Eva Magyarosi, Tundra

Eva Magyarosi, Tundra

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Nicolas Etchenagucia & Barbara Polla

En conversation avec Eva Magyarosi

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Tundra
? Le titre de la vidéo originale d’Eva Magyarosi présentée dans l’exposition « Récits privés » (Paris, 2019) renvoie à la signification originale du mot tundra, qui évoque une montagne nue, une montagne dénuée d’arbres, une montagne vue de dos. Ce paysage, combiné au son de la nature (musique de Mihaly Vig), se confond, selon l’artiste, avec les instincts indomptables qui nous animent tous dans notre vie d’enfant. À partir de ses expériences primitives, les enfants d’Eva Magyarosi (l’enfant en elle) construisent leur propre monde intérieur et leurs mécanismes de défense.

Eva Magyarosi, Tundra

Au début de la vidéo, un magnifique troupeau galope dans la montagne désertique sous une étoile noire à la fois séduisante et inquiétante. Le regard de Tundra – Tundra est aussi le prénom du personnage principal de la vidéo, un prénom volontairement non genré – suit des yeux les animaux et s’attarde sur le plus beau, le blanc, le plus scintillant au coeur du troupeau. Qui sont ces animaux énigmatiques ? Chevaux, cerfs, chiens ? Avec son âme d’enfant, Tundra écoute, attentivement, et attend patiemment que quelque chose se passe. Dans ses yeux, des instincts meurtriers se mettent à briller. Comme pour embrasser la créature magique, passionnément, il lance ses flèches qui vont transpercer le bel animal, sur le corps duquel Tundra va s’étendre. Par ce lancer de flèche et la mort de l’animal, Tundra s’empare de la douloureuse réalité de l’âge adulte, de toute sa sensualité, de ce que l’on appelle les péchés, incarnés ici par les abeilles et la souris, désormais libérés des plaies infligées.

À un moment de la vidéo, la possibilité d’un bonheur apparaît. C’est le jardin coloré. Mais l’enfant Tundra, après avoir cheminé dans la roue (allégorie de la naissance), aux prises avec sa propre mère hagarde, décide de sortir de l’image du Paradis et trace au couteau son propre chemin. Dans l’oeuvre d’Eva Magyarosi, le moment onirique suggérant la possibilité d’une vie heureuse cohabite toujours avec le terrible sentiment de l’inéluctabilité de la mort.

À ce stade, Tundra semble se rapprocher d’un être femme. Ses pensées voyagent dans des géographies liées à l’imagination féminine. D’autres enfants naissent, des jumeaux peut-être, et une troisième, encore liée par un cordon de sang. « Récits privés » s’il en est ! 

La main est également très présente dans Tundra. Nous faisons l’expérience des choses les plus élémentaires avec nos mains. Elles nous emmènent vers des expériences pour le moins ambiguës : la main peut, à la fois et en même temps, être « bonne » et « mauvaise » : elle connaît le toucher angélique, la sensualité la plus folle, tout en étant capable de la plus grande cruauté.

Finalement, des nombreuses blessures de Tundra émergent des pointes aiguisées qui deviennent des flèches. La forme des flèches se métamorphose en une étoile noire. Tundra est héroïquement fier/fière de retrouver les carcasses des animaux vaincus, au moins jusqu’à ce que l’étoile noire finisse par engloutir entièrement sa forme – son existence. L’étoile noire, pour l’artiste, est le symbole de nos rêves, de notre monde intérieur. L’accablante et irrésistible ombre noire dont elle est porteuse fait référence à l’ineffable et douloureuse vérité que nous tirons, encore une fois, de nos « Récits privés » – « Elle nous appelle à nous battre pour nos idées, même si nous savons qu’elle représente aussi l’expérience du mal », explique Magyarosi, pour qui anges et démons sont frères et soeurs.

L’étoile noire ?

Inéluctable sortie de l’enfance.

On peut en mourir – ou passer à autre chose.

Actualités d’Eva Magyarosi : 07 AU 17/02 – ÉVA MAGYARÓSI – RÉCITS PRIVÉS – 24 BEAUBOURG PARIS