaisons artistiques. Nous considérons presque chacune de nos productions comme le fruit d’une réflexion collective, nourrie des influences des autres.

De plus, nous avons toujours pensé qu’un label de ce type était important pour matérialiser les gestes artistiques de nos cercles proches. Nous observons une quantité indénombrable d’idées artistiques intéressantes qui se perdent faute de relai. Ainsi, nous tentons de faire perdurer l’héritage punk du slogan « Support you local scene* », qui nous semble plus important que tout sur la scène culturelle actuelle, et notamment en région parisienne où le marché fait plus qu’avaler la production artistique : il la muselle parfois par dissuasion.
Enfin, nous participons à beaucoup d’événements liés à la scène de la micro-édition, la défense de nos projets s’articulant presque exclusivement avec la rencontre de l’autre.

OP009 : PERFORMANCE, que vous avez publié en juin dernier, est également un projet intéressant dans le sens où ce dernier est votre première publication collective, mais aussi du fait qu’il a été réalisé au travers de multiple médium. En effet, il existe au travers d’une édition regroupant 17 contributeur-trice-s différent-e-s, mais il y a aussi eu une exposition/lancement qui s’est tenue à DOC! (Paris), une exposition qui, elle aussi, multipliait les formes et médium. Comment en êtes-vous arrivé-e-s à ce projet et cette volonté de faire une exposition à partir d’une publication ?

Nous avions depuis longtemps le souhait de réaliser une publication collective. La période anxiogène ayant remisé à plus tard l’idée originelle de traiter de politique, nous avons choisi la double thématique « corps et moteurs » que nous n’avions pas encore réussi à articuler.
Afin d’être surpris par le résultat final nous n’avons pas donné d’autres contraintes que ce thème aux artistes invité-e-s.
Ainsi, l’édition regroupe plusieurs médiums, dont certains ne sont pas ceux habituellement utilisés pas les contributeur- trice-s. Ces médiums étant parfois doublés d’une existence physique, l’envie de les montrer nous a guidés vers le format de l’exposition que nous n’avions expérimenté que légèrement par le passé. Il nous semblait que c’était le type d’événement parfait pour se retrouver après la période de la Covid, et échanger plus longuement que lors d’une soirée de lancement. Un site web évolutif reprenant les œuvres ou présentant leurs versions augmentées est également en cours de publication.

Nous parlions plus tôt de l’importance du numérique dans votre approche éditoriale, mais pas de celle du format papier, qui constitue tout de même la moitié de votre nom. En quoi le format papier est-il important à vos yeux ? Et aussi, pensez- vous que cela ait encore sens, aujourd’hui, de faire des éditions papiers ?

Comme nous l’évoquions plus haut, le livre nous semble le médium absolu pour transmettre des idées. Accompagné d’un support numérique gratuit, il est capable de toucher une large partie de la population, tout en restant le plus démocratique possible, de la même manière que la production musicale underground, si ce n’est qu’il nécessite encore moins de moyens.
Cette combinaison a également pour qualité de pouvoir accueillir presque toutes les formes d’art tout en étant absolument pérenne. La production d’objets palpables résonne avec notre souhait d’archivage des idées et d’envie de figer nos pensées le temps d’un livre. De ce point de vue, le livre nous semble plus abouti que le monde numérique, dont la sauvegarde des traces n’est pas tout à fait aboutie. Celle-ci est probablement l’enjeu absolu de nos sociétés modernes mais parait irrésolue ou trop fragile à l’heure actuelle. À moins d’imprimer Internet ! Il nous semble enfin que publier des livres aura toujours du sens, de la même manière que jouer de la musique, tourner un film ou danser dans un club.

* « soutien la scène locale »

OP008, Newspaper forever, 01/2020 par Morgane Bartoli & Sixtyne Perez Format tabloïd 16 pages, impression numérique noir seul 50 exemplaires
OP008, Newspaper forever, 01/2020 par Morgane Bartoli & Sixtyne Perez Format tabloïd 16 pages, impression numérique noir seul 50 exemplaires
Vue de l’exposition/Lancement Objet Papier 009 : PERFORMANCE, JUIN 2021, DOC! Paris
Vue de l’exposition/Lancement Objet Papier 009 : PERFORMANCE, JUIN 2021, DOC! Paris

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